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22/09 2021
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SOINS CRITIQUES: 12 RECOMMANDATIONS DE LA COUR DES COMPTES POUR SURMONTER LES DIFFICULTÉS

PARIS, 22 septembre 2021 (APMnews) - La Cour des comptes a présenté jeudi aux parlementaires le résultat de ses travaux sur le fonctionnement des services de soins critiques pendant la gestion de la crise sanitaire liée au Covid-19 et de son analyse structurelle de cette activité, avec 12 recommandations pour surmonter les difficultés identifiées.

Ce rapport fait suite au travail présenté dans le rapport annuel de la Cour des comptes publié en mars (cf dépêche du 18/03/2021 à 14:30), qui concluait que le modèle d'organisation des soins critiques en France devait être repensé en tenant compte des besoins épidémiologiques croissants et avec un nouveau modèle de financement.

La nouvelle enquête a été commandée en janvier par la commission des affaires sociales du Sénat, qui ciblait les capacités en soins intensifs et réanimation en termes d'équipement et de ressources humaines et les conditions de montée en charge en cas de crise.

Les résultats de l'enquête conclue en juillet, assortie de 12 recommandations, ont été présentés mercredi aux parlementaires par Véronique Hamayon, conseiller maître à la Cour des comptes et présidente de section. Les magistrats font plusieurs constats à partir des leçons tirées des épisodes successifs de la crise d'une part, et des enseignements tirés d'une analyse structurelle et pluriannuelle de l'activité de soins critiques, d'autre part.

Lors de la 1re vague, la France n'était plus préparée à la survenue d'une pandémie. Les conséquences d'une épidémie de type Sras-Mers avaient été anticipées dans les années 2000, mais depuis 2014, les plans Orsan mis en place sont plus généraux, et peu adaptés à une telle épidémie, a souligné la magistrate.

En outre, la réponse des autorités sanitaires a été tardive, elles n'ont pas anticipé les effets possibles de la pandémie sur les soins critiques en février 2020, et ce n'est qu'à la mi-mars qu'elles ont organisé la montée en charge rapide des capacités.

Entre les deux vagues, jusqu'en octobre 2020, aucune décision amenant des évolutions structurelles pour les soins critiques n'a cependant été prise, et aucune décision spécifique aux soins critiques n'a été prise dans le cadre du Ségur de la santé, concernant l'ouverture de places d'internes ou les besoins d'infirmiers en soins critiques, constate la Cour des comptes.

Toutefois, des enseignements ont été tirés et pour éviter les déprogrammations massives, une approche régionalisée a été adoptée, au lieu de l'approche nationale de la 1re vague. Les outils mis en place lors de la 1re vague pour le suivi épidémiologique et capacitaire, le suivi des stocks de médicaments et dispositifs médicaux, l'anticipation du besoin en ressources humaines et logistique, ont en outre été pérennisés.

Ainsi, lors des 2e et 3e vagues, outre une gestion régionalisée des déprogrammations et évolutions des capacités, il y a eu une volonté de structurer une filière hospitalière Covid spécifique.

Mais "l'efficacité de ces solutions d'exception s'étiole", les renforts en personnels étant plus difficiles à mobiliser, les transferts de patients restant lourds à organiser, et la coopération public/privé, saluée lors de la 1re vague, s'avérant difficile à maintenir dans la durée.

La Cour des comptes a également identifié les difficultés structurelles au-delà de la crise sanitaire, partant d'un état des lieux des activités de soins critiques. La croissance de l'offre en soins critiques entre 2013 et 2019 s'est ainsi limitée à la surveillance continue et aux soins intensifs, et il existe des inégalités territoriales de capacités en soins critiques, qui se répercutent sur la consommation de soins.

Des critères à définir pour le maintien des unités isolées

Elle pointe la concentration progressive de l'offre, en CHU essentiellement, même s'il existe de nombreuses unités de soins critiques de petite taille et isolées d'un secteur de réanimation (45% des unités de soins critiques n'ont pas de réanimation sur site). Le volume de ces unités isolées est moindre et l'activité chirurgicale programmée est sur-représentée, notamment dans le secteur privé lucratif.

