Actualités de l'Urgence - APM

08/03 2024
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LES DÉPUTÉES NICOLE DUBRÉ-CHIRAT ET SANDRINE ROUSSEAU APPELLENT À UN "PROJET POLITIQUE" GLOBAL POUR LA PSYCHIATRIE

(Propos recueillis par Valérie LESPEZ et Julie RICHARD)

PARIS, 8 mars 2024 (APMnews) - Les députées Nicole Dubré-Chirat (Renaissance, Maine-et-Loire) et Sandrine Rousseau (Ecologistes-Nupes, Paris), interrogées par APMnews mardi sur l'avancée de leur mission d'information portant sur "la prise en charge des urgences psychiatriques", ont appelé à un "projet politique" global pour la psychiatrie.

Depuis le lancement de leurs travaux, début janvier (cf dépêche du 17/01/2024 à 11:47), Sandrine Rousseau et Nicole Dubré-Chirat ont auditionné plus d'une vingtaine d'organisations, dont des fédérations hospitalières, syndicats de psychiatres, associations de patients et de familles, et autorités sanitaires.

Elles ont également effectué plusieurs déplacements, notamment en Ile-de-France et dans le Nord, et prévoient de se rendre entre autres à Nantes, Marseille, Toulouse (cf dépêche du 19/02/2024 à 19:21, dépêche du 21/02/2024 à 12:11, dépêche du 22/02/2024 à 17:25), Lyon.

APMnews: Pourquoi avoir lancé cette mission spécifiquement sur les urgences psychiatriques?

Nicole Dubret-Chirat et Sandrine Rousseau - Photo: Julie Richard/APMnews
Nicole Dubret-Chirat et Sandrine Rousseau - Photo: Julie Richard/APMnews

Sandrine Rousseau: J'ai reçu un appel à l'aide des structures psychiatriques de ma circonscription, sur l'effondrement de la psychiatrie. Dans le cadre d'une mission d'information, nous devons restreindre notre champ [d'investigation] et par les urgences, on arrive à "attraper" une grande partie du problème de la psychiatrie.

Nicole Dubré-Chirat: Comme c'est une mission d'information, nous devons être deux députés, de groupes différents. C'est un sujet qui m'intéresse en tant qu'ancienne professionnelle de santé. On voit que la psychiatrie se dégrade depuis plusieurs années et qu'il y a eu une accélération avec le Covid […]. Cette mission, sur un temps long -six mois- permet de voir, par l'arrivée aux urgences, le parcours du patient en amont et en aval.

S. R.: Nous rendrons notre rapport en juin pour préparer le PLFSS [projet de loi de financement de la sécurité sociale] de septembre, pour rentrer dans une mise en pression…

A ce stade de la mission, que retenez-vous?

N. D.-C.: Les équipes qui fonctionnent tiennent à des personnes qui ont mis en place des dispositifs, travaillent en projet, et maintiennent des équipes présentes. Là où il n'y a pas de projet, c'est plus compliqué.

On voit qu'on est face à une situation de crise avec un manque de psychiatres, d'infirmières en santé mentale, un manque de formation, de prévention, et une difficulté d'accès et de lisibilité pour les patients. De plus, plus on est précaire, plus on est en difficulté pour trouver le bon endroit au bon moment.

S. R.: Je partage ces constats, et j'ajouterai qu'il y a une dégradation de la santé mentale, particulièrement chez les 16-25 ans, dans une proportion qui devrait beaucoup nous inquiéter. En face, la psychiatrie concentre un peu toutes les difficultés de l'hôpital public, avec le manque d'attractivité, le vieillissement des médecins (50% des psychiatres ont plus de 62 ans) ou encore la confrontation à des dispositifs de type intérim qui peuvent mettre des services entiers en tension.

