Actualités de l'Urgence - APM

03/04 2017
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COMMENT SE RECONSTRUIRE APRÈS UN ATTENTAT: LE TÉMOIGNAGE DE PATRICK PELLOUX

(Par Sabine NEULAT-ISARD)

PARIS, 3 avril 2017 (APMnews) - Patrick Pelloux, médecin urgentiste au Samu de Paris et ancien chroniqueur à Charlie Hebdo, témoigne de sa lente "déconstruction" puis "reconstruction" après l'attentat perpétré à son journal en 2015, dans un ouvrage disponible en librairie depuis jeudi.

Patrick Pelloux, bien connu du monde hospitalier en tant que président de l'Association des médecins urgentistes de France (Amuf), a été pendant plusieurs années chroniqueur pour l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo.

Au début de son livre, "L'Instinct de vie", il raconte que le 7 janvier 2015, il aurait dû être au journal. Mais il participait en même temps à une réunion "pour mieux organiser les secours en France entre les pompiers, les urgences et les Samu". Etaient aussi présents le commandant Jean-Pierre Tourtier, médecin-chef de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, et le Dr François Braun, chef du service des urgences de l'hôpital de Metz.

Lorsqu'un ami du journal l'appelle pour l'alerter de la tuerie qui vient de se produire, les participants à cette réunion se précipitent sur les lieux. "En montant les escaliers, plus j'avançais, plus je voyais du sang. De plus en plus. Partout. La porte du journal s'ouvre, j'entre... C'est fini. A l'instant T, je sais, d'un coup. L'horreur", écrit-il. Ceux qui étaient morts "avaient la tête ouverte, ce n'était pas possible", décrit-il juste avec ces mots.

Le médecin raconte comment il a senti alors son cerveau "se scinder en deux" et comment il est parvenu tout de même à appeler la régulation du Samu pour prévenir qu'il y avait quatre blessés graves et demander quatre places en réanimation chirurgicale. "L'automatisme du professionnel de l'urgence a pris le relais", observe-t-il.

Après s'être occupé des "survivants" et avoir aussi alerté "le chef des armées", c'est-à-dire François Hollande, il a ressenti "l'effondrement de tout". "J'ai vu des choses que je n'aurais pas dû voir. C'est cela qui fait le traumatisme", explique-t-il.

Patrick Pelloux indique qu'après avoir perdu ceux qui étaient ses "amis", il est tombé "dans l'abîme du mal-être".

Pourtant, il prévient que son livre n'est pas "la mise en scène du désespoir" mais "une lutte pour l'espoir, car cerner le diagnostic, le comprendre, équivaut à la moitié de la reconstruction".

Mais "c'est un long travail de redevenir heureux", reconnaît-il.

=3Déconstruire le souvenir de l'horreur

Tout au long des chapitres de son livre, il décortique ce qu'est un traumatisme et cet état de "sidération" qu'il a ressenti à la découverte du corps de ses amis morts. Faisant référence aux autres attentats qui se sont produits ensuite en France, notamment au Bataclan (Paris), il explique ce que c'est d'être "victime", comment il faut parfois se protéger des autres et des médias.

Il insiste sur le fait que "l'oubli" et "le retour à l'état premier" sont impossibles et que les victimes vont devoir apprendre à "vivre avec".

Mais "avant de remonter", "il faut comprendre ce qui s'est passé. Inclure au plus profond de soi que sa vie a changé. Analyser qu'il faudra vivre avec un drame", souligne-t-il.

"Il faut absorber l'horreur [...] On ne peut pas le détruire. Il faut le déconstruire. Déconstruire le souvenir de l'horreur. Comprendre ce qui s'est passé tant à l'extérieur de soi qu'en soi", ajoute-t-il, jugeant qu'il était ainsi nécessaire de rouvrir les lieux où se sont déroulés les attentats.

Evoquant notamment la réouverture du Bataclan en présence de victimes ou de proches de disparus, il souligne le grand rôle joué par la cellule d'urgence médico-psychologique (CUMP) du Samu de Paris, dirigée par le Pr Didier Cremniter. Alors que les CUMP étaient faites pour les premiers instants des drames, l'idée est maintenant que leur prise en charge doit durer plus longtemps, explique Patrick Pelloux.

Il insiste à plusieurs reprises sur la nécessité d'une telle prise en charge, ayant rencontré des personnes n'en ayant pas bénéficié et souffrant de stress post-traumatique un an après les attentats de novembre 2015.

Après ce travail de "déconstruction", il décrit ensuite le travail de "reconstruction" qu'il faut tenter de faire mais qui peut demander du temps. La "bienveillance" et le "soutien" de l'entourage sont "primordiaux". "Mais sa propre bienveillance l'est tout autant", affirme-t-il.

Patrick Pelloux revient sur tout ce qui l'a aidé dans sa reconstruction: l'amitié mais aussi le sport, le yoga, la musique, des expositions et des pièces de théâtre ou encore ses chats. De "toutes petites choses" qu'il appelle des "bulles", c'est-à-dire quelque chose de "léger et simple" pour "prendre soin de soi".

Il ajoute qu'il est retourné travailler au Samu de Paris. "Il était crucial pour moi d'être utile, de continuer d'aider les autres", confie-t-il.

"Je ne dis pas que la reconstruction est facile après un traumatisme, bien au contraire. Mais avec de la protection et du temps, se reconstruire et en quelque sorte renaître [...] est possible", assure Patrick Pelloux à la fin de son ouvrage. "Désormais, je ne me sens plus coupable de vivre ou d'exister."

