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27/09 2021
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DÉPISTAGE DU CANCER DE LA PROSTATE: UN DÉBAT TOUJOURS VIF MAIS UN DÉBUT DE RAPPROCHEMENT

PARIS, 24 septembre 2021 (APMnews) - Le débat sur la possibilité de mettre en place un dépistage organisé du cancer de la prostate reste vif, avec des positions toujours opposées, mais un début de rapprochement se dessine, a-t-on pu constater lors d'une table ronde organisée par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale mardi dernier.

La question du dépistage de ce cancer fait débat depuis de nombreuses années, opposant d'un côté les agences sanitaires qui estiment les données actuelles insuffisantes pour permettre de se lancer et de l'autre les urologues qui voient le moyen de diminuer le nombre de cas de cancers au stade métastatique.

Les dernières recommandations de la Haute autorité de santé (HAS) sur le dépistage organisé du cancer de la prostate par dosage du PSA datent de 2012 (cf dépêche du 04/04/2012 à 00:05). Elles étaient défavorables. Ces recommandations "avaient été rendues avec un large consensus et l'avis disait qu'en l'état des connaissances il n'y avait ni amélioration de la survie ni amélioration de la qualité de vie", a rappelé mardi la présidente de la HAS Dominique Le Guludec.

Depuis lors, la HAS a continué de faire une veille des avancées scientifiques, a-t-elle ajouté, déclarant que "si des publications probantes apparaissaient nous rouvririons le sujet". Mais elle a affirmé qu'"à ce jour il n'y a pas eu de nécessité" de revenir sur cet avis de 2012.

Même son de cloche du côté de l'Institut national du cancer (Inca), dont le président Norbert Ifrah a réaffirmé que "le dosage du PSA associé à un toucher rectal n'est pas suffisamment fiable, par manque de spécificité pour diagnostiquer le cancer". Il a rappelé qu'il y avait un taux élevé de surdiagnostic (20 à 50% selon les études) et a mis en avant les problèmes liés au surtraitement: le "taux très significatif de complications" après les interventions chirurgicales (réhospitalisations, infections, problèmes urinaires et impuissance).

Ainsi, si le dépistage du cancer de la prostate reste un "sujet d'intérêt" pour l'Inca, "le PSA seul [+/- toucher rectal], c'est niet", a tranché le président de l'Inca.

Une position qui a fait bondir les représentants d'associations de patients. Roland Muntz, président de l'Association nationale des malades du cancer de la prostate (ANAMACaP) s'est dit "étonné de ce qu'[il] ven[ait] d'entendre". Affirmant parler "au nom des patients et des veuves de patients" qui disent leur "incompréhension" de l'absence de dépistage organisé, il a mis en avant les essais cliniques dont les résultats sont selon lui "incontestables".

Certes, les résultats de l'essai américain PLCO n'étaient pas significatifs, mais il a déclaré avoir rencontré l'investigateur principal de cette étude qui reconnaît lui-même que le résultat est biaisé, un nombre important d'hommes dans le groupe contrôle ayant eu des mesures de PSA. Il a mis en avant au contraire le résultat positif de l'essai européen ERSPC (dont Norbert Ifrah a toutefois estimé qu'il n'est pas non exempt de biais).

Le PSA pour "faire le tri"?

Rappelant qu'il y a annuellement plus de 8.000 décès par cancer de la prostate, Roland Muntz a plaidé pour l'utilisation du PSA pour, dans une première étape, "écarter" les "70%" d'hommes dont ce biomarqueur n'est pas élevé, pour "se focaliser sur les 30%" qui méritent un suivi par IRM ou d'autres biomarqueurs à venir. Une stratégie qui selon lui coûterait bien moins cher que de traiter les cancers métastatiques par le cocktail de médicaments qui a montré une efficacité dans un essai présenté la semaine dernière au congrès de l'ESMO (cf dépêche du 09/06/2021 à 12:58).