On sent presque un militantisme chez les soignants, qui tiennent malgré tout, envers et contre tout ce qu'on leur impose, y compris des règlements chronophages en termes administratifs, qu'ils ont du mal à concilier avec le temps de soins face aux patients. Beaucoup arrivent à déplacer des montagnes, à faire des miracles, mais cela relève presque d'un engagement personnel, individuel…

Il faudra faire un audit sur les conditions de travail. Les soignants sont confrontés à la souffrance, à l'incapacité de trouver des solutions d'aval -ils renvoient parfois des gens à la rue, pour le dire crûment. Ils sont aussi confrontés possiblement à l'agressivité dans les services. En fait, on a l'impression qu'il y a vraiment un syndrome des cordonniers les plus mal chaussés!

Ce que l'on n'arrive pas complètement à saisir, c'est quel est l'impact véritable de la situation de tension, du manque de personnels, sur les patients.

C'est-à-dire?

S. R.: Le sujet est tabou. […] On n'a aucune donnée sur la médication, sur la contention. On a des témoignages d'adolescents hospitalisés dans des services adultes. C'est à peine abordé par les professionnels dans les auditions, parce qu'eux-mêmes en souffrent, de cette affaire-là. On nous rapporte des patients qui viennent aux urgences, qu'on assomme de médicaments pendant 48 heures, que parfois on contentionne, et qu'on laisse sans trop de solutions d'aval.

On a eu des alertes sur la corrélation entre le nombre d'intérimaires dans un service, et le recours à ces pratiques. Non pas que les intérimaires soient de plus mauvais psychiatres, mais comme ils ne sont pas là sur la durée, ils se sentent moins facilement sécurisés dans leur activité. […] C'est vraiment l'angle mort de nos auditions pour l'instant, et j'aimerais vraiment que l'on aille creuser ça.

Par ailleurs, il faut faire un focus particulier sur la pédopsychiatrie: l'urgence en pédopsychiatrie n'est pas conçue, pas pensée. Or, les tentatives de suicide explosant, il y a un besoin de prise en compte de cette urgence…

N. D.-C.: … il y a 40% de postes vacants en pédopsychiatrie.

S. R.: La gestion de la crise de la pédopsychiatrie est aussi un défaut de prise en charge des difficultés en amont. L'aggravation de la précarité aggrave l'exposition aux crises, et il y a tout un secteur, l'ASE [l'aide sociale à l'enfance] et l'éducation nationale, en grande difficulté: il n'y a plus de médecins et d'infirmières scolaires, plus d'accès aux soins dans le cadre de l'ASE.

N. D.-C.: [Plus globalement], dans cette phase-là [où l'on manque de professionnels en psychiatrie, il faut] des actions adaptées qui servent de "filtre", comme les infirmières de pratique avancée [IPA], les psychologues, pour penser de manière graduée et adaptée l'accès aux soins. Tout le monde n'a pas besoin d'arriver jusqu'à la psychiatrie.

A ce stade de la mission, pensez-vous qu'il y a un problème financier, d'organisation des soins? Les deux?

S. R.: Pour moi, il y a évidemment une question de moyens, mais au-delà des moyens, une question stratégique: quelle stratégie de soutien, de développement et d'évolution de la psychiatrie on met en place? Il y a presque quelque chose de l'ordre du symbolique ou du philosophique, qui est la relégation de tout ce qui a trait à la psychiatrie, aujourd'hui, dans la société. C'est ce qu'on ne veut pas voir! Et cela n'est plus possible, compte tenu des chiffres en explosion.

Il va [aussi] falloir replacer la psychiatrie dans le soin. Les soignants, et c'est bien légitime, ne veulent pas être les derniers secours d'un système social défaillant. Que l'on gère par le social ce qui doit relever du social, et qu'on ne laisse pas les professionnels de la psychiatrie en dernière ligne d'une urgence qui, au fond, est en partie sociale. C'est vraiment un projet politique en soi.

En tout cas, il y a vraiment une dichotomie entre l'ampleur du sujet et l'absence complète de stratégie publique.

