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06/07 2022
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USAGE RÉCRÉATIF DU PROTOXYDE D'AZOTE: DES INTOXICATIONS EN HAUSSE, PLUS GRAVES ET NOUVELLES

NANTES, 6 juillet 2022 (APMnews) - Les cas d'intoxication liés à l'usage récréatif du protoxyde d'azote ou "gaz hilarant" continuent d'augmenter en France, avec de nouveaux types de complications, cardiovasculaires en plus des problèmes neurologiques déjà connus, et des tableaux cliniques plus graves, s'alarme l'Association française des centres d'addictovigilance.

Dans un communiqué, fin juin, le réseau des 13 centres d'évaluation et d'information sur la pharmacodépendance-addictovigilance (CEIP-A) se disait "particulièrement inquiet de l'ampleur de cette situation" après une première alerte en 2019 (cf dépêche du 08/11/2019 à 17:12) et des cas en "très nette augmentation" en 2020 (cf dépêche du 17/11/2021 à 14:33).

Depuis, "le nombre de cas évalués par le réseau a été multiplié par 10 et le nombre de cas graves est aussi en augmentation", selon les données pour 2021. Le CEIP-A de Nantes a remis son rapport annuel à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), précise à APMnews la présidente de l'association, le Pr Joëlle Micallef du CEIP-A de Paca-Corse à l'hôpital de La Timone à Marseille (AP-HM).

Mais "la situation a pris une telle ampleur que nous avons préféré communiquer une nouvelle fois", avant la publication du rapport (celui pour 2020 avait été diffusé en novembre 2021, NDLR). A la mi-2022, les cas qui parviennent aux centres confirment cette tendance.

"Le protoxyde d'azote est devenu le deuxième ou troisième produit le plus consommé, parfois dès 11-12 ans! On n'est plus dans l'usage confidentiel! La situation a changé, elle n'est plus limitée aux Hauts-de-France mais touche tous les territoires. Cet usage détourné concerne des mineurs mais aussi de jeunes adultes qui se font livrer à domicile et peuvent provoquer des accidents de la route en prenant le volant!"

Déjà peu sensibles à l'information sanitaire, les jeunes qui consomment du gaz hilarant ne perçoivent pas ses dangers. "Ils n'ont pas le même profil que des polytoxicomanes, c'est un usage festif", ajoute le Pr Micallef, qui se déclare "préoccupée".

La presse en rapporte depuis plusieurs mois, avec des décès parfois, ainsi que des courses en trottinette électrique sous gaz hilarant, note-t-on. "Sur le plan médico-légal, il est difficile de retrouver un gaz dans le sang et même en cas de décès, c'est compliqué. Le protoxyde d'azote est soupçonné d'aggraver la situation lorsque des cartouches ou des bonbonnes sont retrouvées dans la voiture", explique la pharmacologue marseillaise.

De jeunes adultes impliqués dans des accidents de la route

En 2021, ce sont quelque 500 cas qui ont été rapportés et analysés par les CEIP-A de toute la France, touchant des jeunes de 22 ans d'âge moyen, les mineurs ne représentant qu'un dixième des cas. "Et ce qui remonte n'est que la partie émergée de l'iceberg, moins de 1% des cas," à cause de la sous-déclaration habituelle et d'un lien pas toujours établi avec le protoxyde d'azote, souligne-t-elle.

"Les neurologues établissent très bien les diagnostics mais ils ne font pas systématiquement le rapprochement avec le protoxyde d'azote et c'est essentiel pour dire d'arrêter de consommer ce produit."

Il y a encore quelques années, l'usage récréatif du protoxyde d'azote était limité aux étudiants en médecine, qui détournaient de manière occasionnelle des bouteilles de Meopa, un mélange d'oxygène et de protoxyde d'azote utilisé en anesthésie. Ce sont ensuite les cartouches pour siphon à chantilly qui ont été détournées, accessibles très facilement en grande surface et sur internet en grande quantité, et désormais, il est possible de trouver des bonbonnes qui représentent plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de cartouches.

