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29/05 2020
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LA CRISE DU COVID RELANCE LES PLAIDOYERS POUR LA DÉCENTRALISATION DES POLITIQUES DE SANTÉ

PARIS, 29 mai 2020 (APMnews) - La piste de la décentralisation des politiques de santé a été défendue par des élus jeudi lors d'une table ronde au Sénat, qui visait à tirer un "premier bilan" de la coordination entre les collectivités territoriales et les agences régionales de santé (ARS) pendant la crise sanitaire du Covid-19.

La crise sanitaire "pousse à examiner les capacités d'action de nos institutions", a exposé Jean-Marie Bockel, sénateur (UDI) du Haut-Rhin et président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, à l'initiative de la table ronde.

Les ARS n'étaient pas représentées dans ces échanges, car l'objectif n'était pas de faire "leur procès", a-t-il expliqué, renvoyant d'ailleurs à la commission d'enquête lancée au Sénat sur la crise sanitaire.

Plusieurs voix, notamment parmi les représentants des élus locaux, se sont déjà élevées pour critiquer la gestion de la crise sanitaire par les services de l'Etat et plaider pour une décentralisation des politiques de santé, note-t-on (cf dépêche du 14/05/2020 à 14:32, dépêche du 05/05/2020 à 12:52).

Le sénateur a d'emblée soumis au débat une série d'accusations: "Les ARS seraient trop distantes des territoires, associeraient trop peu les acteurs locaux, seraient trop bureaucratiques, fragiles face à des contextes de crise, et la coordination […] au niveau de l'Etat […] était parfois compliquée".

Le lancement du "Ségur de la santé" et le prochain projet de loi autonomie sont "autant de points importants qui justifient de remettre à plat l'organisation du service public de santé", a considéré Frédéric Bierry, président (LR) du conseil départemental du Bas-Rhin et président de la commission solidarité et affaires sociales de l'Assemblée des départements de France (ADF).

L'organisation d'élus défend, comme l'Association des maires de France (AMF), l'idée d'une plus grande décentralisation en matière de santé (cf dépêche du 13/01/2020 à 15:21).

La crise sanitaire "a mis en relief l'inadaptation de l'ARS aux besoins de santé et médico-sociaux des territoires", a jugé Frédéric Bierry. "La logistique, l'agilité, était territoriale et portée par les élus locaux", a-t-il fait valoir, en référence notamment aux difficultés d'approvisionnement en masques.

Il a aussi relevé que les départements avaient pu se rapprocher des établissements pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) pour connaître leur situation sur le plan sanitaire, opposant cette proximité au "manque de lien direct entre les ARS et les établissements".

Frédéric Bierry a dénoncé "un système administratif à la fois coûteux et essentiellement construit sur du contrôle administratif" et des "démarches cloisonnées".

"Ce que l'on peut attendre de l'Etat, c'est de fixer les objectifs de santé à partir des besoins sanitaires de notre pays, de valoriser financièrement et statutairement les métiers du soin et à la personne", a-t-il plaidé.

Mais "il faut organiser la gestion de la santé à partir des territoires". Il a donc préconisé de "donner un rôle de chef de file aux départements, pour mieux coordonner le sanitaire et le médico-social, en lien avec le bloc local, les services déconcentrés de l'Etat". Les départements "pourraient gérer complètement les Ehpad et j'espère que la loi autonomie ira dans ce sens", a-t-il souligné.

"Il faut pouvoir expérimenter une véritable décentralisation des volets santé, médico-social et social." Dans la perspective de la loi "3D" (décentralisation, différenciation et déconcentration), "j'ai proposé au premier ministre que les missions de l'ARS soient déléguées à la future collectivité européenne d'Alsace qui rassemblera les deux départements [Haut-Rhin et Bas-Rhin], d'abord sous forme de délégation", a-t-il fait savoir.

Par ailleurs, "le préfet doit reprendre la main sur les ARS, elles doivent avoir une dépendance hiérarchique vis-à-vis du préfet" et "il faut qu'on construise des contrats locaux de santé, médico-sociaux et sociaux", dans l'objectif de décloisonner ces secteurs, a-t-il poursuivi.

Revoir l'architecture du système de santé

Jean-Louis Thiériot, député LR de Seine-et-Marne, conseiller départemental, est allé dans le même sens. "J'ai constaté pendant cette crise que l'Etat sanitaire, les ARS en l'occurrence, était peu adapté à la gestion de l'urgence", a-t-il considéré.

