Actualités de l'Urgence - APM

08/11 2019
Retour

DÉPISTAGE DU CANCER DU SEIN: INTERROGATIONS SUR LE BÉNÉFICE DE LA TOMOSYNTHÈSE TELLE QU'ELLE EST UTILISÉE EN PRATIQUE

(Par François BOISSIER, aux journées de la SFSPM)

MARSEILLE, 8 novembre 2019 (APMnews) - Des travaux présentés mercredi au congrès de la Société française de sénologie et de pathologie mammaire (SFSPM) à Marseille posent des questions sur le bénéfice de la tomosynthèse (ou mammographie 3D) dans le dépistage du cancer du sein, telle que cette technique est actuellement utilisée en France.

La tomosynthèse, examen qui s'ajoute à la mammographie 2D, a montré dans des études qu'elle pouvait améliorer la détection du cancer, notamment dans les seins denses (cf dépêche du 27/04/2016 à 18:45), tout en diminuant le risque de faux-positif.

Actuellement elle n'est pas intégrée au programme de dépistage organisé du cancer du sein. Elle n'est d'ailleurs intégrée à aucun programme de dépistage en Europe. Son intégration est en cours d'évaluation par la Haute autorité de santé (HAS) (cf dépêche du 18/05/2018 à 16:42). Mais près de 500 machines équipent d'ores et déjà des cabinets de radiologie en France, et en pratique il y a une utilisation en dépistage.

Brigitte Seradour de l'hôpital Beauregard à Marseille a présenté au congrès de la SFSPM une analyse visant à comparer les résultats du dépistage avec ou sans tomosynthèse, sur la base des données de dépistage organisé dans les Bouches-du-Rhône. Les résultats sont inattendus.

D'emblée la spécialiste a précisé que son travail avait quelques limites, notamment le fait qu'elle a comparé les résultats de centres de radiologie ayant ou n'ayant pas d'appareil de tomosynthèse, sans savoir, pour ceux qui en avaient un, pour quelle proportion des femmes dans le dépistage organisé il était utilisé (en l'absence de codage on ne peut savoir quand les radiologues l'utilisent).

L'analyse a été faite sur 11 centres, sur 2011-2017. Il y avait d'un côté 36.998 femmes dépistées avec des appareils ayant la tomosynthèse (264 cancers détectés) et 73.948 sans cette technologie (559 cancers détectés).

Il s'est avéré que le taux de détection était légèrement (mais non significativement) inférieur dans les cas où les appareils étaient équipés de la tomosynthèse: 5,49/1.000 comparé à 5,82/1.000.

Le taux de détection de cancers in situ était en revanche un peu plus élevé avec la tomosynthèse (1,45/1.000 contre 1,21/1.000) mais là aussi cela n'était pas significatif.

Dans les centres équipés avec la tomosynthèse, le taux de détection des cancers invasifs sur des seins non denses était diminué (4,27/1.000 contre 5,54/1.000) et le taux de détection dans les seins denses était similaire (7,99/1.000 contre 7,68/1.000).

"Ces résultats sont difficiles à interpréter", a prudemment commenté Brigitte Seradour, en notant au passage que dans sa propre expérience, elle améliore ses résultats avec la tomosynthèse (mais tout de même dans une proportion moindre que dans les études, a-t-elle précisé).

Elle a s'est interrogée sur la façon dont la tomosynthèse était utilisée par les centres. "Certains centres ayant des gros volumes de dépistage du cancer du sein ont acheté un appareil de tomosynthèse pour être plus rentables", mais ce ne sont pas forcément les meilleurs spécialistes du cancer du sein et la tomosynthèse "ne les rend pas meilleurs". Et les résultats de ces gros centres peuvent masquer des résultats plus encourageants de centres spécialisés en sénologie plus petits.

Une présentation de Corinne Allioux du Centre coordonnateur de dépistage des cancers des pays de la Loire est allée dans le même sens.

Une enquête sur 65 radiologues a indiqué que la tomosynthèse était utilisée majoritairement par des radiologues du privé et que quand elle était disponible, son utilisation était très souvent systématique.

Les radiologues interrogés affirmaient qu'avec la tomosynthèse ils faisaient moins de clichés complémentaires et utilisaient moins souvent l'échographie. Par ailleurs, cette technologie a augmenté le temps d'interprétation.

L'information des femmes sur le fait qu'elles auraient une tomosynthèse en plus de la mammographie 2D n'était faite que dans 40% des cas.

Une étude sur 44 départements montre que le taux de détection en première lecture est plus important avec la tomosynthèse mais le taux de détection en deuxième lecture est divisé par deux. Et le taux de détection globale est similaire.

