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11/07 2025
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CH DE CHÂTEAU-THIERRY: LA CHAMBRE RÉGIONALE DES COMPTES BROSSE LE PORTRAIT D'UN HÔPITAL À LA DÉRIVE

ARRAS, CHATEAU-THIERRY (Aisne), 11 juillet 2025 (APMnews) - La chambre régionale des comptes (CRC) des Hauts-de-France brosse un portrait accablant du centre hospitalier (CH) de Château-Thierry (environ 140 lits et places), dans son rapport de contrôle portant sur les exercices 2019 et suivants, à paraître, et dont APMnews a eu copie.

Le CH de Château-Thierry est dirigé par intérim par le directeur du CH de Soissons, Eric Lagardère, qui avait déjà assuré l'intérim de direction entre 2018 et 2019, rappelle-t-on. Le CH dispose d'un directeur délégué, Cyril Marais. Sollicitée par APMnews, la direction par intérim doit faire part de ses observations dans les prochains jours.

Le rapport de la CRC apporte une analyse demandée depuis 2023 par le maire de la ville, Sébastien Eugène, afin d'objectiver la situation de l'établissement (cf dépêche du 29/11/2023 à 17:34).

Les relations entre le maire, la direction, la présidence du conseil de surveillance, la présidence de la commission médicale d'établissement (CME), les syndicats et certains membres du corps médical ont été marquées par de nombreuses tensions, sur fond de difficultés financières croissantes et d'importants enjeux immobiliers (cf dépêche du 29/11/2023 à 17:35, dépêche du 14/12/2023 à 16:53, dépêche du 21/12/2023 à 18:30, dépêche du 04/01/2024 à 17:36, dépêche du 18/01/2024 à 12:49, dépêche du 05/02/2024 à 11:22, dépêche du 21/02/2024 à 13:05, dépêche du 27/02/2024 à 16:47, dépêche du 26/06/2024 à 17:47).

La CRC précise en introduction que ce rapport d'environ 80 pages sera complété par deux autres rapports, relatifs respectivement au projet d'extension du CH (cf dépêche du 25/09/2024 à 17:30) et à ses achats.

Ce premier rapport dépeint notamment une gouvernance dont certains piliers -en particulier le conseil de surveillance et la commission médicale d'établissement (CME)- se sont défaussés d'une partie de leurs responsabilités, pour parfois empiéter sur celles de la direction.

Conseil de surveillance, CME et directoire hors des clous

Certaines instances (directoire, commission des usagers, conseil de la vie sociale de l'Ehpad, commission qualité, comité des vigilances et des risques, comité de retour d'expérience…) et documents stratégiques de l'établissement (contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens -CPOM-, projets d'établissement du CH et de l'Ehpad, projet médical, projet de soins, contrats et projets de pôles, bilan social…) font défaut ou s'apparentent à des coquilles vides.

Le conseil de surveillance n'a pas abordé, au cours des années étudiées, des "sujets stratégiques" de son ressort, tels la charte de gouvernance entre le directeur et le président de la CME, "le bilan des actions mises en œuvre pour améliorer l'accès aux soins et leur gradation", le CPOM du CH, le plan pluriannuel d'investissement et certains éléments du projet d'établissement.

"Il n'a pas rempli ses obligations de communication annuelle au directeur général de l'ARS [agence régionale de santé] de ses observations sur la gestion du CH", constate la CRC, qui ajoute qu'ont "parfois manqué" des avis sur l'état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRD) ou encore sur la qualité des prises en charge et son amélioration.

En revanche, l'instance s'est impliquée sur des sujets hors de son champ, listés en annexe, dont la sortie -avortée- du groupement hospitalier de territoire (GHT) Saphir ou encore la création d'un pôle médico-social, le fléchage de fonds de travaux, le maintien de la maternité 2A en activité.

"L'ancienne directrice [Sylvaine Ducout], en fonction de mai 2019 à mai 2023, indique qu'il n'était pas aisé de faire distinguer aux élus la différence entre un conseil de surveillance et un conseil d'administration", relate la CRC.

La chambre note que le directoire "n'a commencé à fonctionner de façon satisfaisante qu'à partir de 2024", le minimum de réunions annuelles (huit) n'ayant pas été atteint de 2019 à 2023, et les comptes rendus n'ayant été rédigés qu'à compter de 2022, sans toutefois être diffusés au personnel.