"En médecine, le protoxyde d'azote est mélangé à de l'oxygène à 50% et il est régi par le régime des stupéfiants. Dans les cartouches et les bonbonnes, c'est du protoxyde de gaz pur et ce n'est pas réglementé", déplore la pharmacologue marseillaise.

Selon les cas analysés, la consommation de gaz hilarant avec ces bonbonnes est devenue "la norme", favorisant un usage en groupe et répété. En outre, l'effet du protoxyde d'azote est rapide et très court, ce qui participe également à multiplier les prises. "Avant, les complications neurologiques émergeaient après plusieurs années de consommation excessive", rappelle-t-elle.

Ces complications neurologiques, qui restent les plus rapportées en 2021, sont présentes dans 80% des cas. Le nombre de cas d'atteintes diagnostiquées comme centrales (médullaires) ou périphériques (neuropathies) a triplé entre 2020 et 2021, précise l'association dans son communiqué.

Les déficits sensitivo-moteurs (troubles de la sensibilité, de la marche et de la force, incontinence) peuvent nécessiter une rééducation longue et difficile et en l'absence de repérage et de prise en charge précoce et adaptée, être à l'origine de séquelles et potentiellement de handicap persistant, souligne-t-elle.

De nouvelles complications graves cardiovasculaires

Les CEIP-A décrivent également "de nouvelles complications graves notamment cardiovasculaires, avec plusieurs cas d'effets thrombotiques rapportés (syndrome coronaire aigu, embolie pulmonaire, thrombose veineuse profonde) favorisé souvent par une hyperhomocystéinémie secondaire à un trouble de la vitamine B12 induit par le protoxyde d'azote".

L'inhalation de ce gaz peut induire par ailleurs une asphyxie, entraînant malaise et troubles du rythme cardiaque. "Avec l'effet de la quantité et l'aggravation des symptômes, le traitement par vitamine B12 ne permet plus de récupérer totalement", s'inquiète le Pr Micallef.

Enfin, l'usage répété de grande quantité de cette substance aux propriétés addictives démontrées chez l'animal entraîne des troubles de l'usage, présents dans près de 90% des cas analysés. Au-delà, des symptômes psychiatriques anxieux, thymiques, psychotiques ainsi que des troubles du comportement sont aussi rapportés.

Les données 2021 montrent par ailleurs une évolution des effets recherchés, de l'euphorie à l'anxiolyse et la défonce, probablement sous l'effet de la pandémie de Covid-19 et du premier confinement au printemps 2020 en particulier, comme l'a observé le réseau des CEIP-A, souligne la pharmacologue.

"Le confinement a révélé des conduites addictives de consommateurs qui ne pouvaient plus se fournir en protoxyde d'azote. Des parents confrontés à la situation ont alerté leur médecin traitant", rapporte-t-elle.

Des actions fortes attendues

La loi promulguée en juin 2021 visant à prévenir les usages détournés et dangereux du protoxyde d'azote en particulier chez les mineurs (cf dépêche du 02/06/2021 à 10:49) n'a pas eu d'effet pour le moment, les textes d'application étant encore en cours d'examen par la Commission européenne et les Etats membres (cf dépêche du 08/02/2022 à 18:29) jusqu'au 9 août, est-il indiqué sur le site de la Commission.

"La problématique touche d'autres pays européens" mais en France, la réglementation actuelle semble permettre déjà d'agir, comprend le Pr Micallef en se référant à une analyse juridique publiée dans le Journal de droit de la santé et de l'assurance maladie.

Elle ajoute qu'il semble par ailleurs possible de trouver tout simplement un autre produit pour les siphons à chantilly pour remplacer le protoxyde d'azote, qui est en outre un gaz à effet de serre, note-t-on.

