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18/10 2022
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CRISE DU COVID: AURÉLIEN ROUSSEAU LIVRE SA VISION DE LA "TRANSFORMATION" DE L'ETAT

(Par Maryannick LE BRIS)

PARIS, 18 octobre 2022 (APMnews) - L'actuel directeur de cabinet de la première ministre, Elisabeth Borne, qui, pendant près de deux ans, a géré en Ile-de-France la crise du Covid en tant que directeur général de l'agence régionale de santé (ARS), livre dans son ouvrage "La Blessure et le Rebond" sa vision de la "transformation" de l'Etat pendant cette période, "garant des coalitions" d'acteurs dans les territoires.

L'ancien directeur général de l'ARS Ile-de-France, qui a vu "déferler" le Covid en janvier 2020 et piloté dans la région la gestion de la crise pendant vingt mois, l'annonce d'emblée: son récit "ne prétend pas tout dire ou tout révéler" sur les épisodes traversés.

En ouvrant "la boîte noire" de l'administration de l'Etat, Aurélien Rousseau explique vouloir livrer un témoignage "partiel" sur une "aventure collective", sans "appropriation des réussites", ni "délestage des erreurs". Mais les regrets apparaissent plutôt en filigrane, à travers ses propositions pour "rebondir".

Il souligne lui-même être "toujours en peine de répondre quelque chose de croustillant" sur des désaccords avec certains arbitrages, préférant mettre en avant la recherche du dialogue, les engagements mutuels et les démarches de conviction. "Certains sujets, qui nous ont occupés jour et nuit, au sens propre", ne sont pas abordés, car "même s'ils ont été rudes, violents parfois, même s'ils ont pu contribuer à la colère et à l'épuisement, avec le début de recul que je commence à avoir, je les ai estimés plus circonstanciels", écrit-il.

Dans "La Blessure et le Rebond", celui qui demanda à être déchargé de ses fonctions quand la quatrième vague a "reflué", à l'été 2021, mêle une écriture intime et l'histoire collective, l'approche technocratique et une vision politique de l'administration de l'Etat. Avec la volonté affichée de protéger le "système démocratique et les institutions" face aux "coups de mer" qui se jouent en temps de crise.

"Le législateur avait confié des compétences aux ARS" et "nous les avons exercées dans leur totalité", estime Aurélien Rousseau, avant de préciser que les agences sont à ses yeux un "rouage", chargé de coordonner et de piloter, mais qui "n'a de sens que par sa place dans le réseau qu'il anime".

Face aux critiques sur l'inertie de l'Etat, sa lourdeur bureaucratique et son manque de réactivité dans la gestion de la crise, "ne pas éclairer [son] fonctionnement quotidien, ce serait laisser l'espace libre à toutes les théories ou approximations", défend-il. Un exercice indispensable selon lui pour ne pas "laisser grandir et prospérer des lectures, qui, au fond, fragilisent sciemment notre contrat social en faisant peser sur lui le soupçon du complot ou de l'inconséquence".

Aurélien Rousseau réfute l'idée selon laquelle ce qui aurait fonctionné résulterait de la "main invisible" -il a répété à maintes reprises qu'elle n'existait pas- et ce qui aurait échoué serait les conséquences de l'incurie de l'Etat. Il rejette ce qui, selon lui, s'apparenterait à une opposition entre le camp de "la levée en masse des soignants, de l'engagement et du courage, celui aussi des initiatives individuelles", et celui "de la bureaucratie, de règles centralisées tatillonnes", voire de l'incompétence.

Cette crise a été "pilotée, certes parfois à vue, et elle a été administrée sans cesse", affirme-t-il.

Se défendant de tout satisfecit, le haut fonctionnaire explique sa conviction que la crise a "percuté l'Etat", dans sa capacité "à dire le long terme", le poussant à "se repositionner dans la société". Bien sûr, "il existe des domaines sur lesquels nous aurions pu faire mieux", mais "nous avons progressé, appris de nos erreurs", considère l'ancien directeur général d'ARS. Il évoque "des pans entiers de politiques publiques qu'il fallait inventer", parlant "des décisions, des prises de risque, des erreurs, des réussites aussi, dont certaines devront perdurer".