Elle constate que, de 2019 à 2023, le directoire n'a abordé ni le CPOM, ni la politique d'amélioration continue de la qualité des soins, ni l'organisation interne de l'établissement, ni les acquisitions et aliénations d'immeubles, ni le projet d'établissement "dans toutes ses composantes", ni le règlement intérieur du CH.

Concernant la commission médicale d'établissement (CME), la CRC mentionne que "lorsqu'il ne partageait pas certaines orientations générales, pour peser dans les décisions, ou se considérant mis en cause, à plusieurs reprises, [l'ancien président de la CME, le Dr Michel Fiani, dont l'élection a été invalidée car il était chef de pôle] a signifié officiellement au président du conseil de surveillance et au directeur qu'il suspendait sa participation aux différentes instances ou qu'il démissionnait avec le soutien de la CME".

Comme le conseil de surveillance et le directoire, la CME n'a pas été saisie de sujets relevant de sa compétence, dont -là encore- le CPOM, mais aussi les contrats de pôles, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) des professions médicales, l'accueil et la formation des étudiants en médecine, le développement professionnel des professions médicales ou encore l'organisation des parcours professionnels.

La CME n'a par ailleurs pas mis en place de commission relative à l'organisation de la permanence des soins, "alors qu'il s'agit d'un sujet à fort enjeu financier et de responsabilité pour le CH".

L'activité libérale en particulier et les rémunérations médicales en général sans garde-fous

La CRC évoque aussi l'absence de commission d'activité libérale (CAL) jusqu'en 2024, malgré des injonctions de la part de l'ARS en 2014, 2015, 2016, 2022 (à deux reprises) et 2023 (à deux reprises), et alors que l'agence "avait eu connaissance d'honoraires d'activité libérale par praticien dépassant 300.000 € par an".

"La CAL a constaté qu'il n'y avait pas de distinction entre les actes opératoires publics et privés, ni de retour d'information en matière de temps passé sur l'activité libérale, les praticiens concernés ne le mentionnant pas dans les tableaux de service", ce qui n'empêche pas la CAL de considérer qu'"il n'y avait pas d'écarts par rapport à la réglementation", s'étonne la CRC.

La chambre fait valoir que l'ARS avait rejeté en 2024 un premier projet de convention entre un groupement de coopération sanitaire (GCS) d'activité libérale et le CH, au regard du "déséquilibre financier au détriment du CH".

Par ailleurs, "sur la période de 2019 à 2024, la direction a identifié 38 situations individuelles pour lesquelles des éléments de rémunération ont été versés sans respecter le cadre juridique. En y intégrant les dépassements de plafond réglementaires des vacataires, la charge résultant de ces anomalies a été de 4,5 M€ [millions d'euros] en montant brut de rémunérations", calcule la CRC, qui mentionne un coût supplémentaire de 2,2 M€ de charges patronales pour le CH. Aucune somme indûment perçue n'a été recouvrée, précise-t-elle.

Elle constate que plusieurs médecins ont effectué leurs gardes chez eux et non pas au sein de l'établissement, mettant en péril la permanence et la sécurité des soins, et engageant ainsi leur responsabilité civile et pénale, tout en percevant leurs indemnisations de gardes, indues.

La CRC observe que les charges ont crû de 17 M€ entre 2019 (60 M€) et 2023 (77 M€). Si la hausse de la masse salariale non médicale est de 32% (alors que les effectifs paramédicaux baissent dans le même temps), celle du personnel médical atteint 39% (+4,6 M€).

Les effectifs médicaux ont en effet progressé de 30% sur cette période, alors que l'activité n'a augmenté que de 2%. Dans le même temps, la moyenne des rémunérations nettes des praticiens hospitaliers a crû de 38%, atteignant 50% de hausse pour les chefs de pôle (14.000 € mensuels en moyenne, hors activité libérale).

Une situation comptable et financière qui met à mal le programme d'investissement

Le déficit du budget principal du CH est passé de 100.000 € en 2019 à 3,6 M€ en 2023, après avoir atteint 6,7 M€ en 2022. Il devrait avoir atteint 7,7 M€ en 2024, selon la CRC.

Les comptes du CH souffrent notamment de l'absence d'inventaire physique et comptable (hors stocks de la pharmacie et du magasin), qui "affecte la fiabilité du bilan et le résultat comptable", la dotation aux amortissements étant approximative, et qui par ailleurs, ne permet pas au CH d'"identifier d'éventuels vols de matériels".