Du côté des urologues, le Pr Georges Fournier, président de l'Association française d'urologie (AFU), a mis en avant son "expérience professionnelle" et le fait d'être "dans le quotidien" et de voir des patients au stade métastatique qui, selon lui, auraient pu être détectés plus tôt. Il a plaidé pour un dépistage qui permettrait de diminuer le nombre de cancers agressifs vus par les urologues. "L'enjeu est de détecter les maladies graves et d'oublier les cancers peu agressifs" dont les patients ne mourront pas. Il faut pouvoir "faire le tri".

Il a estimé que même en l'état, le dépistage avec seulement le PSA a une utilité car aux Etats-Unis, quand les autorités ont recommandé d'arrêter de faire de test, le nombre de cancers de la prostate au stade avancé a augmenté.

Il faut faire un état des lieux

Pour faire un "état des lieux" des pratiques actuelles en France, "savoir combien de cancers sont diagnostiqués à chaque stade, combien ont eu un PSA avant, quel a été leur devenir…", il a demandé une étude similaire à ce qui avait été fait en 2009 sous l'égide de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé (Opeps) à l'occasion du rapport rédigé à l'époque par le député (et urologue) Bernard Debré (cf dépêche du 01/04/2009 à 16:50).

Le point de vue des urologues n'a toutefois pas été partagé par Serge Gilbert, vice-président du Collège de la médecine générale (CMG), qui a déclaré "rejoindre" la position de l'Inca. Alors que les urologues voient principalement des patients ayant un cancer avancé, les généralistes voient eux tous les patients, y compris ceux qui ont des "effets délétères" du dépistage, avec les risques de complications et des "vies gâchées".

"Le PSA est un mauvais test". Quand il est élevé, "on est dans le flou; on ne sait pas trouver les cancers agressifs". Et on risque de "faire basculer des gens qui sont dans le camp des bien-portants, qui vont se retrouver faussement malades".

Sans écarter ce test, il estime qu'il faut "proposer une décision partagée" aux hommes de 50 ans et plus, en expliquant d'une part les risques liés aux complications potentielles des traitements, d'autre part les risques de cancer détecté tardivement si l'on ne fait rien.

Couplage PSA-IRM

Une voie médiane semble se dessiner. Le représentant des urologues s'est félicité de voir une ouverture en faveur du dépistage d'autres cancers que les trois actuellement dépistés, dont celui de la prostate, dans la stratégie décennale de lutte contre le cancer.

Ouverture liée au fait que des données ont émergé sur l'intérêt de l'IRM dans le dépistage du cancer de la prostate (cf notamment l'étude PRECISION, dépêche du 20/03/2018 à 18:51).

Norbert Ifrah a estimé au nom de l'Inca que si le PSA seul n'est pas fiable, "le sujet mérite d'être réévalué, avec le couplage potentiel du PSA et de l'IRM". Ce sujet "mérite d'être retravaillé. Nous avons réouvert la porte à une réflexion, sur un dépistage rénové".

Pour le président de l'AFU, on pourrait "utiliser l'IRM comme outil de tri", pour "distinguer les cancers agressifs des non agressifs", comme l'a montré une étude récente (cf dépêche du 20/03/2018 à 18:51). Ce qui est déjà proposé dans des recommandations de l'AFU.

"L'IRM constitue un filtre majeur pour éviter des biopsies inutiles", a renchéri le Pr Olivier Cussenot, urologue à l'hôpital Tenon à Paris (AP-HP), qui était présent en tant que président du conseil scientifique de l'ANAMACaP.

Le président de l'Inca a tout de même soulevé un double problème pratique. D'une part, actuellement "l'accès à l'IRM est très déficitaire en France". Il y a un manque d'appareils et s'il y a eu un plan IRM, il "avait fait la part large à l'IRM ostéo-articulaire; ce n'était pas pour les cancers".

L'amélioration de l'accès à l'IRM fait partie de la stratégie décennale de lutte contre le cancer, mais cela sera progressif.

