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08/04 2021
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CH DE GAP: UNE GRAVE CRISE INTERNE PARALYSE L'ACTIVITÉ DE CHIRURGIE

(Par Sylvain LABAUNE)

GAP, 8 avril 2021 (APMnews) - De nombreux médecins du centre hospitalier intercommunal des Alpes du Sud (Chicas) à Gap sont en arrêt en travail à la suite de la réintégration d'un praticien suspendu, entraînant l'annulation et le report de consultations et opérations chirurgicales dans différentes spécialités, a expliqué mercredi à APMnews la direction de l'établissement.

Douze praticiens hospitaliers de plusieurs spécialités dont 4 chirurgiens orthopédiques sur cinq sont notamment en arrêt, a rapporté la direction du Chicas. Ces arrêts de travail sont "concomitants à la réintégration d’un praticien suspendu", ils sont intervenus "entre le 30 mars et le 6 avril".

Cette crise a pour origine un conflit interne entre deux chirurgiens orthopédistes, le Dr Gilles Norotte et le Dr Raouf Hammami.

Le Dr Gilles Norotte aurait été accusé par le Dr Raouf Hammami d'avoir pratiqué de la cimentoplastie intervertébrale ou cimentoplastie discale qui n'est pas autorisée en France, entraînant la suspension du premier.

Contactée mardi par APMnews, l'ARS Paca a déclaré que le Dr Norotte "a pratiqué la cimentoplastie intervertébrale, qui consiste à injecter un ciment en dehors de la vertèbre fragilisée". Or "dans l’état actuel des connaissances, et à la différence de la technique intravertébrale, cette technique intervertébrale n’est pas autorisée à ce jour en France".

"Seule la cimentoplastie intravertébrale, c’est-à-dire l’injection de ciment dans la vertèbre fragilisée, est une pratique courante et autorisée. Ses indications ont nécessité des recommandations publiées" par la Haute autorité de santé (HAS), a précisé l'agence.

"La technique de 'cimentoplastie discale' a fait l’objet d’un signalement auprès de la direction du Chicas en avril 2018", a indiqué l'hôpital de Gap. "Une enquête administrative interne a été déclenchée par la direction dès réception du signalement." Celle-ci a également demandé en juin 2018 une "expertise extérieure" auprès de l’agence régionale de santé (ARS) Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca).

L'expertise de l'ARS a conclu en juin 2019 "à une technique non conforme aux données de la science chirurgicale au moment des faits", a rapporté l'agence.

Une enquête préliminaire a été ouverte fin 2019 par le procureur de la République de Gap, Florent Crouhy, après notamment la réception de l'expertise de l'ARS et le dépôt de plusieurs plaintes de familles de patients qui auraient été pris en charge avec la technique de la cimentoplastie discale par le Dr Norotte.

Cette enquête préliminaire est toujours en cours, a-t-on appris mardi auprès du procureur. Elle a été confiée à l'antenne de Marseille de l'Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaesp) et porte sur les chefs suivants:

  • Recherche biomédicale sans obtention de l’avis favorable du comité de protection des personnes et de l’autorisation de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) (la peine encourue est d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende).
  • Recherche biomédicale sur une personne sans son consentement conforme (3 ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende).

Le Dr Norotte a été suspendu de ses fonctions le 27 janvier par le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG), a-t-on appris de sources concordantes.

La technique de cimentoplastie discale avait été arrêtée par le praticien concerné fin 2017, a précisé la direction du Chicas.

Le Dr Hammami accusé de harcèlement et suspendu, puis réintégré car considéré comme "lanceur d'alerte"

Parallèlement à la procédure et aux expertises qui ont abouti à la suspension du Dr Norotte, le Dr Hammami a fait l'objet de trois suspensions pour des motifs indépendants du sujet de la technique de cimentoplastie discale, mais liés à des accusations de menaces et de harcèlement envers des collègues.

Une première suspension a été prononcée par le Chicas le 4 mars 2019, par le CNG le 4 août 2020 et par l'ARS le 2 février 2021. La décision de l'ARS a été abrogée le 28 mars et le Dr Hammami a réintégré ses fonctions au Chicas le 29 mars, a-t-on appris de sources concordantes.

Le Dr Hammami fait l'objet "d'accusations de harcèlement" qui "donnent lieu à une procédure disciplinaire", a expliqué l'ARS.

Toutefois, "la défenseure des droits, autorité administrative indépendante, a formulé des recommandations". Le directeur général de l’ARS Paca, Philippe De Mester, "respectueux de l’Etat de droit s’est conformé à ses recommandations qui donnent au Dr Hammami le statut de lanceur d’alerte". En conséquence, "sa suspension a été abrogée, laissant ainsi au conseil de discipline du CNG toute latitude pour prendre la décision qui relève de sa compétence", a développé l'agence.

