Actualités de l'Urgence - APM

10/06 2025
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DES DISPOSITIFS DE RÉGULATION D'ACCÈS ET DE RÉORIENTATION AUX URGENCES EFFICACES MAIS PERFECTIBLES

(Par Geoffroy LANG, au Palais des congrès de Paris)

PARIS, 10 juin 2025 (APMnews) - Un premier retour d'expérience sur la mise en œuvre de dispositifs de régulation d'accès et de réorientation aux urgences fait apparaître que ces solutions sont efficaces, sous certaines conditions, mais qu'elles peuvent être améliorées et mieux évaluées, a rapporté, mercredi 4 juin le Dr Yann Penverne, médecin urgentiste au CHU de Nantes, lors d'une table ronde du congrès Urgences 2025.

Lors de cette table ronde intitulée "Tous les patients doivent-ils être orientés aux urgences ou pourraient-ils être pris en charge par une autre structure de santé?", le Dr Yann Penverne a commencé par rappeler plusieurs constats faits grâce à l'enquête de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) sur les urgences hospitalières en 2023 (cf dépêche du 11/07/2024 à 06:00, dépêche du 19/03/2025 à 06:00 et dépêche du 14/05/2025 à 14:51).

Les travaux du service statistique ministériel font ainsi apparaître que:

  • les trois quarts des patients arrivent aux urgences entre 8h et 20h
  • 50% sont venus d'eux-mêmes ou conseillés par un proche
  • une fois sur 5, un patient se rend aux urgences faute d'avoir pu trouver un rendez-vous en ville
  • 16% des patients se présentant aux urgences sont adressés par les Samu/SAS
  • seuls 3,4% des patients ont fait l'objet d'une réorientation.

"C'est probablement lié à une réticence des professionnels parce qu'il n'y avait pas de cadre national de réorientation, et probablement une méconnaissance du cadre qui nous permet de le faire dans le droit commun", a réagi le Dr Penverne sur ce dernier point.

Le médecin urgentiste du CHU de Nantes a également rappelé que la régulation préalable de l'accès aux urgences faisait débat dans le monde hospitalier, car si les conférences de directeurs généraux de CHU et des directeurs de centre hospitalier (CH) avaient plaidé pour une régulation systématique dans leur "pacte de responsabilité" pour les urgences, certains professionnels s'y opposaient, comme le directeur médical du département médico-universitaire Invictus de l'AP-HP, Enrique Casalino, et le chef du service urgences-Smur au CH Delafontaine à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) et président de l'Observatoire régional des soins non programmés d'Ile-de-France, Mathias Wargon, dans une tribune parue dans Le Monde en janvier et intitulée "La régulation de l'entrée aux urgences fait payer au patient une situation dont il n'est pas responsable".

Plusieurs facteurs pour une régulation vertueuse

"La régulation à l'accès n'est pas le Graal pour désengorger nos services d'urgence, c'est un des éléments parmi d'autres qui nous permettent de limiter et d'améliorer le flux des patients en fonction de leur besoin", a-t-il aussitôt ajouté, en rappelant que la réglementation était "assez récente" avec de premiers textes publiés fin décembre 2023 (cf APM), avant un nouvel arrêté ouvrant la possibilité de dispositifs de régulation pérennes en mars 2025 (cf dépêche du 27/03/2025 à 12:37).

Pour le Dr Penverne, plusieurs facteurs président à la mise en place d'une régulation vertueuse de l'accès aux urgences:

  • "une approche concertée et territorialisée", sous l'égide de l'agence régionale de santé (ARS), "pour éviter un phénomène de vases communicants entre établissements"
  • l'intégration des médecins libéraux pour l'organisation en journée et en périodes de permanence des soins ambulatoires (PDSA)
  • la communication à destination de la population, en réaffirmant la place du médecin traitant
  • des garanties de financements pour les mises à niveaux des ressources humaines en régulation, ainsi que les financements à l'adresse des médecins libéraux.

"Avant la création d'un cadre réglementaire", Yann Penverne a également mis en exergue le "besoin de préciser les modalités des organisations, de la prise en charge des patients, notamment les patients en situation de précarité et de fragilité", en évoquant notamment les travaux de la Dr Anne-Laure Féral-Pierssens sur "les critères médico-sociaux nécessaires dans la non-réorientation" pour "des patients qui sont plus susceptibles d'aller aux urgences car ils n'ont pas d'alternative et qui risquent d'être dans la renonciation aux soins s'ils sont réorientés vers d'autres prises en charge".