Du rôle "d'ensemblier" ou de coordinateur dans les territoires, l'Etat est devenu, "et je crois que c'est le coeur de sa transformation, un garant des coalitions" des acteurs du système de santé, de la société civile et des institutions, analyse-t-il. "Les réponses les plus efficaces à la crise ont été construites ainsi", explique-t-il, non sans faire allusion aux "ajustements" nécessaires pour éviter les prés carrés.

Reconnaître la légitimité d'autres acteurs, "c'est accepter que, même si la compétence lui appartient, l'Etat ne dispose pas du monopole de l'intérêt général", selon Aurélien Rousseau, qui raconte le travail mené avec l'assurance maladie, les préfectures ou les collectivités locales.

Le terme de "coalition", connu notamment au Canada, précise-t-il, a été illustré par la démarche Covisan de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), les barnums de dépistage dans les quartiers marqués par les inégalités d'accès aux soins ou le dispositif d'appel, en Seine-Saint-Denis, pour favoriser l'accès à la vaccination, relate-t-il. Il assimile certaines expériences à autant de "combats" remportés.

Pour un "rebond politique à la santé publique"

Cette coalition "suppose d'accepter un rapport qui n'est pas celui d'un donneur d'ordre avec son opérateur ou d'un maître d'ouvrage avec son maître d'oeuvre, mais bien un exercice de construction, y compris dans la contradiction parfois, de solutions que chacun séparément n'aurait pas pu mettre en place".

Il tire de la crise des principes vertueux, dont accepter l'incertitude pour éviter d'aller dans le mur -naviguer à vue devient alors "une compétence stratégique"- et le souci de la transparence.

Aurélien Rousseau retient surtout "la conviction essentielle" qu'il faut "un rebond politique à la santé publique".

C'est avant l'hôpital que "se jouent les inégalités" de santé et c'est "dans ce domaine que notre système est en France le plus faible", insiste-t-il, après avoir déjà soulevé cette observation dans ses premiers "bilans" de la gestion de la crise (cf dépêche du 08/06/2020 à 16:16). C'est l'empreinte du "K.O" provoqué par le constat de la surmortalité liée au Covid dans les quartiers populaires qui lui "restera le plus durablement".

Au-delà des enjeux de prévention, il appelle à une "appropriation sociale de la promotion de la santé" et à faire en sorte que le système de soins, y compris hospitalier, "soit en capacité de tenir compte de l'impact clinique du contexte social".

Pour faire fructifier les démarches enclenchées pendant la crise, il invite notamment à "développer des alliances avec les grands réseaux sectoriels de la société civile" (bailleurs sociaux, syndicats, associations…), à "maintenir et développer des relations avec les intervenants de proximité des territoires" et à "renforcer le rôle des coordinateurs des contrats locaux de santé".

Les missions de santé publique des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) "sortent sans doute renforcées de la crise, et d'ores et déjà on ressent que certaines d'entre elles entendent investir ce champ plus nettement", relève-t-il.

"Même au prix d'engagements et de souffrances et d'engagements parfois intenables, cette crise nous a beaucoup appris sur la façon d'exercer l'Etat dans les périodes de fortes turbulences", souligne Aurélien Rousseau.

"La transparence, cela imposera aussi d'inventer une forme de partage et de délibération citoyenne sur la manière d'assurer la santé de la population, sur la place du soin, sur celle de la prévention, sur la place des enjeux financiers comme sur celle, prégnante, de la démographie des professionnels de santé", conclut-il, sans pour autant citer les chantiers ouverts par le gouvernement. "Il faut en prendre le risque. Cela s'appelle sans doute un contrat social", invite-t-il.