Mais elle a noté que si l'on regarde les résultats antérieurs des radiologues, le taux de détection de ceux qui se sont mis à la tomosynthèse était déjà plus élevé avant qu'ils ne l'utilisent et le taux de positifs en 2e lecture était déjà plus bas. Ainsi, "la tomosynthèse n'a rien ou peu changé aux résultats et le taux de détection globale n'a pas augmenté".

Interrogée par APMnews, Brigitte Seradour a insisté sur le fait qu'il n'y avait pas de remise en question de la technique elle-même. Mais la question posée par ces travaux est celle de son utilisation en pratique. Notamment, "il n'y a pas de formation obligatoire", a-t-elle déploré.

Une formation, notamment des jeunes radiologues, peut leur permettre d'améliorer leurs capacités de détection des cancers, mais en absence de formation et si le radiologue n'est pas un spécialiste du sein, "il n'y a pas de miracle", cette technologie "ne rendra pas meilleur si on n'est pas spécialiste".

Elle a également déploré l'"absence de contrôle qualité validé par l'ANSM", qui ne permet donc pas de sélectionner les appareils autorisés. "Dans notre système libéral, après le marquage CE, tout fabricant peut commercialiser ses appareils", sans contrôle.

Moins bons résultats des systèmes CR dans les seins denses

Brigitte Seradour a pointé un autre problème, qui concerne les appareils de mammographie 2D numériques: celui d'une différence d'efficacité selon le type d'appareil.

Il existe deux types d'appareils numériques (les analogiques étant désormais interdits): les systèmes DR (plein champ) et CR. Selon son étude sur les Bouches-du-Rhône, confirmant des résultats antérieurs, les CR sont associés à des taux de détection inférieurs aux DR, particulièrement dans les seins denses (l'Hamulet* de Fuji, un des appareils DR, ne faisant toutefois pas mieux que les CR).

Les taux de détection en première lecture étaient de 7,45/1.000 avec les appareils DR contre seulement 5,29/1.000 avec les CR dans les seins denses. Pour les seins peu denses, il y avait une différence mineure, mais dans l'autre sens: 4,96/1.000 avec les DR contre 5,26/1.000 avec le CR.

Et le fait qu'il y a de moins bons résultats avec les CR reste vrai avec les plaques NIP (détecteur à aiguille) qui ont remplacé les plaques à poudres.

Heureusement, par rapport au passé, la proportion des mammographies réalisées avec un appareil CR n'est plus que de 22-23%, a-t-elle noté. Mais ce problème persiste alors que dans d'autres pays ils ont été remplacés. Par exemple, "en Ontario [Canada] ils ont interdit tous les appareils à plaques en 6 mois".

Variabilité dans l'utilisation de l'échocardiographie selon les départements

Lors de la même session, Cécile Quintin de Santé publique France a présenté des données sur l’utilisation de l’échographie au sein du dépistage organisé du cancer du sein.

Cet examen peut être réalisé à deux moments, a-t-elle rappelé : après une mammographie normale (ACR1/2) mais en présence de seins denses, ou dans le cadre du bilan diagnostique immédiat face à une mammographie anormale ou un examen clinique anormal.

A partir de la base des données fournies par les structures de gestion du dépistage, elle a étudié l’évolution de 2004 à 2016. Elle a ainsi constaté que les échographies après ACR1/2 ont progressivement augmenté, passant de 6% à 22,5% des participantes au dépistage organisé sur la période (ce qui représentait 570.000 examens en 2016). Les échographies de bilan immédiat, après avoir concerné près de 10% des femmes, ont baissé puis sont restées stables à 6-7% depuis 2009.

En 2016, plus de 70% des femmes ayant le plus haut niveau de densité mammaire (type 4) ont bénéficié d’une échographie; c’était le cas de plus de 55% des types 3.

Néanmoins, bien qu’il y ait moins de recours à l’échographie pour les seins moins denses (type 2), en raison de leur plus grand nombre ils représentent quand même près de la moitié des échographies (il n'y a en revanche pratiquement pas d'échographie pour les types 1).

Mais il y a de très grandes variations selon les départements. Dans 3 départements aucune échographie après une mammographie ACR1/2 n’était rapportée. Pour les autres, cela allait de 4% à 48%.

Parmi l’ensemble des cancers dépistés, la proportion de ceux dépistés par la seule échographie après une mammographie normale a significativement augmenté, mais "reste faible", étant passé de 0,4% en 2004 à 2,2% en 2016, a indiqué Cécile Quintin.

fb/ab/APMnews

Les données APM Santé sont la propriété de APM International. Toute copie, republication ou redistribution des données APM Santé, notamment via la mise en antémémoire, l'encadrement ou des moyens similaires, est expressément interdite sans l'accord préalable écrit de APM. APM ne sera pas responsable des erreurs ou des retards dans les données ou de toutes actions entreprises en fonction de celles-ci ou toutes décisions prises sur la base du service. APM, APM Santé et le logo APM International, sont des marques d'APM International dans le monde. Pour de plus amples informations sur les autres services d'APM, veuillez consulter le site Web public d'APM à l'adresse www.apmnews.com

Copyright © APM-Santé - Tous droits réservés.