Il faudrait, selon les magistrats, définir les critères permettant à une telle unité de rester isolée et prévoir la mise en réseau territorial de ces unités avec un service de réanimation, avec un mode de coordination des soins critiques pérenne, en mesure d'inclure structures publiques et privées.

La coopération territoriale des services de soins critiques est en outre informelle, fondée sur le gré à gré, et les groupements hospitaliers de territoire (GHT) sont trop étroits pour la favoriser, 65% d'entre eux ne comptant qu'un seul service de réanimation.

Par ailleurs, "le service rendu par les unités de soins critiques publiques et privées n'est pas identique", en termes de profil clinique et de niveau de sévérité des patients, a souligné Véronique Hamayon.

Elle a pointé également la probabilité que l'évolution de l'activité hospitalière de soins critiques, qui affiche une progression rapide, se poursuive durablement: il y a eu une croissance significative du nombre de passages en réanimation entre 2014 et 2019 (+8,2% contre +1,6% pour les hospitalisations conventionnelles), et la structure d'âge des patients en soins critiques se modifie, ceux-ci étant de plus en plus âgés.

Expérimenter l'identification de lits post-soins critiques

La question des parcours des patients de soins critiques apparaît aussi un facteur clé, l'analyse de la Cour des comptes montrant un manque de fluidité en aval. Ceci est dû d'une part, aux flux de patients au sein de l'ensemble de l'hôpital, mais aussi au fait que, de façon étonnante pour ce type d'activité, elle diminue fortement les jours non ouvrables, a souligné Véronique Hamayon.

"Il y a besoin de créer des lits adaptés [d'aval] en secteur MCO [médecine, chirurgie, obstétrique] qui fonctionnent en permanence y compris le week-end", a-t-elle ajouté. L'une des recommandations de la Cour est ainsi d'"expérimenter l'identification, pour les filières de soins les plus concernées, de lits 'post-soins critiques', bénéficiant d’une permanence des soins médicale et paramédicale renforcée, afin de garantir un aval fluide et régulier des soins critiques tout au long de la semaine et de l’année".

Elle est également revenue sur les ressources humaines en soins critiques: elles représentent 53.715 équivalents temps plein (ETP), soit 9% des effectifs médico-soignants des secteurs de MCO. Plus de la moitié sont des infirmiers.

Outre les tensions en termes d'effectifs de médecins anesthésistes-réanimateurs (MAR) ou intensivistes réanimateurs (MIR), un point saillant est le turn-over infirmier, qui s'élève à 24% en soins critiques, "soit près du double des soins conventionnels". "C'est d'autant plus lourd que les infirmiers ne sont pas spécifiquement formés, il faut les former sur le tas."

Parmi ses propositions, la Cour des comptes souligne l'intérêt de conserver la pluridisciplinarité apportée par les 2 spécialités de MAR et MIR, invite à anticiper les tensions prévisibles sur les effectifs, à favoriser les passerelles entre spécialités médicales, à renforcer la reconnaissance des infirmiers diplômés d'Etat (IDE) en soins critiques, ainsi que la formation initiale des personnels soignants aux soins critiques.

Elle suggère ainsi de "réviser le plan de formation initiale des infirmier(e)s de soins généraux en intégrant des modules spécifiques de formation théorique et pratique aux soins critiques et reconnaître les compétences acquises par une qualification reconnue d’infirmier(e)s en réanimation, non obligatoire pour exercer dans ce secteur".

Elle préconise aussi de préparer l'avenir des soins critiques sur le plan matériel: nécessité d'intégrer les soins critiques dans leur ensemble afin de renforcer la modularité de ces unités; renforcer l'informatisation des services, très insuffisante, et assurer l'interopérabilité sur un territoire donné; réformer le financement des soins critiques.

"L'ouverture d'un lit en réanimation représente un déficit moyen de 115.000 € par an pour un établissement", a indiqué Véronique Hamayon. "Il faut annihiler les effets tarifaires de l'ouverture de lits de soins critiques, et envisager une tarification permettant de libérer les lits de soins critiques, en fluidifiant l'aval." "C'est moins le principe de la T2A que le niveau [insuffisant de la tarification] que nous pointons", a-t-elle précisé, rappelant que les soins critiques "ne sont pas substituables". "Il faut au moins que cela couvre les coûts."

