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30/05 2022
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CONSTAT SÉVÈRE DE L'IGAS SUR LES PROGRAMMES DE DÉPISTAGE DES CANCERS

PARIS, 30 mai 2022 (APMnews) - Les trois programmes nationaux de dépistage des cancers en France donnent des résultats décevants et souffrent de différents problèmes organisationnels, d'un pilotage trop complexe et de retards dans plusieurs domaines, estime l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) dans un rapport rendu public lundi.

Face à ces constats, les trois auteurs du rapport (Stéphanie Dupays, Hervé Leost et Yannick Le Guen) font une série de recommandations (cf dépêche du 30/05/2022 à 19:06).

Il existe trois programmes de dépistage organisé de cancers en France, rappelle-t-on: pour les cancers du sein (une mammographie tous les deux ans; pour les femmes de 50 à 74 ans), le cancer colorectal (détection du sang occulte dans les selles, tous les deux ans; entre 50 et 74 ans) et le cancer du col de l'utérus (examen cytopathologique d'un prélèvement du col de l'utérus chez les femmes de 25 à 30 ans, puis test de recherche des papillomavirus à haut risque entre 30 et 65 ans; seulement chez les femmes n'ayant pas eu d'examen dans les délais recommandés).

Les programmes étaient organisés initialement au niveau départemental. Ils le sont désormais, depuis 2019, au niveau régional, pilotés par des centres régionaux de coordination des dépistages des cancers (CRCDC).

Résultats "décevants"

L'Igas a calculé que les dépenses globales consacrées à ces dépistages -non seulement dans le cadre du dépistage organisé mais aussi les dépistages individuels- s'élèvent à "environ 600 millions d'euros, en consolidant les dépenses de fonctionnement des différentes institutions, les remboursements de l'assurance maladie et le reste à charge des assurés".

Mais les résultats sont qualifiés de "décevants". "Au regard de ce montant et des enjeux de santé publique, les résultats des programmes restent très en deçà des objectifs assignés."

Concernant le principal critère, la participation au dépistage, celle-ci est de 42,8% pour le cancer du sein, un taux "très inférieur à l'objectif européen et à la moyenne européenne". Pour le cancer colorectal, l'Igas cite un taux de 28,9% en 2019-2020 (il y a toutefois une remontée en 2020-2021, rappelle-t-on, cf dépêche du 16/03/2022 à 11:01), là aussi "très en deçà des objectifs nationaux et de la cible européenne".

De plus, les auteurs déplorent que d'autres indicateurs de qualité comme les délais d'accès aux examens ou le taux de résultats positifs "ne sont pas régulièrement publiés".

Le rapport pointe un certain nombre de défauts qui, selon lui, entravent ces programmes de dépistage. Tout d'abord, "les modalités de pilotage national sont trop complexes".

Elles impliquent en effet la direction générale de la santé (DGS) qui officiellement assure le pilotage des programmes; la Haute autorité de santé (HAS) qui élabore des recommandations; l'Institut national du cancer (Inca) qui assure le pilotage opérationnel, notamment sur la promotion des dépistages, la réflexion prospective; l'assurance maladie qui cofinance, gère le marché des tests pour le dépistage du cancer colorectal, est impliquée dans les négociations conventionnelles avec les professionnels de santé concernés…; Santé publique France qui évalue les programmes; l'Agence nationale de sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé (ANSM), qui édicte les normes de contrôle de la qualité des installations de mammographie; la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) en tant que régulateur des données personnelles.

Beaucoup de pilotes dans l'avion au niveau national, donc. À l’inverse, au niveau régional, si les programmes sont officiellement pilotés par l'agence régionale de santé (ARS) en lien avec les représentants de l'assurance maladie, la coordination est confiée aux CRCDC, structures associatives -qui ont pris le relais des associations qui auparavant géraient les différents dépistages séparément, dans chaque département. Et en bout de chaîne, la mise en oeuvre des dépistages "repose sur les professionnels de santé".

