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11/03 2024
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POURQUOI LA PSYCHIATRIE DE SECTEUR N'ATTIRE PLUS LES JEUNES MÉDECINS?

(Par Julie RICHARD, au congrès annuel de l'USP)

PARIS, 11 mars 2024 (APMnews) - Alors que la psychiatrie publique fait face à une importante crise démographique, l'organisation en secteurs peine aujourd'hui à attirer les plus jeunes générations de médecins, ont constaté plusieurs psychiatres hospitaliers et internes, lors du 39e congrès annuel de l'Union syndicale de la psychiatrie (USP), qui s'est tenu de vendredi à dimanche à Paris.

A l'occasion d'une table ronde intitulée "actualités de la psychiatrie", plusieurs membres de l'USP et des internes en psychiatrie ont débattu sur la crise que traverse actuellement la psychiatrie de secteur.

"Alors même que la Commission nationale de psychiatrie [souhaite] maintenir la psychiatrie de secteur, on observe partout qu'elle est déconstruite", a déploré en préambule la Dr Delphine Glachant, présidente du syndicat.

"Dans beaucoup d'hôpitaux, la psychiatrie est aujourd'hui organisée en réseaux et saucissonnée en centres de réhabilitation ou en pavillons de dépressifs résistants", a-t-elle décrit.

Une transformation de l'organisation des soins attirerait, selon elle, beaucoup les plus jeunes générations de médecins: partout où une "nouvelle équipe mobile ou un service de réhabilitation psychosociale ouvre, les jeunes s'engouffrent dans ces projets intersectoriels", mis en place par les établissements de santé, a-t-elle noté.

Invité à réagir à ces premières observations, le président de l'Association française et fédérative des étudiants de psychiatrie (Affep), Nicolas Doudeau (interne en psychiatrie sur Lille), a livré plusieurs éléments d'analyse, permettant d'expliquer le désintérêt général du secteur chez les étudiants et jeunes médecins.

Lourdeur de la permanence des soins

"La représentation de la psychiatrie de secteur qu'ont les internes est celle d'une psychiatrie extrêmement morcelée, avec une extrême lourdeur de la permanence des soins (PDS)", a-t-il tout d'abord relaté.

"Alors que sur une semaine, la PDS [représente] 60% du temps au total à l'hôpital […], cette lourdeur fait très peur aux internes", a-t-il explicité. "Et en parallèle de ça, on observe une évolution des mœurs où la vie personnelle prend une place plus importante sur le travail que ça ne pouvait l'être il y a quelques années."

Un phénomène selon lui observé "partout", aussi bien dans les CHU que dans les services généraux de psychiatrie. "Quand j'entends qu'un nouveau service de réhabilitation a ouvert et que tout le monde se rue dessus, j'entends surtout que le service qui plaît n'a pas de permanence des soins", a-t-il pointé.

Le secteur porterait également selon lui l'image d'un modèle marqué par la "proximité" et par l'importante "chronicisation des patients", notamment dans les services d'hospitalisation à temps plein.

"Beaucoup de patients issus du secteur sont là de manière chronique, donc là de manière longue, non pas par manque d'efficience du secteur mais par manque de capacités en aval", a-t-il affirmé.

Une image peu attractive à son avis, car elle renverrait à la dimension parfois "asilaire" de l'hôpital. "Ça peut être cause de perte d'intérêt ou de perte de sens pour la pratique du soin, car le jeune médecin se sent totalement impuissant."

Il a également noté l'important "isolement ressenti par les internes" lors de leurs stages, du fait de l'organisation en secteurs des établissements de santé les accueillant.

"Les chirurgiens, les neurochirurgiens qui sont 10 fois moins que nous ont un esprit de corps pendant l'internat qui est beaucoup plus fort. Alors que nous, quand on est dans un secteur, on est un ou deux internes, et on n'est jamais tous les deux au même endroit", a-t-il souligné.

Enfin, "l'engagement dans le service public est quelque chose que je ne retrouve plus du tout chez les jeunes", a-t-il déclaré. "L'investissement pour l'hôpital public à vie est vécu différemment par les jeunes générations qui pendant des années n'ont pas exercé de postes de décision au sein de l'hôpital, donc leur rapport à l'institution est différent de celui des praticiens hospitaliers", a-t-il détaillé.

"Sentiment d'impuissance"

Cette analyse n'a pas manqué de faire réagir l'assemblée.

"Ce que tu dis sur l'isolement [des internes] est très juste mais ça va dépendre des structures et de leur taille", a nuancé la Dr Claire Gekiere, praticienne hospitalière à la retraite ayant exercé en Savoie et membre de l'USP, qui a noté le nombre grandissant de "superstructures", comme les groupements hospitaliers de territoire (GHT).

Réagissant également aux propos de Nicolas Doudeau, Delphine Glachant a reconnu la difficulté de faire face à la chronicité en psychiatrie. "Dans une unité d'hospitalisation de secteur, il y a aussi bien les entrants aigus que les patients plus chroniques et il est vrai qu'il peut être difficile de faire face à ses patients, surtout de ne pas y arriver, d'être très impuissant", a-t-elle noté, relevant toutefois qu'accepter cela "faisait partie du métier".