("L'instinct de vie", Patrick Pelloux, éditions du Cherche Midi, 174 pages, 15 euros)

san/gb/APMnews

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PARIS, 3 avril 2017 (APMnews) - Patrick Pelloux, médecin urgentiste au Samu de Paris et ancien chroniqueur à Charlie Hebdo, témoigne de sa lente "déconstruction" puis "reconstruction" après l'attentat perpétré à son journal en 2015, dans un ouvrage disponible en librairie depuis jeudi.

Patrick Pelloux, bien connu du monde hospitalier en tant que président de l'Association des médecins urgentistes de France (Amuf), a été pendant plusieurs années chroniqueur pour l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo.

Au début de son livre, "L'Instinct de vie", il raconte que le 7 janvier 2015, il aurait dû être au journal. Mais il participait en même temps à une réunion "pour mieux organiser les secours en France entre les pompiers, les urgences et les Samu". Etaient aussi présents le commandant Jean-Pierre Tourtier, médecin-chef de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, et le Dr François Braun, chef du service des urgences de l'hôpital de Metz.

Lorsqu'un ami du journal l'appelle pour l'alerter de la tuerie qui vient de se produire, les participants à cette réunion se précipitent sur les lieux. "En montant les escaliers, plus j'avançais, plus je voyais du sang. De plus en plus. Partout. La porte du journal s'ouvre, j'entre... C'est fini. A l'instant T, je sais, d'un coup. L'horreur", écrit-il. Ceux qui étaient morts "avaient la tête ouverte, ce n'était pas possible", décrit-il juste avec ces mots.

Le médecin raconte comment il a senti alors son cerveau "se scinder en deux" et comment il est parvenu tout de même à appeler la régulation du Samu pour prévenir qu'il y avait quatre blessés graves et demander quatre places en réanimation chirurgicale. "L'automatisme du professionnel de l'urgence a pris le relais", observe-t-il.

Après s'être occupé des "survivants" et avoir aussi alerté "le chef des armées", c'est-à-dire François Hollande, il a ressenti "l'effondrement de tout". "J'ai vu des choses que je n'aurais pas dû voir. C'est cela qui fait le traumatisme", explique-t-il.

Patrick Pelloux indique qu'après avoir perdu ceux qui étaient ses "amis", il est tombé "dans l'abîme du mal-être".

Pourtant, il prévient que son livre n'est pas "la mise en scène du désespoir" mais "une lutte pour l'espoir, car cerner le diagnostic, le comprendre, équivaut à la moitié de la reconstruction".

Mais "c'est un long travail de redevenir heureux", reconnaît-il.

=3Déconstruire le souvenir de l'horreur

Tout au long des chapitres de son livre, il décortique ce qu'est un traumatisme et cet état de "sidération" qu'il a ressenti à la découverte du corps de ses amis morts. Faisant référence aux autres attentats qui se sont produits ensuite en France, notamment au Bataclan (Paris), il explique ce que c'est d'être "victime", comment il faut parfois se protéger des autres et des médias.

Il insiste sur le fait que "l'oubli" et "le retour à l'état premier" sont impossibles et que les victimes vont devoir apprendre à "vivre avec".

Mais "avant de remonter", "il faut comprendre ce qui s'est passé. Inclure au plus profond de soi que sa vie a changé. Analyser qu'il faudra vivre avec un drame", souligne-t-il.

"Il faut absorber l'horreur [...] On ne peut pas le détruire. Il faut le déconstruire. Déconstruire le souvenir de l'horreur. Comprendre ce qui s'est passé tant à l'extérieur de soi qu'en soi", ajoute-t-il, jugeant qu'il était ainsi nécessaire de rouvrir les lieux où se sont déroulés les attentats.

Evoquant notamment la réouverture du Bataclan en présence de victimes ou de proches de disparus, il souligne le grand rôle joué par la cellule d'urgence médico-psychologique (CUMP) du Samu de Paris, dirigée par le Pr Didier Cremniter. Alors que les CUMP étaient faites pour les premiers instants des drames, l'idée est maintenant que leur prise en charge doit durer plus longtemps, explique Patrick Pelloux.

Il insiste à plusieurs reprises sur la nécessité d'une telle prise en charge, ayant rencontré des personnes n'en ayant pas bénéficié et souffrant de stress post-traumatique un an après les attentats de novembre 2015.

Après ce travail de "déconstruction", il décrit ensuite le travail de "reconstruction" qu'il faut tenter de faire mais qui peut demander du temps. La "bienveillance" et le "soutien" de l'entourage sont "primordiaux". "Mais sa propre bienveillance l'est tout autant", affirme-t-il.

Patrick Pelloux revient sur tout ce qui l'a aidé dans sa reconstruction: l'amitié mais aussi le sport, le yoga, la musique, des expositions et des pièces de théâtre ou encore ses chats. De "toutes petites choses" qu'il appelle des "bulles", c'est-à-dire quelque chose de "léger et simple" pour "prendre soin de soi".

Il ajoute qu'il est retourné travailler au Samu de Paris. "Il était crucial pour moi d'être utile, de continuer d'aider les autres", confie-t-il.

"Je ne dis pas que la reconstruction est facile après un traumatisme, bien au contraire. Mais avec de la protection et du temps, se reconstruire et en quelque sorte renaître [...] est possible", assure Patrick Pelloux à la fin de son ouvrage. "Désormais, je ne me sens plus coupable de vivre ou d'exister."

("L'instinct de vie", Patrick Pelloux, éditions du Cherche Midi, 174 pages, 15 euros)

san/gb/APMnews

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