Avec l'ensemble des CEIP-A, elle attend à présent "une action publique forte" pour continuer à sensibiliser les professionnels de santé et les associations d'usagers et renforcer l'information, la prévention, le repérage et la prise en charge.

ld/nc/APMnews

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NANTES, 6 juillet 2022 (APMnews) - Les cas d'intoxication liés à l'usage récréatif du protoxyde d'azote ou "gaz hilarant" continuent d'augmenter en France, avec de nouveaux types de complications, cardiovasculaires en plus des problèmes neurologiques déjà connus, et des tableaux cliniques plus graves, s'alarme l'Association française des centres d'addictovigilance.

Dans un communiqué, fin juin, le réseau des 13 centres d'évaluation et d'information sur la pharmacodépendance-addictovigilance (CEIP-A) se disait "particulièrement inquiet de l'ampleur de cette situation" après une première alerte en 2019 (cf dépêche du 08/11/2019 à 17:12) et des cas en "très nette augmentation" en 2020 (cf dépêche du 17/11/2021 à 14:33).

Depuis, "le nombre de cas évalués par le réseau a été multiplié par 10 et le nombre de cas graves est aussi en augmentation", selon les données pour 2021. Le CEIP-A de Nantes a remis son rapport annuel à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), précise à APMnews la présidente de l'association, le Pr Joëlle Micallef du CEIP-A de Paca-Corse à l'hôpital de La Timone à Marseille (AP-HM).

Mais "la situation a pris une telle ampleur que nous avons préféré communiquer une nouvelle fois", avant la publication du rapport (celui pour 2020 avait été diffusé en novembre 2021, NDLR). A la mi-2022, les cas qui parviennent aux centres confirment cette tendance.

"Le protoxyde d'azote est devenu le deuxième ou troisième produit le plus consommé, parfois dès 11-12 ans! On n'est plus dans l'usage confidentiel! La situation a changé, elle n'est plus limitée aux Hauts-de-France mais touche tous les territoires. Cet usage détourné concerne des mineurs mais aussi de jeunes adultes qui se font livrer à domicile et peuvent provoquer des accidents de la route en prenant le volant!"

Déjà peu sensibles à l'information sanitaire, les jeunes qui consomment du gaz hilarant ne perçoivent pas ses dangers. "Ils n'ont pas le même profil que des polytoxicomanes, c'est un usage festif", ajoute le Pr Micallef, qui se déclare "préoccupée".

La presse en rapporte depuis plusieurs mois, avec des décès parfois, ainsi que des courses en trottinette électrique sous gaz hilarant, note-t-on. "Sur le plan médico-légal, il est difficile de retrouver un gaz dans le sang et même en cas de décès, c'est compliqué. Le protoxyde d'azote est soupçonné d'aggraver la situation lorsque des cartouches ou des bonbonnes sont retrouvées dans la voiture", explique la pharmacologue marseillaise.

De jeunes adultes impliqués dans des accidents de la route

En 2021, ce sont quelque 500 cas qui ont été rapportés et analysés par les CEIP-A de toute la France, touchant des jeunes de 22 ans d'âge moyen, les mineurs ne représentant qu'un dixième des cas. "Et ce qui remonte n'est que la partie émergée de l'iceberg, moins de 1% des cas," à cause de la sous-déclaration habituelle et d'un lien pas toujours établi avec le protoxyde d'azote, souligne-t-elle.

"Les neurologues établissent très bien les diagnostics mais ils ne font pas systématiquement le rapprochement avec le protoxyde d'azote et c'est essentiel pour dire d'arrêter de consommer ce produit."

Il y a encore quelques années, l'usage récréatif du protoxyde d'azote était limité aux étudiants en médecine, qui détournaient de manière occasionnelle des bouteilles de Meopa, un mélange d'oxygène et de protoxyde d'azote utilisé en anesthésie. Ce sont ensuite les cartouches pour siphon à chantilly qui ont été détournées, accessibles très facilement en grande surface et sur internet en grande quantité, et désormais, il est possible de trouver des bonbonnes qui représentent plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de cartouches.