Des amortissements manquants ont ainsi été identifiés et régularisés à hauteur de 1,9 M€ en 2022 et 2023. La CRC évoque aussi, jusqu'en 2023, une absence de provisionnement des comptes épargne-temps (CET) du personnel médical et de prise en compte des charges pour dépréciation d'actifs.

"La multitude des anomalies sur plusieurs années et le manque de connaissance du patrimoine rendent impossible un retraitement des comptes", selon la CRC, qui informe par ailleurs que le délai global de paiement des fournisseurs est de 115 à 214 jours selon les années, et ne donne jamais lieu au paiement des intérêts moratoires, estimés à 600.000 € annuels en moyenne.

Dans ce contexte, la CRC estime que le plan d'investissement 2025-2034 du CH, d'un montant de 56 M€, n'est pas tenable, faute de capacité d'autofinancement (-2,3 M€) et de possibilité de recours à un nouvel emprunt, et compte tenu aussi du coût du remboursement de la dette (13,6 M€). Elle évalue à 71 M€ les besoins réels pour financer l'ensemble des investissements, notamment le maintien du patrimoine.

Un fort taux de fuite notamment lié à une mauvaise réputation

La CRC mentionne aussi des incidents électriques survenus à la maternité, en imagerie ou au niveau des serveurs informatiques, dont les conséquences sur les soins (déprogrammations, transferts vers d'autres établissements…) n'ont pas été signalées comme événements indésirables graves (EIG).

Elle liste aussi toute une série d'activités médicales hors cadre, telles des consultations en dermatologie et pneumologie assurées par des praticiens n'ayant pas les qualifications obligatoires, des "anomalies" dans les prescriptions de premières chimiothérapies, des interventions carcinologiques en urologie sans autorisation valide et sans atteindre le seuil minimal annuel, ou encore un manque d'encadrement des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) en parcours de consolidation dans certaines disciplines (les Padhue représentant 70% des effectifs médicaux du CH).

Entre début 2019 et mi-2024, 45 sinistres ont été traités et indemnisés pour préjudices corporels. "Alors que plusieurs dossiers relèvent des anomalies dans les soins, l'ARS n'a été informée que d'un seul EIG lié aux soins depuis 2019".

La CRC relève aussi que faute de gériatres inscrits à l'ordre des médecins, les malades en relevant sont orientés vers un service de "médecine générale et polyvalente" où les mêmes pathologies sont soignées, malgré un risque de qualité et de sécurité des soins "amoindries".

A l'Ehpad, les inspections de l'ARS ont relevé "un dispositif d'appel malade dysfonctionnel, une insuffisance de salles rafraîchies pour accueillir tous les résidents, des portes donnant sur des escaliers dangereux pour ces derniers, une absence de système d'appel en urgence pour le personnel de nuit, et des intrusions de personnel extérieur".

Le CH semble en conséquence peiner à attirer la patientèle locale, avec seulement 48% des séjours d'hospitalisation des habitants du territoire réalisés dans l'établissement, au profit notamment du CHU de Reims.

Ce taux de fuite s'explique notamment par un niveau de satisfaction en berne, 48% des patients interrogés par la Haute autorité de santé (HAS) ne recommandant pas l'établissement.

"Le pourcentage d'hospitalisations provenant des urgences, stable à 75%, met en évidence que la majorité des venues au CH ne correspondent pas à un choix délibéré des usagers", alors que le nombre de plaintes à la commission des usagers est passé de 48 en 2019 à 82 en 2023.

Les 11 rappels au droit de la CRC au CH de Château-Thierry

La chambre régionale des comptes ne considère aucun de ses rappels comme mis en œuvre.

  • Effectuer les gardes sur le site de l'établissement
  • Déclarer les événements indésirables graves aux autorités compétentes
  • Respecter les dispositions du code de la santé publique relatives aux attributions du conseil de surveillance
  • Rendre accessible à l'ensemble du personnel les relevés de conclusions des séances du directoire
  • Exercer les missions de contrôle de l'activité libérale au sein de l'établissement, conformément aux dispositions du code de la santé publique
  • Mettre le projet médical en conformité avec le code de la santé publique
  • Adopter le projet d'établissement
  • Etablir et tenir à jour les inventaires physique et comptable des actifs
  • Mettre fin au versement de compléments irréguliers de rémunération du personnel médical
  • Emettre les titres de recettes en vue de recouvrer les sommes indûment perçues par le personnel médical
  • Respecter le délai de paiement réglementaire et, s'il est dépassé, mandater des intérêts moratoires

bd/san/lb/APMnews

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CH DE CHÂTEAU-THIERRY: LA CHAMBRE RÉGIONALE DES COMPTES BROSSE LE PORTRAIT D'UN HÔPITAL À LA DÉRIVE

ARRAS, CHATEAU-THIERRY (Aisne), 11 juillet 2025 (APMnews) - La chambre régionale des comptes (CRC) des Hauts-de-France brosse un portrait accablant du centre hospitalier (CH) de Château-Thierry (environ 140 lits et places), dans son rapport de contrôle portant sur les exercices 2019 et suivants, à paraître, et dont APMnews a eu copie.