La réintégration récente du Dr Hammami a provoqué la série d'arrêts de travail. Un rassemblement a eu lieu samedi devant le Chicas à l'appel des syndicats FO et CFDT pour alerter sur cette "grave crise interne" et sur le danger pour la continuité de l'offre de soins. Une pétition intitulée "Sauvez l’hôpital de Gap !" a été mise en ligne, comptabilisant un peu de plus de 1.400 signatures jeudi matin.

"Ces arrêts maladies ont été pris car vraiment les personnels ne vont pas bien et ne sont plus en mesure de travailler, à force de faire des nuits blanches et d'être obnubilés" par ce conflit entre praticiens qui s'est étendu à tout l'hôpital, a témoigné mardi auprès d'APMnews Éric Braunstedter, représentant CFDT au Chicas.

"Ils sont tombés malades parce qu’ils ne peuvent plus travailler avec quelqu'un [le Dr Hammami, ndlr] qui n'a pas respecté le code de déontologie et qui n'a plus été confraternel" et "donc il y a une perte de confiance qui n'est plus propice à un travail professionnel", a-t-il continué.

Les praticiens actuellement arrêtés "sont dans un état de stress, de détresse, voire pour certains, terrorisés, et ils se sont donc mis en retrait. Les risques psychosociaux sont à leur paroxysme. En 20 ans au Chicas, cela ne s'est jamais vu", a poursuivi le représentant syndical. "Je suis moi-même, en tant qu'un infirmier anesthésiste, en situation de m'arrêter parce que je ne suis pas sûr d'arriver à remplir ma mission."

Le fonctionnement de l'hôpital est "gravement impacté" du fait notamment de l'arrêt "de notre chirurgien du rachis qui ne peut plus prendre en charge les accidents le week-end", a affirmé Éric Braunstedter.

"Nous avons une clinique à côté de nous [polyclinique des Alpes-du-Sud, à Gap] mais elle ne fonctionne pas 24h/24 et ne possède pas de service d'urgence" et les patients ont dû être orientés vers "Grenoble ou Marseille", avec les risques pour leur santé que cela comporte, a-t-il précisé.

syl/ab/APMnews

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(Par Sylvain LABAUNE)

GAP, 8 avril 2021 (APMnews) - De nombreux médecins du centre hospitalier intercommunal des Alpes du Sud (Chicas) à Gap sont en arrêt en travail à la suite de la réintégration d'un praticien suspendu, entraînant l'annulation et le report de consultations et opérations chirurgicales dans différentes spécialités, a expliqué mercredi à APMnews la direction de l'établissement.

Douze praticiens hospitaliers de plusieurs spécialités dont 4 chirurgiens orthopédiques sur cinq sont notamment en arrêt, a rapporté la direction du Chicas. Ces arrêts de travail sont "concomitants à la réintégration d’un praticien suspendu", ils sont intervenus "entre le 30 mars et le 6 avril".

Cette crise a pour origine un conflit interne entre deux chirurgiens orthopédistes, le Dr Gilles Norotte et le Dr Raouf Hammami.

Le Dr Gilles Norotte aurait été accusé par le Dr Raouf Hammami d'avoir pratiqué de la cimentoplastie intervertébrale ou cimentoplastie discale qui n'est pas autorisée en France, entraînant la suspension du premier.

Contactée mardi par APMnews, l'ARS Paca a déclaré que le Dr Norotte "a pratiqué la cimentoplastie intervertébrale, qui consiste à injecter un ciment en dehors de la vertèbre fragilisée". Or "dans l’état actuel des connaissances, et à la différence de la technique intravertébrale, cette technique intervertébrale n’est pas autorisée à ce jour en France".

"Seule la cimentoplastie intravertébrale, c’est-à-dire l’injection de ciment dans la vertèbre fragilisée, est une pratique courante et autorisée. Ses indications ont nécessité des recommandations publiées" par la Haute autorité de santé (HAS), a précisé l'agence.

"La technique de 'cimentoplastie discale' a fait l’objet d’un signalement auprès de la direction du Chicas en avril 2018", a indiqué l'hôpital de Gap. "Une enquête administrative interne a été déclenchée par la direction dès réception du signalement." Celle-ci a également demandé en juin 2018 une "expertise extérieure" auprès de l’agence régionale de santé (ARS) Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca).