N. D.-C.: La psychiatrie est sans doute la spécialité qui a à prendre en compte le plus l'aspect global de la personne, dans sa vie au quotidien. Or, on n'a pas de visée globale de la prise en charge des patients en général. On n'a pas de projet global pour la psychiatrie.

Il va être nécessaire de se poser et de réfléchir aux priorités […], de manière à peut-être revoir ces parcours, l'accès gradué aux soins.

La psychiatrie était plutôt en avance quand la sectorisation et la prise en charge ambulatoire ont été instituées, mais aujourd'hui, on voit bien qu'on est au bout d'un cycle, et qu'il faut réfléchir à une prise en charge plus globale, et avec un projet politique de santé mentale.

Pensez-vous qu'il faut revoir l'organisation en secteurs?

S. R.: Nous sommes encore en réflexion. Les soignants que nous avons auditionnés sont pour le maintien de la sectorisation.

Une partie de la population est tellement précaire, que pour ces personnes, le secteur n'a pas forcément de sens. Et pour les jeunes, que prend-on comme secteur? Les parents? Ce n'est pas évident. La sectorisation est aussi parfois un moyen de gérer l'afflux et de renvoyer éventuellement un patient s'il n'est pas du secteur. Néanmoins, la sectorisation est un lien de proximité, et c'est indispensable.

On a peut-être besoin, et ça fait partie de la valorisation du métier, d'identifier par pathologie des parcours de soins, éventuellement des spécialisations professionnelles, et de défricher cette espèce de "masse molle" qu'on appelle la psychiatrie.

N. D.-C.: Aujourd'hui, le secteur a besoin d'être aménagé. Une évolution est nécessaire, on le voit avec les centres experts aussi [cf dépêche du 05/03/2024 à 10:49 et dépêche du 29/02/2024 à 19:12]. Il y a un travail de repérage, de diagnostic de certaines pathologies et de prises en charge plus adaptées, pour éviter la période de crise, et si elle arrive, elle peut alors être mieux gérée.

Et pour les urgences psychiatriques, spécifiquement?

S. R.: Ce n'est pas au patient de savoir ce qu'il a, donc il y a forcément un point d'entrée qui doit être commun à tout le monde.

On a posé plusieurs fois la question et ça n'est pas encore très établi. Mais quand on a fait le plan cancer, on a noué les problématiques de points d'entrée, de simplification pour le patient, et de spécialisation. Pour la psychiatrie, il faudrait regarder cela, et peut-être faire un point d'entrée d'accueil de qualité, puis, différencier les parcours de soins en fonction des pathologies, et accrocher cela à la recherche.

Qu'est-ce qui vous semble le plus urgent à résoudre?

S. R.: L'urgence, c'est vraiment le manque de personnels.

N. D-C: Il faut des gens formés qui travaillent dans des équipes pluridisciplinaires.

Mais comment les trouver?

N. D-C: Si on redore le blason de la psychiatrie, on la rend plus attractive.

S. R.: Il y a une question de rémunérations, d'attractivité et de projets.

J'ai personnellement été frappée par le fait que les infirmiers et les infirmières étaient formées in situ par la structure qui les embauche. Or, il y a quand même besoin d'une formation spécifique en psychiatrie, au niveau national, qui peut ensuite être complétée in situ.

N. D.-C.: Il faut ajouter un module de formation des infirmières pour qu'elle soit plus adaptée à la prise en charge des patients d'aujourd'hui. Il manque un pavé de formation.

S. R.: Il faut aussi qu'on réfléchisse à l'intégration des psychologues dans les services. C'est très disparate d'un établissement à l'autre: il y a des services où ils sont les bienvenus et d'autres où c'est plus compliqué.

Et il y a une autre question à se poser: qu'est-ce qu'on impose au privé et au libéral? On n'échappera pas à cette réflexion.

Dans vos visites de terrain, quels dispositifs intéressants avez-vous repérés?