Informations professionnelles

08/11 2019
Retour

DÉPISTAGE DU CANCER DU SEIN: INTERROGATIONS SUR LE BÉNÉFICE DE LA TOMOSYNTHÈSE TELLE QU'ELLE EST UTILISÉE EN PRATIQUE

(Par François BOISSIER, aux journées de la SFSPM)

MARSEILLE, 8 novembre 2019 (APMnews) - Des travaux présentés mercredi au congrès de la Société française de sénologie et de pathologie mammaire (SFSPM) à Marseille posent des questions sur le bénéfice de la tomosynthèse (ou mammographie 3D) dans le dépistage du cancer du sein, telle que cette technique est actuellement utilisée en France.

La tomosynthèse, examen qui s'ajoute à la mammographie 2D, a montré dans des études qu'elle pouvait améliorer la détection du cancer, notamment dans les seins denses (cf dépêche du 27/04/2016 à 18:45), tout en diminuant le risque de faux-positif.

Actuellement elle n'est pas intégrée au programme de dépistage organisé du cancer du sein. Elle n'est d'ailleurs intégrée à aucun programme de dépistage en Europe. Son intégration est en cours d'évaluation par la Haute autorité de santé (HAS) (cf dépêche du 18/05/2018 à 16:42). Mais près de 500 machines équipent d'ores et déjà des cabinets de radiologie en France, et en pratique il y a une utilisation en dépistage.

Brigitte Seradour de l'hôpital Beauregard à Marseille a présenté au congrès de la SFSPM une analyse visant à comparer les résultats du dépistage avec ou sans tomosynthèse, sur la base des données de dépistage organisé dans les Bouches-du-Rhône. Les résultats sont inattendus.

D'emblée la spécialiste a précisé que son travail avait quelques limites, notamment le fait qu'elle a comparé les résultats de centres de radiologie ayant ou n'ayant pas d'appareil de tomosynthèse, sans savoir, pour ceux qui en avaient un, pour quelle proportion des femmes dans le dépistage organisé il était utilisé (en l'absence de codage on ne peut savoir quand les radiologues l'utilisent).

L'analyse a été faite sur 11 centres, sur 2011-2017. Il y avait d'un côté 36.998 femmes dépistées avec des appareils ayant la tomosynthèse (264 cancers détectés) et 73.948 sans cette technologie (559 cancers détectés).

Il s'est avéré que le taux de détection était légèrement (mais non significativement) inférieur dans les cas où les appareils étaient équipés de la tomosynthèse: 5,49/1.000 comparé à 5,82/1.000.

Le taux de détection de cancers in situ était en revanche un peu plus élevé avec la tomosynthèse (1,45/1.000 contre 1,21/1.000) mais là aussi cela n'était pas significatif.

Dans les centres équipés avec la tomosynthèse, le taux de détection des cancers invasifs sur des seins non denses était diminué (4,27/1.000 contre 5,54/1.000) et le taux de détection dans les seins denses était similaire (7,99/1.000 contre 7,68/1.000).

"Ces résultats sont difficiles à interpréter", a prudemment commenté Brigitte Seradour, en notant au passage que dans sa propre expérience, elle améliore ses résultats avec la tomosynthèse (mais tout de même dans une proportion moindre que dans les études, a-t-elle précisé).

Elle a s'est interrogée sur la façon dont la tomosynthèse était utilisée par les centres. "Certains centres ayant des gros volumes de dépistage du cancer du sein ont acheté un appareil de tomosynthèse pour être plus rentables", mais ce ne sont pas forcément les meilleurs spécialistes du cancer du sein et la tomosynthèse "ne les rend pas meilleurs". Et les résultats de ces gros centres peuvent masquer des résultats plus encourageants de centres spécialisés en sénologie plus petits.

Une présentation de Corinne Allioux du Centre coordonnateur de dépistage des cancers des pays de la Loire est allée dans le même sens.

Une enquête sur 65 radiologues a indiqué que la tomosynthèse était utilisée majoritairement par des radiologues du privé et que quand elle était disponible, son utilisation était très souvent systématique.

Les radiologues interrogés affirmaient qu'avec la tomosynthèse ils faisaient moins de clichés complémentaires et utilisaient moins souvent l'échographie. Par ailleurs, cette technologie a augmenté le temps d'interprétation.

L'information des femmes sur le fait qu'elles auraient une tomosynthèse en plus de la mammographie 2D n'était faite que dans 40% des cas.