D'autre part, quand bien même il y aurait suffisamment d'appareils, "on n'a pas assez de manipulateurs de radiologie, et pas assez de radiologues en formation", a-t-il déploré. Au-delà des questions scientifiques, "on ne peut pas éviter la problématique organisationnelle", a-t-il noté.

fb/nc/APMnews

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PARIS, 24 septembre 2021 (APMnews) - Le débat sur la possibilité de mettre en place un dépistage organisé du cancer de la prostate reste vif, avec des positions toujours opposées, mais un début de rapprochement se dessine, a-t-on pu constater lors d'une table ronde organisée par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale mardi dernier.

La question du dépistage de ce cancer fait débat depuis de nombreuses années, opposant d'un côté les agences sanitaires qui estiment les données actuelles insuffisantes pour permettre de se lancer et de l'autre les urologues qui voient le moyen de diminuer le nombre de cas de cancers au stade métastatique.

Les dernières recommandations de la Haute autorité de santé (HAS) sur le dépistage organisé du cancer de la prostate par dosage du PSA datent de 2012 (cf dépêche du 04/04/2012 à 00:05). Elles étaient défavorables. Ces recommandations "avaient été rendues avec un large consensus et l'avis disait qu'en l'état des connaissances il n'y avait ni amélioration de la survie ni amélioration de la qualité de vie", a rappelé mardi la présidente de la HAS Dominique Le Guludec.

Depuis lors, la HAS a continué de faire une veille des avancées scientifiques, a-t-elle ajouté, déclarant que "si des publications probantes apparaissaient nous rouvririons le sujet". Mais elle a affirmé qu'"à ce jour il n'y a pas eu de nécessité" de revenir sur cet avis de 2012.

Même son de cloche du côté de l'Institut national du cancer (Inca), dont le président Norbert Ifrah a réaffirmé que "le dosage du PSA associé à un toucher rectal n'est pas suffisamment fiable, par manque de spécificité pour diagnostiquer le cancer". Il a rappelé qu'il y avait un taux élevé de surdiagnostic (20 à 50% selon les études) et a mis en avant les problèmes liés au surtraitement: le "taux très significatif de complications" après les interventions chirurgicales (réhospitalisations, infections, problèmes urinaires et impuissance).

Ainsi, si le dépistage du cancer de la prostate reste un "sujet d'intérêt" pour l'Inca, "le PSA seul [+/- toucher rectal], c'est niet", a tranché le président de l'Inca.

Une position qui a fait bondir les représentants d'associations de patients. Roland Muntz, président de l'Association nationale des malades du cancer de la prostate (ANAMACaP) s'est dit "étonné de ce qu'[il] ven[ait] d'entendre". Affirmant parler "au nom des patients et des veuves de patients" qui disent leur "incompréhension" de l'absence de dépistage organisé, il a mis en avant les essais cliniques dont les résultats sont selon lui "incontestables".

Certes, les résultats de l'essai américain PLCO n'étaient pas significatifs, mais il a déclaré avoir rencontré l'investigateur principal de cette étude qui reconnaît lui-même que le résultat est biaisé, un nombre important d'hommes dans le groupe contrôle ayant eu des mesures de PSA. Il a mis en avant au contraire le résultat positif de l'essai européen ERSPC (dont Norbert Ifrah a toutefois estimé qu'il n'est pas non exempt de biais).

Le PSA pour "faire le tri"?

Rappelant qu'il y a annuellement plus de 8.000 décès par cancer de la prostate, Roland Muntz a plaidé pour l'utilisation du PSA pour, dans une première étape, "écarter" les "70%" d'hommes dont ce biomarqueur n'est pas élevé, pour "se focaliser sur les 30%" qui méritent un suivi par IRM ou d'autres biomarqueurs à venir. Une stratégie qui selon lui coûterait bien moins cher que de traiter les cancers métastatiques par le cocktail de médicaments qui a montré une efficacité dans un essai présenté la semaine dernière au congrès de l'ESMO (cf dépêche du 09/06/2021 à 12:58).