"La politique de santé sur un territoire, et notamment la carte hospitalière, ne peut pas être gérée par une instance administrative ou une agence déconcentrée de l'Etat, mais doit être impérativement décentralisée", a-t-il aussi défendu.

"Sans responsabilité politique, on arrive à une vision très technocratique des choses, alors que les seuls qui sont capables de comprendre vraiment les besoins d'un territoire sont les collectivités locales."

"C'est l'ensemble de l'architecture du système de santé qui doit être repensé, sa bureaucratisation", ainsi que le fonctionnement "en tuyaux d'orgue", a-t-il exposé. Il a partagé la volonté d'un "chef de file adapté au territoire" pour la santé et le médico-social. Le département, "sauf cas particulier, est le meilleur pour le faire", a-t-il approuvé.

Dominique Dhumeaux, maire de Fercé-sur-Sarthe et président de l'Association des maires ruraux de France, a également déploré "des liens inexistants entre les élus et cette institution [l'ARS], loin de tout et souvent inaccessible pour le dialogue".

"A partir du moment où l'on n'est pas un élu d'une ville ayant un centre hospitalier sur son périmètre, un élu a très peu de contact avec ces agences", a-t-il pointé.

Il a plaidé pour "intégrer les élus dans le mode de fonctionnement des agences" afin qu'ils puissent apporter leur expertise et relayer notamment "les difficultés que nous avons dans l'accès aux soins".

Plutôt que la décentralisation, une plus grande déconcentration (Frédéric Pierru)

Plutôt que d'en faire des "boucs émissaires" à l'occasion de la crise sanitaire, Frédéric Pierru, sociologue, chargé de recherche au Centre d'études et de recherches administratives, politiques et sociales/CNRS, a préféré souligner "la mauvaise naissance des ARS".

La crise sanitaire a "révélé les malfaçons originelles" des agences, a-t-il estimé, relevant par exemple que "la Cnam [Caisse nationale de l'assurance maladie] a préservé son pré carré" sur la médecine libérale à l'occasion de la loi hôpital, patients, santé et territoires (HPST), alors "que les ARS sont censées avoir la main sur l'ensemble de l'offre de soins".

Il a qualifié les agences de "colosses entravés", relevant également un "compromis bancal" avec les préfets sur le pilotage des moyens consacrés à la sécurité sanitaire.

"Il serait fort dommage de rendre [les ARS] responsables de choses pour lesquelles elles n'ont pas été faites", a-t-il insisté.

"On s'est laissé abuser sur la notion de territoire", a-t-il également considéré. "La difficulté des élus locaux, notamment des élus ruraux, à avoir des relations avec les ARS n'est pas une anomalie, puisque c'était finalement le coeur du projet HPST d'éloigner le régulateur régional de la pression des élus locaux."

Les délégations départementales "ont été vidées de leur contenu", l'objectif "était de recentraliser au siège tout ce qui pouvait l'être", a-t-il ajouté.

"Est-ce que ce sont les ARS seules qu'il faut réformer, certainement pas, c'est l'ensemble du cadre de la loi HPST" qu'il faut revoir, a préconisé Frédéric Pierru. Il faudrait leur "donner un vrai pouvoir décisionnel, ce qui renverrait à une montée en charge du fonds d'intervention régionale" et accorder aux délégations départementales "des vrais moyens humains, d'expertise et décisionnels pour conduire une vraie territorialisation des politiques de santé".

Pour Frédéric Pierru, plutôt que la piste de la décentralisation, qui poserait un problème dans un contexte d'inégalités entre les territoires, il faudrait privilégier "l'option de la déconcentration" et de l'unification des tutelles, pour mettre fin "à la dyarchie assurance maladie/Etat".

Il a invité à suivre trois orientations: "aller vers la déconcentration", "régler le conflit entre les ARS et les préfets" et "associer les élus locaux le plus étroitement possible à ces structures de proximité".

"Je ne pense pas que nous sommes prêts, on peut le regretter, à avoir une vraie décentralisation, mais en revanche, nous sommes tous d'accord sur deux choses", a considéré Jean de Kervasdoué, économiste de la santé, professeur émérite au Cnam, ancien directeur général des hôpitaux. Il s'agit de "coller aux territoires d'une part, s'adapter à la réalité locale, et d'autre part, avoir un Etat qui fonctionne".