Les soins critiques, rapport, Cour des comptes, 181 pages

cd/ab/APMnews

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PARIS, 22 septembre 2021 (APMnews) - La Cour des comptes a présenté jeudi aux parlementaires le résultat de ses travaux sur le fonctionnement des services de soins critiques pendant la gestion de la crise sanitaire liée au Covid-19 et de son analyse structurelle de cette activité, avec 12 recommandations pour surmonter les difficultés identifiées.

Ce rapport fait suite au travail présenté dans le rapport annuel de la Cour des comptes publié en mars (cf dépêche du 18/03/2021 à 14:30), qui concluait que le modèle d'organisation des soins critiques en France devait être repensé en tenant compte des besoins épidémiologiques croissants et avec un nouveau modèle de financement.

La nouvelle enquête a été commandée en janvier par la commission des affaires sociales du Sénat, qui ciblait les capacités en soins intensifs et réanimation en termes d'équipement et de ressources humaines et les conditions de montée en charge en cas de crise.

Les résultats de l'enquête conclue en juillet, assortie de 12 recommandations, ont été présentés mercredi aux parlementaires par Véronique Hamayon, conseiller maître à la Cour des comptes et présidente de section. Les magistrats font plusieurs constats à partir des leçons tirées des épisodes successifs de la crise d'une part, et des enseignements tirés d'une analyse structurelle et pluriannuelle de l'activité de soins critiques, d'autre part.

Lors de la 1re vague, la France n'était plus préparée à la survenue d'une pandémie. Les conséquences d'une épidémie de type Sras-Mers avaient été anticipées dans les années 2000, mais depuis 2014, les plans Orsan mis en place sont plus généraux, et peu adaptés à une telle épidémie, a souligné la magistrate.

En outre, la réponse des autorités sanitaires a été tardive, elles n'ont pas anticipé les effets possibles de la pandémie sur les soins critiques en février 2020, et ce n'est qu'à la mi-mars qu'elles ont organisé la montée en charge rapide des capacités.

Entre les deux vagues, jusqu'en octobre 2020, aucune décision amenant des évolutions structurelles pour les soins critiques n'a cependant été prise, et aucune décision spécifique aux soins critiques n'a été prise dans le cadre du Ségur de la santé, concernant l'ouverture de places d'internes ou les besoins d'infirmiers en soins critiques, constate la Cour des comptes.

Toutefois, des enseignements ont été tirés et pour éviter les déprogrammations massives, une approche régionalisée a été adoptée, au lieu de l'approche nationale de la 1re vague. Les outils mis en place lors de la 1re vague pour le suivi épidémiologique et capacitaire, le suivi des stocks de médicaments et dispositifs médicaux, l'anticipation du besoin en ressources humaines et logistique, ont en outre été pérennisés.

Ainsi, lors des 2e et 3e vagues, outre une gestion régionalisée des déprogrammations et évolutions des capacités, il y a eu une volonté de structurer une filière hospitalière Covid spécifique.

Mais "l'efficacité de ces solutions d'exception s'étiole", les renforts en personnels étant plus difficiles à mobiliser, les transferts de patients restant lourds à organiser, et la coopération public/privé, saluée lors de la 1re vague, s'avérant difficile à maintenir dans la durée.

La Cour des comptes a également identifié les difficultés structurelles au-delà de la crise sanitaire, partant d'un état des lieux des activités de soins critiques. La croissance de l'offre en soins critiques entre 2013 et 2019 s'est ainsi limitée à la surveillance continue et aux soins intensifs, et il existe des inégalités territoriales de capacités en soins critiques, qui se répercutent sur la consommation de soins.

Des critères à définir pour le maintien des unités isolées

Elle pointe la concentration progressive de l'offre, en CHU essentiellement, même s'il existe de nombreuses unités de soins critiques de petite taille et isolées d'un secteur de réanimation (45% des unités de soins critiques n'ont pas de réanimation sur site). Le volume de ces unités isolées est moindre et l'activité chirurgicale programmée est sur-représentée, notamment dans le secteur privé lucratif.

Il faudrait, selon les magistrats, définir les critères permettant à une telle unité de rester isolée et prévoir la mise en réseau territorial de ces unités avec un service de réanimation, avec un mode de coordination des soins critiques pérenne, en mesure d'inclure structures publiques et privées.