N. D.-C.: Les SAS [services d'accès aux soins] qui permettent l'accès à une première évaluation téléphonique et une orientation par une infirmière en santé mentale. Le dispositif IPA fonctionne, à condition qu'il s'articule bien avec les médecins. Il y a aussi les plateaux d'accueil qui mixent les avis somatiques et l'accueil psychiatrique.

S. R.: J'ai été impressionnée par les consultations sans rendez-vous des unités tourquennoises de psychiatrie [établissement public de santé mentale -EPSM- Lille-Métropole]. On y accède par un petit portail qui ne paye pas de mine, comme si on entrait dans une maison. Les patients peuvent venir à n'importe quelle heure du jour. J'ai trouvé que c'était très intéressant car cela permettait d'avoir une pré-urgence, avec un entretien avec un infirmier. Les personnes qui ne se sentent pas bien ont une porte d'entrée immédiate, facile et rassurante. Et cela soulage les services d'urgence.

A Strasbourg, il y a un dispositif intéressant d'articulation entre la crise, et l'urgence, et les Pass [permanences d'accès aux soins de santé]. A Lille, on a vu le centre 3114 [cf dépêche du 04/10/2021 à 12:30].

Il y a vraiment des organisations intéressantes mais j'ai l'impression de visiter des expérimentations à chaque fois… Il faudrait presque tout cela partout! Les équipes répondent à un appel à projet de l'ARS [agence régionale de santé], développent un dispositif pertinent; à côté, d'autres équipes développent un autre dispositif… Je pense qu'il faudrait normaliser tout cela. On nous a beaucoup dit "ras le bol des appels à projets".



"Des auditions alarmantes sur les migrants"

Lors de l'entretien avec APMnews, Sandrine Rousseau a fait part d'"auditions alarmantes sur les migrants".

"Les migrants aujourd'hui sont dans des situations psychiatriques terribles, compte tenu des traumas qu'ils ont pu subir dans leur parcours de migration. Et ils sont totalement relégués, vraiment en marge de ce qui est en marge."

"Il y a une alerte spécifique sur cette population-là. Ces personnes ont besoin de soins et d'accompagnement."

vl-jr/nc/APMnews

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(Propos recueillis par Valérie LESPEZ et Julie RICHARD)

PARIS, 8 mars 2024 (APMnews) - Les députées Nicole Dubré-Chirat (Renaissance, Maine-et-Loire) et Sandrine Rousseau (Ecologistes-Nupes, Paris), interrogées par APMnews mardi sur l'avancée de leur mission d'information portant sur "la prise en charge des urgences psychiatriques", ont appelé à un "projet politique" global pour la psychiatrie.

Depuis le lancement de leurs travaux, début janvier (cf dépêche du 17/01/2024 à 11:47), Sandrine Rousseau et Nicole Dubré-Chirat ont auditionné plus d'une vingtaine d'organisations, dont des fédérations hospitalières, syndicats de psychiatres, associations de patients et de familles, et autorités sanitaires.

Elles ont également effectué plusieurs déplacements, notamment en Ile-de-France et dans le Nord, et prévoient de se rendre entre autres à Nantes, Marseille, Toulouse (cf dépêche du 19/02/2024 à 19:21, dépêche du 21/02/2024 à 12:11, dépêche du 22/02/2024 à 17:25), Lyon.

APMnews: Pourquoi avoir lancé cette mission spécifiquement sur les urgences psychiatriques?

Nicole Dubret-Chirat et Sandrine Rousseau - Photo: Julie Richard/APMnews
Nicole Dubret-Chirat et Sandrine Rousseau - Photo: Julie Richard/APMnews

Sandrine Rousseau: J'ai reçu un appel à l'aide des structures psychiatriques de ma circonscription, sur l'effondrement de la psychiatrie. Dans le cadre d'une mission d'information, nous devons restreindre notre champ [d'investigation] et par les urgences, on arrive à "attraper" une grande partie du problème de la psychiatrie.