Le CH de Château-Thierry est dirigé par intérim par le directeur du CH de Soissons, Eric Lagardère, qui avait déjà assuré l'intérim de direction entre 2018 et 2019, rappelle-t-on. Le CH dispose d'un directeur délégué, Cyril Marais. Sollicitée par APMnews, la direction par intérim doit faire part de ses observations dans les prochains jours.

Le rapport de la CRC apporte une analyse demandée depuis 2023 par le maire de la ville, Sébastien Eugène, afin d'objectiver la situation de l'établissement (cf dépêche du 29/11/2023 à 17:34).

Les relations entre le maire, la direction, la présidence du conseil de surveillance, la présidence de la commission médicale d'établissement (CME), les syndicats et certains membres du corps médical ont été marquées par de nombreuses tensions, sur fond de difficultés financières croissantes et d'importants enjeux immobiliers (cf dépêche du 29/11/2023 à 17:35, dépêche du 14/12/2023 à 16:53, dépêche du 21/12/2023 à 18:30, dépêche du 04/01/2024 à 17:36, dépêche du 18/01/2024 à 12:49, dépêche du 05/02/2024 à 11:22, dépêche du 21/02/2024 à 13:05, dépêche du 27/02/2024 à 16:47, dépêche du 26/06/2024 à 17:47).

La CRC précise en introduction que ce rapport d'environ 80 pages sera complété par deux autres rapports, relatifs respectivement au projet d'extension du CH (cf dépêche du 25/09/2024 à 17:30) et à ses achats.

Ce premier rapport dépeint notamment une gouvernance dont certains piliers -en particulier le conseil de surveillance et la commission médicale d'établissement (CME)- se sont défaussés d'une partie de leurs responsabilités, pour parfois empiéter sur celles de la direction.

Conseil de surveillance, CME et directoire hors des clous

Certaines instances (directoire, commission des usagers, conseil de la vie sociale de l'Ehpad, commission qualité, comité des vigilances et des risques, comité de retour d'expérience…) et documents stratégiques de l'établissement (contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens -CPOM-, projets d'établissement du CH et de l'Ehpad, projet médical, projet de soins, contrats et projets de pôles, bilan social…) font défaut ou s'apparentent à des coquilles vides.

Le conseil de surveillance n'a pas abordé, au cours des années étudiées, des "sujets stratégiques" de son ressort, tels la charte de gouvernance entre le directeur et le président de la CME, "le bilan des actions mises en œuvre pour améliorer l'accès aux soins et leur gradation", le CPOM du CH, le plan pluriannuel d'investissement et certains éléments du projet d'établissement.

"Il n'a pas rempli ses obligations de communication annuelle au directeur général de l'ARS [agence régionale de santé] de ses observations sur la gestion du CH", constate la CRC, qui ajoute qu'ont "parfois manqué" des avis sur l'état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRD) ou encore sur la qualité des prises en charge et son amélioration.

En revanche, l'instance s'est impliquée sur des sujets hors de son champ, listés en annexe, dont la sortie -avortée- du groupement hospitalier de territoire (GHT) Saphir ou encore la création d'un pôle médico-social, le fléchage de fonds de travaux, le maintien de la maternité 2A en activité.

"L'ancienne directrice [Sylvaine Ducout], en fonction de mai 2019 à mai 2023, indique qu'il n'était pas aisé de faire distinguer aux élus la différence entre un conseil de surveillance et un conseil d'administration", relate la CRC.

La chambre note que le directoire "n'a commencé à fonctionner de façon satisfaisante qu'à partir de 2024", le minimum de réunions annuelles (huit) n'ayant pas été atteint de 2019 à 2023, et les comptes rendus n'ayant été rédigés qu'à compter de 2022, sans toutefois être diffusés au personnel.