La coopération territoriale des services de soins critiques est en outre informelle, fondée sur le gré à gré, et les groupements hospitaliers de territoire (GHT) sont trop étroits pour la favoriser, 65% d'entre eux ne comptant qu'un seul service de réanimation.

Par ailleurs, "le service rendu par les unités de soins critiques publiques et privées n'est pas identique", en termes de profil clinique et de niveau de sévérité des patients, a souligné Véronique Hamayon.

Elle a pointé également la probabilité que l'évolution de l'activité hospitalière de soins critiques, qui affiche une progression rapide, se poursuive durablement: il y a eu une croissance significative du nombre de passages en réanimation entre 2014 et 2019 (+8,2% contre +1,6% pour les hospitalisations conventionnelles), et la structure d'âge des patients en soins critiques se modifie, ceux-ci étant de plus en plus âgés.

Expérimenter l'identification de lits post-soins critiques

La question des parcours des patients de soins critiques apparaît aussi un facteur clé, l'analyse de la Cour des comptes montrant un manque de fluidité en aval. Ceci est dû d'une part, aux flux de patients au sein de l'ensemble de l'hôpital, mais aussi au fait que, de façon étonnante pour ce type d'activité, elle diminue fortement les jours non ouvrables, a souligné Véronique Hamayon.

"Il y a besoin de créer des lits adaptés [d'aval] en secteur MCO [médecine, chirurgie, obstétrique] qui fonctionnent en permanence y compris le week-end", a-t-elle ajouté. L'une des recommandations de la Cour est ainsi d'"expérimenter l'identification, pour les filières de soins les plus concernées, de lits 'post-soins critiques', bénéficiant d’une permanence des soins médicale et paramédicale renforcée, afin de garantir un aval fluide et régulier des soins critiques tout au long de la semaine et de l’année".

Elle est également revenue sur les ressources humaines en soins critiques: elles représentent 53.715 équivalents temps plein (ETP), soit 9% des effectifs médico-soignants des secteurs de MCO. Plus de la moitié sont des infirmiers.

Outre les tensions en termes d'effectifs de médecins anesthésistes-réanimateurs (MAR) ou intensivistes réanimateurs (MIR), un point saillant est le turn-over infirmier, qui s'élève à 24% en soins critiques, "soit près du double des soins conventionnels". "C'est d'autant plus lourd que les infirmiers ne sont pas spécifiquement formés, il faut les former sur le tas."

Parmi ses propositions, la Cour des comptes souligne l'intérêt de conserver la pluridisciplinarité apportée par les 2 spécialités de MAR et MIR, invite à anticiper les tensions prévisibles sur les effectifs, à favoriser les passerelles entre spécialités médicales, à renforcer la reconnaissance des infirmiers diplômés d'Etat (IDE) en soins critiques, ainsi que la formation initiale des personnels soignants aux soins critiques.

Elle suggère ainsi de "réviser le plan de formation initiale des infirmier(e)s de soins généraux en intégrant des modules spécifiques de formation théorique et pratique aux soins critiques et reconnaître les compétences acquises par une qualification reconnue d’infirmier(e)s en réanimation, non obligatoire pour exercer dans ce secteur".

Elle préconise aussi de préparer l'avenir des soins critiques sur le plan matériel: nécessité d'intégrer les soins critiques dans leur ensemble afin de renforcer la modularité de ces unités; renforcer l'informatisation des services, très insuffisante, et assurer l'interopérabilité sur un territoire donné; réformer le financement des soins critiques.

"L'ouverture d'un lit en réanimation représente un déficit moyen de 115.000 € par an pour un établissement", a indiqué Véronique Hamayon. "Il faut annihiler les effets tarifaires de l'ouverture de lits de soins critiques, et envisager une tarification permettant de libérer les lits de soins critiques, en fluidifiant l'aval." "C'est moins le principe de la T2A que le niveau [insuffisant de la tarification] que nous pointons", a-t-elle précisé, rappelant que les soins critiques "ne sont pas substituables". "Il faut au moins que cela couvre les coûts."

Les soins critiques, rapport, Cour des comptes, 181 pages

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