Une étude sur 44 départements montre que le taux de détection en première lecture est plus important avec la tomosynthèse mais le taux de détection en deuxième lecture est divisé par deux. Et le taux de détection globale est similaire.

Mais elle a noté que si l'on regarde les résultats antérieurs des radiologues, le taux de détection de ceux qui se sont mis à la tomosynthèse était déjà plus élevé avant qu'ils ne l'utilisent et le taux de positifs en 2e lecture était déjà plus bas. Ainsi, "la tomosynthèse n'a rien ou peu changé aux résultats et le taux de détection globale n'a pas augmenté".

Interrogée par APMnews, Brigitte Seradour a insisté sur le fait qu'il n'y avait pas de remise en question de la technique elle-même. Mais la question posée par ces travaux est celle de son utilisation en pratique. Notamment, "il n'y a pas de formation obligatoire", a-t-elle déploré.

Une formation, notamment des jeunes radiologues, peut leur permettre d'améliorer leurs capacités de détection des cancers, mais en absence de formation et si le radiologue n'est pas un spécialiste du sein, "il n'y a pas de miracle", cette technologie "ne rendra pas meilleur si on n'est pas spécialiste".

Elle a également déploré l'"absence de contrôle qualité validé par l'ANSM", qui ne permet donc pas de sélectionner les appareils autorisés. "Dans notre système libéral, après le marquage CE, tout fabricant peut commercialiser ses appareils", sans contrôle.

Moins bons résultats des systèmes CR dans les seins denses

Brigitte Seradour a pointé un autre problème, qui concerne les appareils de mammographie 2D numériques: celui d'une différence d'efficacité selon le type d'appareil.

Il existe deux types d'appareils numériques (les analogiques étant désormais interdits): les systèmes DR (plein champ) et CR. Selon son étude sur les Bouches-du-Rhône, confirmant des résultats antérieurs, les CR sont associés à des taux de détection inférieurs aux DR, particulièrement dans les seins denses (l'Hamulet* de Fuji, un des appareils DR, ne faisant toutefois pas mieux que les CR).

Les taux de détection en première lecture étaient de 7,45/1.000 avec les appareils DR contre seulement 5,29/1.000 avec les CR dans les seins denses. Pour les seins peu denses, il y avait une différence mineure, mais dans l'autre sens: 4,96/1.000 avec les DR contre 5,26/1.000 avec le CR.

Et le fait qu'il y a de moins bons résultats avec les CR reste vrai avec les plaques NIP (détecteur à aiguille) qui ont remplacé les plaques à poudres.

Heureusement, par rapport au passé, la proportion des mammographies réalisées avec un appareil CR n'est plus que de 22-23%, a-t-elle noté. Mais ce problème persiste alors que dans d'autres pays ils ont été remplacés. Par exemple, "en Ontario [Canada] ils ont interdit tous les appareils à plaques en 6 mois".

Variabilité dans l'utilisation de l'échocardiographie selon les départements

Lors de la même session, Cécile Quintin de Santé publique France a présenté des données sur l’utilisation de l’échographie au sein du dépistage organisé du cancer du sein.

Cet examen peut être réalisé à deux moments, a-t-elle rappelé : après une mammographie normale (ACR1/2) mais en présence de seins denses, ou dans le cadre du bilan diagnostique immédiat face à une mammographie anormale ou un examen clinique anormal.

A partir de la base des données fournies par les structures de gestion du dépistage, elle a étudié l’évolution de 2004 à 2016. Elle a ainsi constaté que les échographies après ACR1/2 ont progressivement augmenté, passant de 6% à 22,5% des participantes au dépistage organisé sur la période (ce qui représentait 570.000 examens en 2016). Les échographies de bilan immédiat, après avoir concerné près de 10% des femmes, ont baissé puis sont restées stables à 6-7% depuis 2009.

En 2016, plus de 70% des femmes ayant le plus haut niveau de densité mammaire (type 4) ont bénéficié d’une échographie; c’était le cas de plus de 55% des types 3.

Néanmoins, bien qu’il y ait moins de recours à l’échographie pour les seins moins denses (type 2), en raison de leur plus grand nombre ils représentent quand même près de la moitié des échographies (il n'y a en revanche pratiquement pas d'échographie pour les types 1).

Mais il y a de très grandes variations selon les départements. Dans 3 départements aucune échographie après une mammographie ACR1/2 n’était rapportée. Pour les autres, cela allait de 4% à 48%.

Parmi l’ensemble des cancers dépistés, la proportion de ceux dépistés par la seule échographie après une mammographie normale a significativement augmenté, mais "reste faible", étant passé de 0,4% en 2004 à 2,2% en 2016, a indiqué Cécile Quintin.

fb/ab/APMnews

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies pour réaliser des statistiques de visites.