"Il faut qu'à l'échelon local, on ait la possibilité de recruter, de gérer, de définir des tarifs et des relations, et ce n'est possible que si on a une certaine autonomie, politique et financière".

mlb/ab/APMnews

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LA CRISE DU COVID RELANCE LES PLAIDOYERS POUR LA DÉCENTRALISATION DES POLITIQUES DE SANTÉ

PARIS, 29 mai 2020 (APMnews) - La piste de la décentralisation des politiques de santé a été défendue par des élus jeudi lors d'une table ronde au Sénat, qui visait à tirer un "premier bilan" de la coordination entre les collectivités territoriales et les agences régionales de santé (ARS) pendant la crise sanitaire du Covid-19.

La crise sanitaire "pousse à examiner les capacités d'action de nos institutions", a exposé Jean-Marie Bockel, sénateur (UDI) du Haut-Rhin et président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, à l'initiative de la table ronde.

Les ARS n'étaient pas représentées dans ces échanges, car l'objectif n'était pas de faire "leur procès", a-t-il expliqué, renvoyant d'ailleurs à la commission d'enquête lancée au Sénat sur la crise sanitaire.

Plusieurs voix, notamment parmi les représentants des élus locaux, se sont déjà élevées pour critiquer la gestion de la crise sanitaire par les services de l'Etat et plaider pour une décentralisation des politiques de santé, note-t-on (cf dépêche du 14/05/2020 à 14:32, dépêche du 05/05/2020 à 12:52).

Le sénateur a d'emblée soumis au débat une série d'accusations: "Les ARS seraient trop distantes des territoires, associeraient trop peu les acteurs locaux, seraient trop bureaucratiques, fragiles face à des contextes de crise, et la coordination […] au niveau de l'Etat […] était parfois compliquée".

Le lancement du "Ségur de la santé" et le prochain projet de loi autonomie sont "autant de points importants qui justifient de remettre à plat l'organisation du service public de santé", a considéré Frédéric Bierry, président (LR) du conseil départemental du Bas-Rhin et président de la commission solidarité et affaires sociales de l'Assemblée des départements de France (ADF).

L'organisation d'élus défend, comme l'Association des maires de France (AMF), l'idée d'une plus grande décentralisation en matière de santé (cf dépêche du 13/01/2020 à 15:21).

La crise sanitaire "a mis en relief l'inadaptation de l'ARS aux besoins de santé et médico-sociaux des territoires", a jugé Frédéric Bierry. "La logistique, l'agilité, était territoriale et portée par les élus locaux", a-t-il fait valoir, en référence notamment aux difficultés d'approvisionnement en masques.

Il a aussi relevé que les départements avaient pu se rapprocher des établissements pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) pour connaître leur situation sur le plan sanitaire, opposant cette proximité au "manque de lien direct entre les ARS et les établissements".

Frédéric Bierry a dénoncé "un système administratif à la fois coûteux et essentiellement construit sur du contrôle administratif" et des "démarches cloisonnées".

"Ce que l'on peut attendre de l'Etat, c'est de fixer les objectifs de santé à partir des besoins sanitaires de notre pays, de valoriser financièrement et statutairement les métiers du soin et à la personne", a-t-il plaidé.

Mais "il faut organiser la gestion de la santé à partir des territoires". Il a donc préconisé de "donner un rôle de chef de file aux départements, pour mieux coordonner le sanitaire et le médico-social, en lien avec le bloc local, les services déconcentrés de l'Etat". Les départements "pourraient gérer complètement les Ehpad et j'espère que la loi autonomie ira dans ce sens", a-t-il souligné.

"Il faut pouvoir expérimenter une véritable décentralisation des volets santé, médico-social et social." Dans la perspective de la loi "3D" (décentralisation, différenciation et déconcentration), "j'ai proposé au premier ministre que les missions de l'ARS soient déléguées à la future collectivité européenne d'Alsace qui rassemblera les deux départements [Haut-Rhin et Bas-Rhin], d'abord sous forme de délégation", a-t-il fait savoir.

Par ailleurs, "le préfet doit reprendre la main sur les ARS, elles doivent avoir une dépendance hiérarchique vis-à-vis du préfet" et "il faut qu'on construise des contrats locaux de santé, médico-sociaux et sociaux", dans l'objectif de décloisonner ces secteurs, a-t-il poursuivi.

Revoir l'architecture du système de santé

Jean-Louis Thiériot, député LR de Seine-et-Marne, conseiller départemental, est allé dans le même sens. "J'ai constaté pendant cette crise que l'Etat sanitaire, les ARS en l'occurrence, était peu adapté à la gestion de l'urgence", a-t-il considéré.