Il est assigné aux CRCDC "huit missions": notamment la mise en oeuvre du dispositif de dépistage mais aussi de son évaluation, des relations avec la population et avec les professionnels de santé, de la gestion du système d'information, de l'assurance qualité. La recherche et des expérimentations font aussi partie des missions.

Effectifs insuffisants des CRCDC pour mener toutes les missions

C’est "ambitieux" mais ces différentes missions "ne sont pas priorisées" et sont mises en oeuvre de façon "hétérogène". C'est lié notamment aux effectifs insuffisants des CRCDC et au manque de certaines compétences. Outre les médecins impliqués dans ces structures de statut associatif, les CRCDC ont en moyenne 43 équivalents temps plein -ETP- (à 60% des secrétaires et assistants), répartis sur les différents départements des régions. Mais cinq centres comptent moins de 10 salariés.

L'Igas a pu constater que "les tensions sont très fortes" entre le niveau national du pilotage et les CRCDC. Les présidents de ces structures "estiment ne pas être associés aux décisions nationales tout en faisant l'objet de demandes de [compte-rendu] excessives et d'un encadrement trop intrusif, décourageant toute initiative" (cf également dépêche du 15/11/2021 à 10:29).

D'un côté, "une majorité des CRCDC met en cause la légitimité et la capacité de décision des pilotes nationaux" et certains présidents de CRCDC "arguent de leur propre légitimité historique et scientifique dans les programmes de dépistage". De l'autre côté, "les pilotes nationaux doutent de l'efficacité de certains centres régionaux et de leur propension à accepter le principe même d'un pilotage de leur activité au niveau national".

De plus, selon l'Igas, la régionalisation a conduit à une ré-organisation dont la complexité avait été "largement sous-estimée" et qui a souffert d'un "manque d'accompagnement". Mais pour le moment les objectifs d'"organisation plus optimale", d'"efficience de la lisibilité", d'harmonisation des pratiques" semblent "limités", constate l'Igas. Notamment, le fonctionnement est encore très départemental et les effectifs insuffisants et très administratifs limitent les possibilités d'avancer en termes de management des datas, de qualité, de recherche.

Occasion manquée

Et la régionalisation a été "une occasion manquée de remédier aux difficultés structurelles des programmes de dépistage". Les auteurs citent le nécessaire transfert des CRCDC vers la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) de l'activité d'envoi des invitations au dépistage aux personnes concernées, "pourtant inscrit dans les deux contrats d'objectifs et de gestion les plus récents de cet organisme" mais non mis en oeuvre.

Ils déplorent le fait que pour le dépistage du cancer du sein, "la seconde lecture des mammographies n'a pas été dématérialisée, malgré les expérimentations territoriales initiées depuis 10 ans". Et également malgré des inquiétudes réitérées des radiologues impliqués dans ce dépistage, note-t-on (cf dépêche du 12/11/2019 à 11:55).

À l'heure du numérique et de la télémédecine, la lecture continue de se faire sur les clichés -ce qui "mobilise une part très importante du personnel des centres et engendre un surcoût"- et en utilisant des appareils anciens qui "ne sont plus fabriqués" et dont la maintenance devient difficile!

Dans le domaine de la nécessaire d'évolution vers le numérique, l'Igas pointe également l'absence de mise en oeuvre d'un système d'information national.

Et surtout, in fine, les trois inspecteurs déplorent que "la régionalisation en elle-même n'apportait aucune réponse à la question que posait la stagnation voire la régression des taux de participation au dépistage organisé".

"La régionalisation aurait dû être accompagnée d'un renforcement de la présence sur les territoires pour développer les actions de promotion et d''aller vers', y compris via la diffusion de supports spécifiques et innovants pour les populations non réceptives aux campagnes d'information actuelles".

D'où des propositions de "repenser les actions des CRCDC", "laisser plus de marge d'action aux acteurs locaux" et de "refonder le pilotage des programmes de dépistage dans le nouveau cadre de la stratégie décennale".