Du côté des urologues, le Pr Georges Fournier, président de l'Association française d'urologie (AFU), a mis en avant son "expérience professionnelle" et le fait d'être "dans le quotidien" et de voir des patients au stade métastatique qui, selon lui, auraient pu être détectés plus tôt. Il a plaidé pour un dépistage qui permettrait de diminuer le nombre de cancers agressifs vus par les urologues. "L'enjeu est de détecter les maladies graves et d'oublier les cancers peu agressifs" dont les patients ne mourront pas. Il faut pouvoir "faire le tri".

Il a estimé que même en l'état, le dépistage avec seulement le PSA a une utilité car aux Etats-Unis, quand les autorités ont recommandé d'arrêter de faire de test, le nombre de cancers de la prostate au stade avancé a augmenté.

Il faut faire un état des lieux

Pour faire un "état des lieux" des pratiques actuelles en France, "savoir combien de cancers sont diagnostiqués à chaque stade, combien ont eu un PSA avant, quel a été leur devenir…", il a demandé une étude similaire à ce qui avait été fait en 2009 sous l'égide de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé (Opeps) à l'occasion du rapport rédigé à l'époque par le député (et urologue) Bernard Debré (cf dépêche du 01/04/2009 à 16:50).

Le point de vue des urologues n'a toutefois pas été partagé par Serge Gilbert, vice-président du Collège de la médecine générale (CMG), qui a déclaré "rejoindre" la position de l'Inca. Alors que les urologues voient principalement des patients ayant un cancer avancé, les généralistes voient eux tous les patients, y compris ceux qui ont des "effets délétères" du dépistage, avec les risques de complications et des "vies gâchées".

"Le PSA est un mauvais test". Quand il est élevé, "on est dans le flou; on ne sait pas trouver les cancers agressifs". Et on risque de "faire basculer des gens qui sont dans le camp des bien-portants, qui vont se retrouver faussement malades".

Sans écarter ce test, il estime qu'il faut "proposer une décision partagée" aux hommes de 50 ans et plus, en expliquant d'une part les risques liés aux complications potentielles des traitements, d'autre part les risques de cancer détecté tardivement si l'on ne fait rien.

Couplage PSA-IRM

Une voie médiane semble se dessiner. Le représentant des urologues s'est félicité de voir une ouverture en faveur du dépistage d'autres cancers que les trois actuellement dépistés, dont celui de la prostate, dans la stratégie décennale de lutte contre le cancer.

Ouverture liée au fait que des données ont émergé sur l'intérêt de l'IRM dans le dépistage du cancer de la prostate (cf notamment l'étude PRECISION, dépêche du 20/03/2018 à 18:51).

Norbert Ifrah a estimé au nom de l'Inca que si le PSA seul n'est pas fiable, "le sujet mérite d'être réévalué, avec le couplage potentiel du PSA et de l'IRM". Ce sujet "mérite d'être retravaillé. Nous avons réouvert la porte à une réflexion, sur un dépistage rénové".

Pour le président de l'AFU, on pourrait "utiliser l'IRM comme outil de tri", pour "distinguer les cancers agressifs des non agressifs", comme l'a montré une étude récente (cf dépêche du 20/03/2018 à 18:51). Ce qui est déjà proposé dans des recommandations de l'AFU.

"L'IRM constitue un filtre majeur pour éviter des biopsies inutiles", a renchéri le Pr Olivier Cussenot, urologue à l'hôpital Tenon à Paris (AP-HP), qui était présent en tant que président du conseil scientifique de l'ANAMACaP.

Le président de l'Inca a tout de même soulevé un double problème pratique. D'une part, actuellement "l'accès à l'IRM est très déficitaire en France". Il y a un manque d'appareils et s'il y a eu un plan IRM, il "avait fait la part large à l'IRM ostéo-articulaire; ce n'était pas pour les cancers".

L'amélioration de l'accès à l'IRM fait partie de la stratégie décennale de lutte contre le cancer, mais cela sera progressif.

D'autre part, quand bien même il y aurait suffisamment d'appareils, "on n'a pas assez de manipulateurs de radiologie, et pas assez de radiologues en formation", a-t-il déploré. Au-delà des questions scientifiques, "on ne peut pas éviter la problématique organisationnelle", a-t-il noté.

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