"En médecine, le protoxyde d'azote est mélangé à de l'oxygène à 50% et il est régi par le régime des stupéfiants. Dans les cartouches et les bonbonnes, c'est du protoxyde de gaz pur et ce n'est pas réglementé", déplore la pharmacologue marseillaise.

Selon les cas analysés, la consommation de gaz hilarant avec ces bonbonnes est devenue "la norme", favorisant un usage en groupe et répété. En outre, l'effet du protoxyde d'azote est rapide et très court, ce qui participe également à multiplier les prises. "Avant, les complications neurologiques émergeaient après plusieurs années de consommation excessive", rappelle-t-elle.

Ces complications neurologiques, qui restent les plus rapportées en 2021, sont présentes dans 80% des cas. Le nombre de cas d'atteintes diagnostiquées comme centrales (médullaires) ou périphériques (neuropathies) a triplé entre 2020 et 2021, précise l'association dans son communiqué.

Les déficits sensitivo-moteurs (troubles de la sensibilité, de la marche et de la force, incontinence) peuvent nécessiter une rééducation longue et difficile et en l'absence de repérage et de prise en charge précoce et adaptée, être à l'origine de séquelles et potentiellement de handicap persistant, souligne-t-elle.

De nouvelles complications graves cardiovasculaires

Les CEIP-A décrivent également "de nouvelles complications graves notamment cardiovasculaires, avec plusieurs cas d'effets thrombotiques rapportés (syndrome coronaire aigu, embolie pulmonaire, thrombose veineuse profonde) favorisé souvent par une hyperhomocystéinémie secondaire à un trouble de la vitamine B12 induit par le protoxyde d'azote".

L'inhalation de ce gaz peut induire par ailleurs une asphyxie, entraînant malaise et troubles du rythme cardiaque. "Avec l'effet de la quantité et l'aggravation des symptômes, le traitement par vitamine B12 ne permet plus de récupérer totalement", s'inquiète le Pr Micallef.

Enfin, l'usage répété de grande quantité de cette substance aux propriétés addictives démontrées chez l'animal entraîne des troubles de l'usage, présents dans près de 90% des cas analysés. Au-delà, des symptômes psychiatriques anxieux, thymiques, psychotiques ainsi que des troubles du comportement sont aussi rapportés.

Les données 2021 montrent par ailleurs une évolution des effets recherchés, de l'euphorie à l'anxiolyse et la défonce, probablement sous l'effet de la pandémie de Covid-19 et du premier confinement au printemps 2020 en particulier, comme l'a observé le réseau des CEIP-A, souligne la pharmacologue.

"Le confinement a révélé des conduites addictives de consommateurs qui ne pouvaient plus se fournir en protoxyde d'azote. Des parents confrontés à la situation ont alerté leur médecin traitant", rapporte-t-elle.

Des actions fortes attendues

La loi promulguée en juin 2021 visant à prévenir les usages détournés et dangereux du protoxyde d'azote en particulier chez les mineurs (cf dépêche du 02/06/2021 à 10:49) n'a pas eu d'effet pour le moment, les textes d'application étant encore en cours d'examen par la Commission européenne et les Etats membres (cf dépêche du 08/02/2022 à 18:29) jusqu'au 9 août, est-il indiqué sur le site de la Commission.

"La problématique touche d'autres pays européens" mais en France, la réglementation actuelle semble permettre déjà d'agir, comprend le Pr Micallef en se référant à une analyse juridique publiée dans le Journal de droit de la santé et de l'assurance maladie.

Elle ajoute qu'il semble par ailleurs possible de trouver tout simplement un autre produit pour les siphons à chantilly pour remplacer le protoxyde d'azote, qui est en outre un gaz à effet de serre, note-t-on.

Avec l'ensemble des CEIP-A, elle attend à présent "une action publique forte" pour continuer à sensibiliser les professionnels de santé et les associations d'usagers et renforcer l'information, la prévention, le repérage et la prise en charge.

ld/nc/APMnews

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