("La Blessure et le Rebond", Aurélien Rousseau, Editions Odile Jacob, 21,90 €)

mlb/ab/APMnews

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(Par Maryannick LE BRIS)

PARIS, 18 octobre 2022 (APMnews) - L'actuel directeur de cabinet de la première ministre, Elisabeth Borne, qui, pendant près de deux ans, a géré en Ile-de-France la crise du Covid en tant que directeur général de l'agence régionale de santé (ARS), livre dans son ouvrage "La Blessure et le Rebond" sa vision de la "transformation" de l'Etat pendant cette période, "garant des coalitions" d'acteurs dans les territoires.

L'ancien directeur général de l'ARS Ile-de-France, qui a vu "déferler" le Covid en janvier 2020 et piloté dans la région la gestion de la crise pendant vingt mois, l'annonce d'emblée: son récit "ne prétend pas tout dire ou tout révéler" sur les épisodes traversés.

En ouvrant "la boîte noire" de l'administration de l'Etat, Aurélien Rousseau explique vouloir livrer un témoignage "partiel" sur une "aventure collective", sans "appropriation des réussites", ni "délestage des erreurs". Mais les regrets apparaissent plutôt en filigrane, à travers ses propositions pour "rebondir".

Il souligne lui-même être "toujours en peine de répondre quelque chose de croustillant" sur des désaccords avec certains arbitrages, préférant mettre en avant la recherche du dialogue, les engagements mutuels et les démarches de conviction. "Certains sujets, qui nous ont occupés jour et nuit, au sens propre", ne sont pas abordés, car "même s'ils ont été rudes, violents parfois, même s'ils ont pu contribuer à la colère et à l'épuisement, avec le début de recul que je commence à avoir, je les ai estimés plus circonstanciels", écrit-il.

Dans "La Blessure et le Rebond", celui qui demanda à être déchargé de ses fonctions quand la quatrième vague a "reflué", à l'été 2021, mêle une écriture intime et l'histoire collective, l'approche technocratique et une vision politique de l'administration de l'Etat. Avec la volonté affichée de protéger le "système démocratique et les institutions" face aux "coups de mer" qui se jouent en temps de crise.

"Le législateur avait confié des compétences aux ARS" et "nous les avons exercées dans leur totalité", estime Aurélien Rousseau, avant de préciser que les agences sont à ses yeux un "rouage", chargé de coordonner et de piloter, mais qui "n'a de sens que par sa place dans le réseau qu'il anime".

Face aux critiques sur l'inertie de l'Etat, sa lourdeur bureaucratique et son manque de réactivité dans la gestion de la crise, "ne pas éclairer [son] fonctionnement quotidien, ce serait laisser l'espace libre à toutes les théories ou approximations", défend-il. Un exercice indispensable selon lui pour ne pas "laisser grandir et prospérer des lectures, qui, au fond, fragilisent sciemment notre contrat social en faisant peser sur lui le soupçon du complot ou de l'inconséquence".

Aurélien Rousseau réfute l'idée selon laquelle ce qui aurait fonctionné résulterait de la "main invisible" -il a répété à maintes reprises qu'elle n'existait pas- et ce qui aurait échoué serait les conséquences de l'incurie de l'Etat. Il rejette ce qui, selon lui, s'apparenterait à une opposition entre le camp de "la levée en masse des soignants, de l'engagement et du courage, celui aussi des initiatives individuelles", et celui "de la bureaucratie, de règles centralisées tatillonnes", voire de l'incompétence.

Cette crise a été "pilotée, certes parfois à vue, et elle a été administrée sans cesse", affirme-t-il.

Se défendant de tout satisfecit, le haut fonctionnaire explique sa conviction que la crise a "percuté l'Etat", dans sa capacité "à dire le long terme", le poussant à "se repositionner dans la société". Bien sûr, "il existe des domaines sur lesquels nous aurions pu faire mieux", mais "nous avons progressé, appris de nos erreurs", considère l'ancien directeur général d'ARS. Il évoque "des pans entiers de politiques publiques qu'il fallait inventer", parlant "des décisions, des prises de risque, des erreurs, des réussites aussi, dont certaines devront perdurer".