(Le dépistage organisé des cancers en France, 62 pages avec des annexes, publié le lundi 30 mai sur le site de l'Igas)

fb/ab/APMnews

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PARIS, 30 mai 2022 (APMnews) - Les trois programmes nationaux de dépistage des cancers en France donnent des résultats décevants et souffrent de différents problèmes organisationnels, d'un pilotage trop complexe et de retards dans plusieurs domaines, estime l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) dans un rapport rendu public lundi.

Face à ces constats, les trois auteurs du rapport (Stéphanie Dupays, Hervé Leost et Yannick Le Guen) font une série de recommandations (cf dépêche du 30/05/2022 à 19:06).

Il existe trois programmes de dépistage organisé de cancers en France, rappelle-t-on: pour les cancers du sein (une mammographie tous les deux ans; pour les femmes de 50 à 74 ans), le cancer colorectal (détection du sang occulte dans les selles, tous les deux ans; entre 50 et 74 ans) et le cancer du col de l'utérus (examen cytopathologique d'un prélèvement du col de l'utérus chez les femmes de 25 à 30 ans, puis test de recherche des papillomavirus à haut risque entre 30 et 65 ans; seulement chez les femmes n'ayant pas eu d'examen dans les délais recommandés).

Les programmes étaient organisés initialement au niveau départemental. Ils le sont désormais, depuis 2019, au niveau régional, pilotés par des centres régionaux de coordination des dépistages des cancers (CRCDC).

Résultats "décevants"

L'Igas a calculé que les dépenses globales consacrées à ces dépistages -non seulement dans le cadre du dépistage organisé mais aussi les dépistages individuels- s'élèvent à "environ 600 millions d'euros, en consolidant les dépenses de fonctionnement des différentes institutions, les remboursements de l'assurance maladie et le reste à charge des assurés".

Mais les résultats sont qualifiés de "décevants". "Au regard de ce montant et des enjeux de santé publique, les résultats des programmes restent très en deçà des objectifs assignés."

Concernant le principal critère, la participation au dépistage, celle-ci est de 42,8% pour le cancer du sein, un taux "très inférieur à l'objectif européen et à la moyenne européenne". Pour le cancer colorectal, l'Igas cite un taux de 28,9% en 2019-2020 (il y a toutefois une remontée en 2020-2021, rappelle-t-on, cf dépêche du 16/03/2022 à 11:01), là aussi "très en deçà des objectifs nationaux et de la cible européenne".

De plus, les auteurs déplorent que d'autres indicateurs de qualité comme les délais d'accès aux examens ou le taux de résultats positifs "ne sont pas régulièrement publiés".

Le rapport pointe un certain nombre de défauts qui, selon lui, entravent ces programmes de dépistage. Tout d'abord, "les modalités de pilotage national sont trop complexes".

Elles impliquent en effet la direction générale de la santé (DGS) qui officiellement assure le pilotage des programmes; la Haute autorité de santé (HAS) qui élabore des recommandations; l'Institut national du cancer (Inca) qui assure le pilotage opérationnel, notamment sur la promotion des dépistages, la réflexion prospective; l'assurance maladie qui cofinance, gère le marché des tests pour le dépistage du cancer colorectal, est impliquée dans les négociations conventionnelles avec les professionnels de santé concernés…; Santé publique France qui évalue les programmes; l'Agence nationale de sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé (ANSM), qui édicte les normes de contrôle de la qualité des installations de mammographie; la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) en tant que régulateur des données personnelles.

Beaucoup de pilotes dans l'avion au niveau national, donc. À l’inverse, au niveau régional, si les programmes sont officiellement pilotés par l'agence régionale de santé (ARS) en lien avec les représentants de l'assurance maladie, la coordination est confiée aux CRCDC, structures associatives -qui ont pris le relais des associations qui auparavant géraient les différents dépistages séparément, dans chaque département. Et en bout de chaîne, la mise en oeuvre des dépistages "repose sur les professionnels de santé".