Elle constate que, de 2019 à 2023, le directoire n'a abordé ni le CPOM, ni la politique d'amélioration continue de la qualité des soins, ni l'organisation interne de l'établissement, ni les acquisitions et aliénations d'immeubles, ni le projet d'établissement "dans toutes ses composantes", ni le règlement intérieur du CH.

Concernant la commission médicale d'établissement (CME), la CRC mentionne que "lorsqu'il ne partageait pas certaines orientations générales, pour peser dans les décisions, ou se considérant mis en cause, à plusieurs reprises, [l'ancien président de la CME, le Dr Michel Fiani, dont l'élection a été invalidée car il était chef de pôle] a signifié officiellement au président du conseil de surveillance et au directeur qu'il suspendait sa participation aux différentes instances ou qu'il démissionnait avec le soutien de la CME".

Comme le conseil de surveillance et le directoire, la CME n'a pas été saisie de sujets relevant de sa compétence, dont -là encore- le CPOM, mais aussi les contrats de pôles, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) des professions médicales, l'accueil et la formation des étudiants en médecine, le développement professionnel des professions médicales ou encore l'organisation des parcours professionnels.

La CME n'a par ailleurs pas mis en place de commission relative à l'organisation de la permanence des soins, "alors qu'il s'agit d'un sujet à fort enjeu financier et de responsabilité pour le CH".

L'activité libérale en particulier et les rémunérations médicales en général sans garde-fous

La CRC évoque aussi l'absence de commission d'activité libérale (CAL) jusqu'en 2024, malgré des injonctions de la part de l'ARS en 2014, 2015, 2016, 2022 (à deux reprises) et 2023 (à deux reprises), et alors que l'agence "avait eu connaissance d'honoraires d'activité libérale par praticien dépassant 300.000 € par an".

"La CAL a constaté qu'il n'y avait pas de distinction entre les actes opératoires publics et privés, ni de retour d'information en matière de temps passé sur l'activité libérale, les praticiens concernés ne le mentionnant pas dans les tableaux de service", ce qui n'empêche pas la CAL de considérer qu'"il n'y avait pas d'écarts par rapport à la réglementation", s'étonne la CRC.

La chambre fait valoir que l'ARS avait rejeté en 2024 un premier projet de convention entre un groupement de coopération sanitaire (GCS) d'activité libérale et le CH, au regard du "déséquilibre financier au détriment du CH".

Par ailleurs, "sur la période de 2019 à 2024, la direction a identifié 38 situations individuelles pour lesquelles des éléments de rémunération ont été versés sans respecter le cadre juridique. En y intégrant les dépassements de plafond réglementaires des vacataires, la charge résultant de ces anomalies a été de 4,5 M€ [millions d'euros] en montant brut de rémunérations", calcule la CRC, qui mentionne un coût supplémentaire de 2,2 M€ de charges patronales pour le CH. Aucune somme indûment perçue n'a été recouvrée, précise-t-elle.

Elle constate que plusieurs médecins ont effectué leurs gardes chez eux et non pas au sein de l'établissement, mettant en péril la permanence et la sécurité des soins, et engageant ainsi leur responsabilité civile et pénale, tout en percevant leurs indemnisations de gardes, indues.

La CRC observe que les charges ont crû de 17 M€ entre 2019 (60 M€) et 2023 (77 M€). Si la hausse de la masse salariale non médicale est de 32% (alors que les effectifs paramédicaux baissent dans le même temps), celle du personnel médical atteint 39% (+4,6 M€).

Les effectifs médicaux ont en effet progressé de 30% sur cette période, alors que l'activité n'a augmenté que de 2%. Dans le même temps, la moyenne des rémunérations nettes des praticiens hospitaliers a crû de 38%, atteignant 50% de hausse pour les chefs de pôle (14.000 € mensuels en moyenne, hors activité libérale).

Une situation comptable et financière qui met à mal le programme d'investissement

Le déficit du budget principal du CH est passé de 100.000 € en 2019 à 3,6 M€ en 2023, après avoir atteint 6,7 M€ en 2022. Il devrait avoir atteint 7,7 M€ en 2024, selon la CRC.

Les comptes du CH souffrent notamment de l'absence d'inventaire physique et comptable (hors stocks de la pharmacie et du magasin), qui "affecte la fiabilité du bilan et le résultat comptable", la dotation aux amortissements étant approximative, et qui par ailleurs, ne permet pas au CH d'"identifier d'éventuels vols de matériels".