Si elle n'a pas nié la lourdeur de la PDS pour les internes, elle a toutefois appelé à la prudence sur cet argument. "Dans l'établissement où je travaillais, nous avions décidé que les internes n'étaient pas obligés de participer aux gardes. Mais cela a posé un gros problème aux praticiens hospitaliers qui, de moins en moins nombreux, ont dû assurer en petit nombre les gardes et astreintes, ce qui est devenu très pesant", a-t-elle raconté.

jr/ab/APMnews

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(Par Julie RICHARD, au congrès annuel de l'USP)

PARIS, 11 mars 2024 (APMnews) - Alors que la psychiatrie publique fait face à une importante crise démographique, l'organisation en secteurs peine aujourd'hui à attirer les plus jeunes générations de médecins, ont constaté plusieurs psychiatres hospitaliers et internes, lors du 39e congrès annuel de l'Union syndicale de la psychiatrie (USP), qui s'est tenu de vendredi à dimanche à Paris.

A l'occasion d'une table ronde intitulée "actualités de la psychiatrie", plusieurs membres de l'USP et des internes en psychiatrie ont débattu sur la crise que traverse actuellement la psychiatrie de secteur.

"Alors même que la Commission nationale de psychiatrie [souhaite] maintenir la psychiatrie de secteur, on observe partout qu'elle est déconstruite", a déploré en préambule la Dr Delphine Glachant, présidente du syndicat.

"Dans beaucoup d'hôpitaux, la psychiatrie est aujourd'hui organisée en réseaux et saucissonnée en centres de réhabilitation ou en pavillons de dépressifs résistants", a-t-elle décrit.

Une transformation de l'organisation des soins attirerait, selon elle, beaucoup les plus jeunes générations de médecins: partout où une "nouvelle équipe mobile ou un service de réhabilitation psychosociale ouvre, les jeunes s'engouffrent dans ces projets intersectoriels", mis en place par les établissements de santé, a-t-elle noté.

Invité à réagir à ces premières observations, le président de l'Association française et fédérative des étudiants de psychiatrie (Affep), Nicolas Doudeau (interne en psychiatrie sur Lille), a livré plusieurs éléments d'analyse, permettant d'expliquer le désintérêt général du secteur chez les étudiants et jeunes médecins.

Lourdeur de la permanence des soins

"La représentation de la psychiatrie de secteur qu'ont les internes est celle d'une psychiatrie extrêmement morcelée, avec une extrême lourdeur de la permanence des soins (PDS)", a-t-il tout d'abord relaté.

"Alors que sur une semaine, la PDS [représente] 60% du temps au total à l'hôpital […], cette lourdeur fait très peur aux internes", a-t-il explicité. "Et en parallèle de ça, on observe une évolution des mœurs où la vie personnelle prend une place plus importante sur le travail que ça ne pouvait l'être il y a quelques années."

Un phénomène selon lui observé "partout", aussi bien dans les CHU que dans les services généraux de psychiatrie. "Quand j'entends qu'un nouveau service de réhabilitation a ouvert et que tout le monde se rue dessus, j'entends surtout que le service qui plaît n'a pas de permanence des soins", a-t-il pointé.

Le secteur porterait également selon lui l'image d'un modèle marqué par la "proximité" et par l'importante "chronicisation des patients", notamment dans les services d'hospitalisation à temps plein.

"Beaucoup de patients issus du secteur sont là de manière chronique, donc là de manière longue, non pas par manque d'efficience du secteur mais par manque de capacités en aval", a-t-il affirmé.

Une image peu attractive à son avis, car elle renverrait à la dimension parfois "asilaire" de l'hôpital. "Ça peut être cause de perte d'intérêt ou de perte de sens pour la pratique du soin, car le jeune médecin se sent totalement impuissant."

Il a également noté l'important "isolement ressenti par les internes" lors de leurs stages, du fait de l'organisation en secteurs des établissements de santé les accueillant.

"Les chirurgiens, les neurochirurgiens qui sont 10 fois moins que nous ont un esprit de corps pendant l'internat qui est beaucoup plus fort. Alors que nous, quand on est dans un secteur, on est un ou deux internes, et on n'est jamais tous les deux au même endroit", a-t-il souligné.

Enfin, "l'engagement dans le service public est quelque chose que je ne retrouve plus du tout chez les jeunes", a-t-il déclaré. "L'investissement pour l'hôpital public à vie est vécu différemment par les jeunes générations qui pendant des années n'ont pas exercé de postes de décision au sein de l'hôpital, donc leur rapport à l'institution est différent de celui des praticiens hospitaliers", a-t-il détaillé.

"Sentiment d'impuissance"

Cette analyse n'a pas manqué de faire réagir l'assemblée.

"Ce que tu dis sur l'isolement [des internes] est très juste mais ça va dépendre des structures et de leur taille", a nuancé la Dr Claire Gekiere, praticienne hospitalière à la retraite ayant exercé en Savoie et membre de l'USP, qui a noté le nombre grandissant de "superstructures", comme les groupements hospitaliers de territoire (GHT).

Réagissant également aux propos de Nicolas Doudeau, Delphine Glachant a reconnu la difficulté de faire face à la chronicité en psychiatrie. "Dans une unité d'hospitalisation de secteur, il y a aussi bien les entrants aigus que les patients plus chroniques et il est vrai qu'il peut être difficile de faire face à ses patients, surtout de ne pas y arriver, d'être très impuissant", a-t-elle noté, relevant toutefois qu'accepter cela "faisait partie du métier".

Si elle n'a pas nié la lourdeur de la PDS pour les internes, elle a toutefois appelé à la prudence sur cet argument. "Dans l'établissement où je travaillais, nous avions décidé que les internes n'étaient pas obligés de participer aux gardes. Mais cela a posé un gros problème aux praticiens hospitaliers qui, de moins en moins nombreux, ont dû assurer en petit nombre les gardes et astreintes, ce qui est devenu très pesant", a-t-elle raconté.

jr/ab/APMnews

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