Il est assigné aux CRCDC "huit missions": notamment la mise en oeuvre du dispositif de dépistage mais aussi de son évaluation, des relations avec la population et avec les professionnels de santé, de la gestion du système d'information, de l'assurance qualité. La recherche et des expérimentations font aussi partie des missions.

Effectifs insuffisants des CRCDC pour mener toutes les missions

C’est "ambitieux" mais ces différentes missions "ne sont pas priorisées" et sont mises en oeuvre de façon "hétérogène". C'est lié notamment aux effectifs insuffisants des CRCDC et au manque de certaines compétences. Outre les médecins impliqués dans ces structures de statut associatif, les CRCDC ont en moyenne 43 équivalents temps plein -ETP- (à 60% des secrétaires et assistants), répartis sur les différents départements des régions. Mais cinq centres comptent moins de 10 salariés.

L'Igas a pu constater que "les tensions sont très fortes" entre le niveau national du pilotage et les CRCDC. Les présidents de ces structures "estiment ne pas être associés aux décisions nationales tout en faisant l'objet de demandes de [compte-rendu] excessives et d'un encadrement trop intrusif, décourageant toute initiative" (cf également dépêche du 15/11/2021 à 10:29).

D'un côté, "une majorité des CRCDC met en cause la légitimité et la capacité de décision des pilotes nationaux" et certains présidents de CRCDC "arguent de leur propre légitimité historique et scientifique dans les programmes de dépistage". De l'autre côté, "les pilotes nationaux doutent de l'efficacité de certains centres régionaux et de leur propension à accepter le principe même d'un pilotage de leur activité au niveau national".

De plus, selon l'Igas, la régionalisation a conduit à une ré-organisation dont la complexité avait été "largement sous-estimée" et qui a souffert d'un "manque d'accompagnement". Mais pour le moment les objectifs d'"organisation plus optimale", d'"efficience de la lisibilité", d'harmonisation des pratiques" semblent "limités", constate l'Igas. Notamment, le fonctionnement est encore très départemental et les effectifs insuffisants et très administratifs limitent les possibilités d'avancer en termes de management des datas, de qualité, de recherche.

Occasion manquée

Et la régionalisation a été "une occasion manquée de remédier aux difficultés structurelles des programmes de dépistage". Les auteurs citent le nécessaire transfert des CRCDC vers la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) de l'activité d'envoi des invitations au dépistage aux personnes concernées, "pourtant inscrit dans les deux contrats d'objectifs et de gestion les plus récents de cet organisme" mais non mis en oeuvre.

Ils déplorent le fait que pour le dépistage du cancer du sein, "la seconde lecture des mammographies n'a pas été dématérialisée, malgré les expérimentations territoriales initiées depuis 10 ans". Et également malgré des inquiétudes réitérées des radiologues impliqués dans ce dépistage, note-t-on (cf dépêche du 12/11/2019 à 11:55).

À l'heure du numérique et de la télémédecine, la lecture continue de se faire sur les clichés -ce qui "mobilise une part très importante du personnel des centres et engendre un surcoût"- et en utilisant des appareils anciens qui "ne sont plus fabriqués" et dont la maintenance devient difficile!

Dans le domaine de la nécessaire d'évolution vers le numérique, l'Igas pointe également l'absence de mise en oeuvre d'un système d'information national.

Et surtout, in fine, les trois inspecteurs déplorent que "la régionalisation en elle-même n'apportait aucune réponse à la question que posait la stagnation voire la régression des taux de participation au dépistage organisé".

"La régionalisation aurait dû être accompagnée d'un renforcement de la présence sur les territoires pour développer les actions de promotion et d''aller vers', y compris via la diffusion de supports spécifiques et innovants pour les populations non réceptives aux campagnes d'information actuelles".

D'où des propositions de "repenser les actions des CRCDC", "laisser plus de marge d'action aux acteurs locaux" et de "refonder le pilotage des programmes de dépistage dans le nouveau cadre de la stratégie décennale".

(Le dépistage organisé des cancers en France, 62 pages avec des annexes, publié le lundi 30 mai sur le site de l'Igas)

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