Nicole Dubré-Chirat: Comme c'est une mission d'information, nous devons être deux députés, de groupes différents. C'est un sujet qui m'intéresse en tant qu'ancienne professionnelle de santé. On voit que la psychiatrie se dégrade depuis plusieurs années et qu'il y a eu une accélération avec le Covid […]. Cette mission, sur un temps long -six mois- permet de voir, par l'arrivée aux urgences, le parcours du patient en amont et en aval.

S. R.: Nous rendrons notre rapport en juin pour préparer le PLFSS [projet de loi de financement de la sécurité sociale] de septembre, pour rentrer dans une mise en pression…

A ce stade de la mission, que retenez-vous?

N. D.-C.: Les équipes qui fonctionnent tiennent à des personnes qui ont mis en place des dispositifs, travaillent en projet, et maintiennent des équipes présentes. Là où il n'y a pas de projet, c'est plus compliqué.

On voit qu'on est face à une situation de crise avec un manque de psychiatres, d'infirmières en santé mentale, un manque de formation, de prévention, et une difficulté d'accès et de lisibilité pour les patients. De plus, plus on est précaire, plus on est en difficulté pour trouver le bon endroit au bon moment.

S. R.: Je partage ces constats, et j'ajouterai qu'il y a une dégradation de la santé mentale, particulièrement chez les 16-25 ans, dans une proportion qui devrait beaucoup nous inquiéter. En face, la psychiatrie concentre un peu toutes les difficultés de l'hôpital public, avec le manque d'attractivité, le vieillissement des médecins (50% des psychiatres ont plus de 62 ans) ou encore la confrontation à des dispositifs de type intérim qui peuvent mettre des services entiers en tension.

On sent presque un militantisme chez les soignants, qui tiennent malgré tout, envers et contre tout ce qu'on leur impose, y compris des règlements chronophages en termes administratifs, qu'ils ont du mal à concilier avec le temps de soins face aux patients. Beaucoup arrivent à déplacer des montagnes, à faire des miracles, mais cela relève presque d'un engagement personnel, individuel…

Il faudra faire un audit sur les conditions de travail. Les soignants sont confrontés à la souffrance, à l'incapacité de trouver des solutions d'aval -ils renvoient parfois des gens à la rue, pour le dire crûment. Ils sont aussi confrontés possiblement à l'agressivité dans les services. En fait, on a l'impression qu'il y a vraiment un syndrome des cordonniers les plus mal chaussés!

Ce que l'on n'arrive pas complètement à saisir, c'est quel est l'impact véritable de la situation de tension, du manque de personnels, sur les patients.

C'est-à-dire?

S. R.: Le sujet est tabou. […] On n'a aucune donnée sur la médication, sur la contention. On a des témoignages d'adolescents hospitalisés dans des services adultes. C'est à peine abordé par les professionnels dans les auditions, parce qu'eux-mêmes en souffrent, de cette affaire-là. On nous rapporte des patients qui viennent aux urgences, qu'on assomme de médicaments pendant 48 heures, que parfois on contentionne, et qu'on laisse sans trop de solutions d'aval.

On a eu des alertes sur la corrélation entre le nombre d'intérimaires dans un service, et le recours à ces pratiques. Non pas que les intérimaires soient de plus mauvais psychiatres, mais comme ils ne sont pas là sur la durée, ils se sentent moins facilement sécurisés dans leur activité. […] C'est vraiment l'angle mort de nos auditions pour l'instant, et j'aimerais vraiment que l'on aille creuser ça.

Par ailleurs, il faut faire un focus particulier sur la pédopsychiatrie: l'urgence en pédopsychiatrie n'est pas conçue, pas pensée. Or, les tentatives de suicide explosant, il y a un besoin de prise en compte de cette urgence…

N. D.-C.: … il y a 40% de postes vacants en pédopsychiatrie.

S. R.: La gestion de la crise de la pédopsychiatrie est aussi un défaut de prise en charge des difficultés en amont. L'aggravation de la précarité aggrave l'exposition aux crises, et il y a tout un secteur, l'ASE [l'aide sociale à l'enfance] et l'éducation nationale, en grande difficulté: il n'y a plus de médecins et d'infirmières scolaires, plus d'accès aux soins dans le cadre de l'ASE.