Du rôle "d'ensemblier" ou de coordinateur dans les territoires, l'Etat est devenu, "et je crois que c'est le coeur de sa transformation, un garant des coalitions" des acteurs du système de santé, de la société civile et des institutions, analyse-t-il. "Les réponses les plus efficaces à la crise ont été construites ainsi", explique-t-il, non sans faire allusion aux "ajustements" nécessaires pour éviter les prés carrés.

Reconnaître la légitimité d'autres acteurs, "c'est accepter que, même si la compétence lui appartient, l'Etat ne dispose pas du monopole de l'intérêt général", selon Aurélien Rousseau, qui raconte le travail mené avec l'assurance maladie, les préfectures ou les collectivités locales.

Le terme de "coalition", connu notamment au Canada, précise-t-il, a été illustré par la démarche Covisan de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), les barnums de dépistage dans les quartiers marqués par les inégalités d'accès aux soins ou le dispositif d'appel, en Seine-Saint-Denis, pour favoriser l'accès à la vaccination, relate-t-il. Il assimile certaines expériences à autant de "combats" remportés.

Pour un "rebond politique à la santé publique"

Cette coalition "suppose d'accepter un rapport qui n'est pas celui d'un donneur d'ordre avec son opérateur ou d'un maître d'ouvrage avec son maître d'oeuvre, mais bien un exercice de construction, y compris dans la contradiction parfois, de solutions que chacun séparément n'aurait pas pu mettre en place".

Il tire de la crise des principes vertueux, dont accepter l'incertitude pour éviter d'aller dans le mur -naviguer à vue devient alors "une compétence stratégique"- et le souci de la transparence.

Aurélien Rousseau retient surtout "la conviction essentielle" qu'il faut "un rebond politique à la santé publique".

C'est avant l'hôpital que "se jouent les inégalités" de santé et c'est "dans ce domaine que notre système est en France le plus faible", insiste-t-il, après avoir déjà soulevé cette observation dans ses premiers "bilans" de la gestion de la crise (cf dépêche du 08/06/2020 à 16:16). C'est l'empreinte du "K.O" provoqué par le constat de la surmortalité liée au Covid dans les quartiers populaires qui lui "restera le plus durablement".

Au-delà des enjeux de prévention, il appelle à une "appropriation sociale de la promotion de la santé" et à faire en sorte que le système de soins, y compris hospitalier, "soit en capacité de tenir compte de l'impact clinique du contexte social".

Pour faire fructifier les démarches enclenchées pendant la crise, il invite notamment à "développer des alliances avec les grands réseaux sectoriels de la société civile" (bailleurs sociaux, syndicats, associations…), à "maintenir et développer des relations avec les intervenants de proximité des territoires" et à "renforcer le rôle des coordinateurs des contrats locaux de santé".

Les missions de santé publique des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) "sortent sans doute renforcées de la crise, et d'ores et déjà on ressent que certaines d'entre elles entendent investir ce champ plus nettement", relève-t-il.

"Même au prix d'engagements et de souffrances et d'engagements parfois intenables, cette crise nous a beaucoup appris sur la façon d'exercer l'Etat dans les périodes de fortes turbulences", souligne Aurélien Rousseau.

"La transparence, cela imposera aussi d'inventer une forme de partage et de délibération citoyenne sur la manière d'assurer la santé de la population, sur la place du soin, sur celle de la prévention, sur la place des enjeux financiers comme sur celle, prégnante, de la démographie des professionnels de santé", conclut-il, sans pour autant citer les chantiers ouverts par le gouvernement. "Il faut en prendre le risque. Cela s'appelle sans doute un contrat social", invite-t-il.

("La Blessure et le Rebond", Aurélien Rousseau, Editions Odile Jacob, 21,90 €)

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