Des amortissements manquants ont ainsi été identifiés et régularisés à hauteur de 1,9 M€ en 2022 et 2023. La CRC évoque aussi, jusqu'en 2023, une absence de provisionnement des comptes épargne-temps (CET) du personnel médical et de prise en compte des charges pour dépréciation d'actifs.

"La multitude des anomalies sur plusieurs années et le manque de connaissance du patrimoine rendent impossible un retraitement des comptes", selon la CRC, qui informe par ailleurs que le délai global de paiement des fournisseurs est de 115 à 214 jours selon les années, et ne donne jamais lieu au paiement des intérêts moratoires, estimés à 600.000 € annuels en moyenne.

Dans ce contexte, la CRC estime que le plan d'investissement 2025-2034 du CH, d'un montant de 56 M€, n'est pas tenable, faute de capacité d'autofinancement (-2,3 M€) et de possibilité de recours à un nouvel emprunt, et compte tenu aussi du coût du remboursement de la dette (13,6 M€). Elle évalue à 71 M€ les besoins réels pour financer l'ensemble des investissements, notamment le maintien du patrimoine.

Un fort taux de fuite notamment lié à une mauvaise réputation

La CRC mentionne aussi des incidents électriques survenus à la maternité, en imagerie ou au niveau des serveurs informatiques, dont les conséquences sur les soins (déprogrammations, transferts vers d'autres établissements…) n'ont pas été signalées comme événements indésirables graves (EIG).

Elle liste aussi toute une série d'activités médicales hors cadre, telles des consultations en dermatologie et pneumologie assurées par des praticiens n'ayant pas les qualifications obligatoires, des "anomalies" dans les prescriptions de premières chimiothérapies, des interventions carcinologiques en urologie sans autorisation valide et sans atteindre le seuil minimal annuel, ou encore un manque d'encadrement des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) en parcours de consolidation dans certaines disciplines (les Padhue représentant 70% des effectifs médicaux du CH).

Entre début 2019 et mi-2024, 45 sinistres ont été traités et indemnisés pour préjudices corporels. "Alors que plusieurs dossiers relèvent des anomalies dans les soins, l'ARS n'a été informée que d'un seul EIG lié aux soins depuis 2019".

La CRC relève aussi que faute de gériatres inscrits à l'ordre des médecins, les malades en relevant sont orientés vers un service de "médecine générale et polyvalente" où les mêmes pathologies sont soignées, malgré un risque de qualité et de sécurité des soins "amoindries".

A l'Ehpad, les inspections de l'ARS ont relevé "un dispositif d'appel malade dysfonctionnel, une insuffisance de salles rafraîchies pour accueillir tous les résidents, des portes donnant sur des escaliers dangereux pour ces derniers, une absence de système d'appel en urgence pour le personnel de nuit, et des intrusions de personnel extérieur".

Le CH semble en conséquence peiner à attirer la patientèle locale, avec seulement 48% des séjours d'hospitalisation des habitants du territoire réalisés dans l'établissement, au profit notamment du CHU de Reims.

Ce taux de fuite s'explique notamment par un niveau de satisfaction en berne, 48% des patients interrogés par la Haute autorité de santé (HAS) ne recommandant pas l'établissement.

"Le pourcentage d'hospitalisations provenant des urgences, stable à 75%, met en évidence que la majorité des venues au CH ne correspondent pas à un choix délibéré des usagers", alors que le nombre de plaintes à la commission des usagers est passé de 48 en 2019 à 82 en 2023.

Les 11 rappels au droit de la CRC au CH de Château-Thierry

La chambre régionale des comptes ne considère aucun de ses rappels comme mis en œuvre.

  • Effectuer les gardes sur le site de l'établissement
  • Déclarer les événements indésirables graves aux autorités compétentes
  • Respecter les dispositions du code de la santé publique relatives aux attributions du conseil de surveillance
  • Rendre accessible à l'ensemble du personnel les relevés de conclusions des séances du directoire
  • Exercer les missions de contrôle de l'activité libérale au sein de l'établissement, conformément aux dispositions du code de la santé publique
  • Mettre le projet médical en conformité avec le code de la santé publique
  • Adopter le projet d'établissement
  • Etablir et tenir à jour les inventaires physique et comptable des actifs
  • Mettre fin au versement de compléments irréguliers de rémunération du personnel médical
  • Emettre les titres de recettes en vue de recouvrer les sommes indûment perçues par le personnel médical
  • Respecter le délai de paiement réglementaire et, s'il est dépassé, mandater des intérêts moratoires

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