N. D.-C.: [Plus globalement], dans cette phase-là [où l'on manque de professionnels en psychiatrie, il faut] des actions adaptées qui servent de "filtre", comme les infirmières de pratique avancée [IPA], les psychologues, pour penser de manière graduée et adaptée l'accès aux soins. Tout le monde n'a pas besoin d'arriver jusqu'à la psychiatrie.

A ce stade de la mission, pensez-vous qu'il y a un problème financier, d'organisation des soins? Les deux?

S. R.: Pour moi, il y a évidemment une question de moyens, mais au-delà des moyens, une question stratégique: quelle stratégie de soutien, de développement et d'évolution de la psychiatrie on met en place? Il y a presque quelque chose de l'ordre du symbolique ou du philosophique, qui est la relégation de tout ce qui a trait à la psychiatrie, aujourd'hui, dans la société. C'est ce qu'on ne veut pas voir! Et cela n'est plus possible, compte tenu des chiffres en explosion.

Il va [aussi] falloir replacer la psychiatrie dans le soin. Les soignants, et c'est bien légitime, ne veulent pas être les derniers secours d'un système social défaillant. Que l'on gère par le social ce qui doit relever du social, et qu'on ne laisse pas les professionnels de la psychiatrie en dernière ligne d'une urgence qui, au fond, est en partie sociale. C'est vraiment un projet politique en soi.

En tout cas, il y a vraiment une dichotomie entre l'ampleur du sujet et l'absence complète de stratégie publique.

N. D.-C.: La psychiatrie est sans doute la spécialité qui a à prendre en compte le plus l'aspect global de la personne, dans sa vie au quotidien. Or, on n'a pas de visée globale de la prise en charge des patients en général. On n'a pas de projet global pour la psychiatrie.

Il va être nécessaire de se poser et de réfléchir aux priorités […], de manière à peut-être revoir ces parcours, l'accès gradué aux soins.

La psychiatrie était plutôt en avance quand la sectorisation et la prise en charge ambulatoire ont été instituées, mais aujourd'hui, on voit bien qu'on est au bout d'un cycle, et qu'il faut réfléchir à une prise en charge plus globale, et avec un projet politique de santé mentale.

Pensez-vous qu'il faut revoir l'organisation en secteurs?

S. R.: Nous sommes encore en réflexion. Les soignants que nous avons auditionnés sont pour le maintien de la sectorisation.

Une partie de la population est tellement précaire, que pour ces personnes, le secteur n'a pas forcément de sens. Et pour les jeunes, que prend-on comme secteur? Les parents? Ce n'est pas évident. La sectorisation est aussi parfois un moyen de gérer l'afflux et de renvoyer éventuellement un patient s'il n'est pas du secteur. Néanmoins, la sectorisation est un lien de proximité, et c'est indispensable.

On a peut-être besoin, et ça fait partie de la valorisation du métier, d'identifier par pathologie des parcours de soins, éventuellement des spécialisations professionnelles, et de défricher cette espèce de "masse molle" qu'on appelle la psychiatrie.

N. D.-C.: Aujourd'hui, le secteur a besoin d'être aménagé. Une évolution est nécessaire, on le voit avec les centres experts aussi [cf dépêche du 05/03/2024 à 10:49 et dépêche du 29/02/2024 à 19:12]. Il y a un travail de repérage, de diagnostic de certaines pathologies et de prises en charge plus adaptées, pour éviter la période de crise, et si elle arrive, elle peut alors être mieux gérée.

Et pour les urgences psychiatriques, spécifiquement?

S. R.: Ce n'est pas au patient de savoir ce qu'il a, donc il y a forcément un point d'entrée qui doit être commun à tout le monde.