"La politique de santé sur un territoire, et notamment la carte hospitalière, ne peut pas être gérée par une instance administrative ou une agence déconcentrée de l'Etat, mais doit être impérativement décentralisée", a-t-il aussi défendu.

"Sans responsabilité politique, on arrive à une vision très technocratique des choses, alors que les seuls qui sont capables de comprendre vraiment les besoins d'un territoire sont les collectivités locales."

"C'est l'ensemble de l'architecture du système de santé qui doit être repensé, sa bureaucratisation", ainsi que le fonctionnement "en tuyaux d'orgue", a-t-il exposé. Il a partagé la volonté d'un "chef de file adapté au territoire" pour la santé et le médico-social. Le département, "sauf cas particulier, est le meilleur pour le faire", a-t-il approuvé.

Dominique Dhumeaux, maire de Fercé-sur-Sarthe et président de l'Association des maires ruraux de France, a également déploré "des liens inexistants entre les élus et cette institution [l'ARS], loin de tout et souvent inaccessible pour le dialogue".

"A partir du moment où l'on n'est pas un élu d'une ville ayant un centre hospitalier sur son périmètre, un élu a très peu de contact avec ces agences", a-t-il pointé.

Il a plaidé pour "intégrer les élus dans le mode de fonctionnement des agences" afin qu'ils puissent apporter leur expertise et relayer notamment "les difficultés que nous avons dans l'accès aux soins".

Plutôt que la décentralisation, une plus grande déconcentration (Frédéric Pierru)

Plutôt que d'en faire des "boucs émissaires" à l'occasion de la crise sanitaire, Frédéric Pierru, sociologue, chargé de recherche au Centre d'études et de recherches administratives, politiques et sociales/CNRS, a préféré souligner "la mauvaise naissance des ARS".

La crise sanitaire a "révélé les malfaçons originelles" des agences, a-t-il estimé, relevant par exemple que "la Cnam [Caisse nationale de l'assurance maladie] a préservé son pré carré" sur la médecine libérale à l'occasion de la loi hôpital, patients, santé et territoires (HPST), alors "que les ARS sont censées avoir la main sur l'ensemble de l'offre de soins".

Il a qualifié les agences de "colosses entravés", relevant également un "compromis bancal" avec les préfets sur le pilotage des moyens consacrés à la sécurité sanitaire.

"Il serait fort dommage de rendre [les ARS] responsables de choses pour lesquelles elles n'ont pas été faites", a-t-il insisté.

"On s'est laissé abuser sur la notion de territoire", a-t-il également considéré. "La difficulté des élus locaux, notamment des élus ruraux, à avoir des relations avec les ARS n'est pas une anomalie, puisque c'était finalement le coeur du projet HPST d'éloigner le régulateur régional de la pression des élus locaux."

Les délégations départementales "ont été vidées de leur contenu", l'objectif "était de recentraliser au siège tout ce qui pouvait l'être", a-t-il ajouté.

"Est-ce que ce sont les ARS seules qu'il faut réformer, certainement pas, c'est l'ensemble du cadre de la loi HPST" qu'il faut revoir, a préconisé Frédéric Pierru. Il faudrait leur "donner un vrai pouvoir décisionnel, ce qui renverrait à une montée en charge du fonds d'intervention régionale" et accorder aux délégations départementales "des vrais moyens humains, d'expertise et décisionnels pour conduire une vraie territorialisation des politiques de santé".

Pour Frédéric Pierru, plutôt que la piste de la décentralisation, qui poserait un problème dans un contexte d'inégalités entre les territoires, il faudrait privilégier "l'option de la déconcentration" et de l'unification des tutelles, pour mettre fin "à la dyarchie assurance maladie/Etat".

Il a invité à suivre trois orientations: "aller vers la déconcentration", "régler le conflit entre les ARS et les préfets" et "associer les élus locaux le plus étroitement possible à ces structures de proximité".

"Je ne pense pas que nous sommes prêts, on peut le regretter, à avoir une vraie décentralisation, mais en revanche, nous sommes tous d'accord sur deux choses", a considéré Jean de Kervasdoué, économiste de la santé, professeur émérite au Cnam, ancien directeur général des hôpitaux. Il s'agit de "coller aux territoires d'une part, s'adapter à la réalité locale, et d'autre part, avoir un Etat qui fonctionne".

"Il faut qu'à l'échelon local, on ait la possibilité de recruter, de gérer, de définir des tarifs et des relations, et ce n'est possible que si on a une certaine autonomie, politique et financière".

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