L'expertise de l'ARS a conclu en juin 2019 "à une technique non conforme aux données de la science chirurgicale au moment des faits", a rapporté l'agence.

Une enquête préliminaire a été ouverte fin 2019 par le procureur de la République de Gap, Florent Crouhy, après notamment la réception de l'expertise de l'ARS et le dépôt de plusieurs plaintes de familles de patients qui auraient été pris en charge avec la technique de la cimentoplastie discale par le Dr Norotte.

Cette enquête préliminaire est toujours en cours, a-t-on appris mardi auprès du procureur. Elle a été confiée à l'antenne de Marseille de l'Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaesp) et porte sur les chefs suivants:

  • Recherche biomédicale sans obtention de l’avis favorable du comité de protection des personnes et de l’autorisation de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) (la peine encourue est d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende).
  • Recherche biomédicale sur une personne sans son consentement conforme (3 ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende).

Le Dr Norotte a été suspendu de ses fonctions le 27 janvier par le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG), a-t-on appris de sources concordantes.

La technique de cimentoplastie discale avait été arrêtée par le praticien concerné fin 2017, a précisé la direction du Chicas.

Le Dr Hammami accusé de harcèlement et suspendu, puis réintégré car considéré comme "lanceur d'alerte"

Parallèlement à la procédure et aux expertises qui ont abouti à la suspension du Dr Norotte, le Dr Hammami a fait l'objet de trois suspensions pour des motifs indépendants du sujet de la technique de cimentoplastie discale, mais liés à des accusations de menaces et de harcèlement envers des collègues.

Une première suspension a été prononcée par le Chicas le 4 mars 2019, par le CNG le 4 août 2020 et par l'ARS le 2 février 2021. La décision de l'ARS a été abrogée le 28 mars et le Dr Hammami a réintégré ses fonctions au Chicas le 29 mars, a-t-on appris de sources concordantes.

Le Dr Hammami fait l'objet "d'accusations de harcèlement" qui "donnent lieu à une procédure disciplinaire", a expliqué l'ARS.

Toutefois, "la défenseure des droits, autorité administrative indépendante, a formulé des recommandations". Le directeur général de l’ARS Paca, Philippe De Mester, "respectueux de l’Etat de droit s’est conformé à ses recommandations qui donnent au Dr Hammami le statut de lanceur d’alerte". En conséquence, "sa suspension a été abrogée, laissant ainsi au conseil de discipline du CNG toute latitude pour prendre la décision qui relève de sa compétence", a développé l'agence.

La réintégration récente du Dr Hammami a provoqué la série d'arrêts de travail. Un rassemblement a eu lieu samedi devant le Chicas à l'appel des syndicats FO et CFDT pour alerter sur cette "grave crise interne" et sur le danger pour la continuité de l'offre de soins. Une pétition intitulée "Sauvez l’hôpital de Gap !" a été mise en ligne, comptabilisant un peu de plus de 1.400 signatures jeudi matin.

"Ces arrêts maladies ont été pris car vraiment les personnels ne vont pas bien et ne sont plus en mesure de travailler, à force de faire des nuits blanches et d'être obnubilés" par ce conflit entre praticiens qui s'est étendu à tout l'hôpital, a témoigné mardi auprès d'APMnews Éric Braunstedter, représentant CFDT au Chicas.

"Ils sont tombés malades parce qu’ils ne peuvent plus travailler avec quelqu'un [le Dr Hammami, ndlr] qui n'a pas respecté le code de déontologie et qui n'a plus été confraternel" et "donc il y a une perte de confiance qui n'est plus propice à un travail professionnel", a-t-il continué.

Les praticiens actuellement arrêtés "sont dans un état de stress, de détresse, voire pour certains, terrorisés, et ils se sont donc mis en retrait. Les risques psychosociaux sont à leur paroxysme. En 20 ans au Chicas, cela ne s'est jamais vu", a poursuivi le représentant syndical. "Je suis moi-même, en tant qu'un infirmier anesthésiste, en situation de m'arrêter parce que je ne suis pas sûr d'arriver à remplir ma mission."

Le fonctionnement de l'hôpital est "gravement impacté" du fait notamment de l'arrêt "de notre chirurgien du rachis qui ne peut plus prendre en charge les accidents le week-end", a affirmé Éric Braunstedter.

"Nous avons une clinique à côté de nous [polyclinique des Alpes-du-Sud, à Gap] mais elle ne fonctionne pas 24h/24 et ne possède pas de service d'urgence" et les patients ont dû être orientés vers "Grenoble ou Marseille", avec les risques pour leur santé que cela comporte, a-t-il précisé.

syl/ab/APMnews

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