On a posé plusieurs fois la question et ça n'est pas encore très établi. Mais quand on a fait le plan cancer, on a noué les problématiques de points d'entrée, de simplification pour le patient, et de spécialisation. Pour la psychiatrie, il faudrait regarder cela, et peut-être faire un point d'entrée d'accueil de qualité, puis, différencier les parcours de soins en fonction des pathologies, et accrocher cela à la recherche.

Qu'est-ce qui vous semble le plus urgent à résoudre?

S. R.: L'urgence, c'est vraiment le manque de personnels.

N. D-C: Il faut des gens formés qui travaillent dans des équipes pluridisciplinaires.

Mais comment les trouver?

N. D-C: Si on redore le blason de la psychiatrie, on la rend plus attractive.

S. R.: Il y a une question de rémunérations, d'attractivité et de projets.

J'ai personnellement été frappée par le fait que les infirmiers et les infirmières étaient formées in situ par la structure qui les embauche. Or, il y a quand même besoin d'une formation spécifique en psychiatrie, au niveau national, qui peut ensuite être complétée in situ.

N. D.-C.: Il faut ajouter un module de formation des infirmières pour qu'elle soit plus adaptée à la prise en charge des patients d'aujourd'hui. Il manque un pavé de formation.

S. R.: Il faut aussi qu'on réfléchisse à l'intégration des psychologues dans les services. C'est très disparate d'un établissement à l'autre: il y a des services où ils sont les bienvenus et d'autres où c'est plus compliqué.

Et il y a une autre question à se poser: qu'est-ce qu'on impose au privé et au libéral? On n'échappera pas à cette réflexion.

Dans vos visites de terrain, quels dispositifs intéressants avez-vous repérés?

N. D.-C.: Les SAS [services d'accès aux soins] qui permettent l'accès à une première évaluation téléphonique et une orientation par une infirmière en santé mentale. Le dispositif IPA fonctionne, à condition qu'il s'articule bien avec les médecins. Il y a aussi les plateaux d'accueil qui mixent les avis somatiques et l'accueil psychiatrique.

S. R.: J'ai été impressionnée par les consultations sans rendez-vous des unités tourquennoises de psychiatrie [établissement public de santé mentale -EPSM- Lille-Métropole]. On y accède par un petit portail qui ne paye pas de mine, comme si on entrait dans une maison. Les patients peuvent venir à n'importe quelle heure du jour. J'ai trouvé que c'était très intéressant car cela permettait d'avoir une pré-urgence, avec un entretien avec un infirmier. Les personnes qui ne se sentent pas bien ont une porte d'entrée immédiate, facile et rassurante. Et cela soulage les services d'urgence.

A Strasbourg, il y a un dispositif intéressant d'articulation entre la crise, et l'urgence, et les Pass [permanences d'accès aux soins de santé]. A Lille, on a vu le centre 3114 [cf dépêche du 04/10/2021 à 12:30].

Il y a vraiment des organisations intéressantes mais j'ai l'impression de visiter des expérimentations à chaque fois… Il faudrait presque tout cela partout! Les équipes répondent à un appel à projet de l'ARS [agence régionale de santé], développent un dispositif pertinent; à côté, d'autres équipes développent un autre dispositif… Je pense qu'il faudrait normaliser tout cela. On nous a beaucoup dit "ras le bol des appels à projets".



"Des auditions alarmantes sur les migrants"

Lors de l'entretien avec APMnews, Sandrine Rousseau a fait part d'"auditions alarmantes sur les migrants".

"Les migrants aujourd'hui sont dans des situations psychiatriques terribles, compte tenu des traumas qu'ils ont pu subir dans leur parcours de migration. Et ils sont totalement relégués, vraiment en marge de ce qui est en marge."

"Il y a une alerte spécifique sur cette population-là. Ces personnes ont besoin de soins et d'accompagnement."

vl-jr/nc/APMnews

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