"On a besoin de données pour éclairer les débats, ajuster nos organisations et assurer la bonne prise en charge dans le cadre de notre mission de service public", a par ailleurs estimé Yann Penverne, en détaillant un premier retour d'expérience de régulation et de réorientation dans quatre Samu.

Dans la Manche (Samu 50), la mise en place d'une régulation entre 2021 et 2023 pour faire face à une crise au centre hospitalier (CH de Cherbourg) a permis une baisse de 15% à 20% des passages aux urgences, sans impact sur la médecine de ville: "Ils ont même fermé des maisons médicales de garde."

"La satisfaction des usagers a été objectivée, celle des professionnels aussi et zéro événement indésirable grave enregistré sur la période", a ainsi relevé le Dr Penverne.

En Meurthe-et-Moselle (Samu 54) entre juillet 2022 et août 2023, la régulation préalable de 12 services d'urgence (SU) représentant 30% des SU du Grand Est a permis une baisse de 10% à 20% des patients les moins graves (CCMU 1) au sein des urgences concernées.

"Mais le corollaire, c'est +15% à 20% d'activité en régulation", a fait remarquer le Dr Penverne, en faisant état d'un report d'activité de 5% à 10%.

Dans le Lot-et-Garonne (Samu 47), une régulation de 18h à 8h sur l'ensemble du territoire a permis de réduire de 29% l'activité au sein des urgences, et de 11% le nombre de patients qui attendent plus de 8h au sein des SU.

Une enquête sur le devenir à sept jours des patients réorientés

En Loire-Atlantique (Samu 44), le Dr Penverne a présenté les résultats préliminaires d'une enquête menée en janvier et février 2025 sur le devenir à sept jours des patients réorientés.

Dans le cadre d'une régulation départementale des urgences qui associe public et privé, de 20h à 8h, 35% des 900 patients étudiés ont été réorientés vers une consultation différée en ville, une maison médicale de garde (MMG) ou SOS Médecins.

Une grande majorité de ces patients (64%) a été "perdue de vue" après la réorientation, tandis que 36% ont été recontactés à sept jours de leur régulation.

"Lorsque la régulation préconise la consultation différée d'un médecin généraliste, un tiers des patients vont honorer la consultation", a rapporté Yann Penverne. "Mais il y en a un certain nombre qui soit ne vont pas consulter, soit vont être réadmis aux urgences, donc cela questionne sur la pertinence de cette consultation différée de médecine générale ou, en tout cas, de sa mise en œuvre."

Ces résultats font néanmoins état d'une satisfaction des patients réorientés, "notamment lorsqu'on leur propose d'être vus dans une maison médicale de garde, avec SOS Médecins, ou lorsqu'on les reconvoque aux urgences pour être pris en charge dans de meilleures conditions".

Le dispositif de réorientation a permis une baisse d'activité de 9% sur la période étudiée, sans impact notable en journée sur la charge en régulation, avec +6% d'activité pour les médecins régulateurs et pas d'incidence pour les assistants de régulation médicale (ARM).

Mais durant la nuit (de 20h à 8h), la charge des professionnels augmente sensiblement en régulation: +2,4% pour les ARM et + 19% pour les médecins régulateurs.

En comparant cinq sites concernés par le dispositif en Loire-Atlantique, ces résultats préliminaires font apparaître une nette différenciation entre les services d'urgence adossés à une MMG et ceux qui ne le sont pas et réorientent, en conséquence, beaucoup moins de patients.

Pour le Dr Penverne, ces premiers résultats font apparaître la nécessité de mettre en adéquation les effectifs avec la charge d'appels dans les Samu-SAS et d'harmoniser "les pratiques socles pour assurer la protection des personnes vulnérables": "Avec la régulation à l'accès, on ne laisse personne au bord de la route."

"Il faut conduire le changement chez les patients, à travers une communication, une éducation populationnelle, mais aussi chez les professionnels de santé", a complété Yann Penverne, tout en soulignant la nécessité de poursuivre l'évaluation des dispositifs de régulation et de réorientation pour disposer de données scientifiques complémentaires.

gl/lb/APMnews

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(Par Geoffroy LANG, au Palais des congrès de Paris)

PARIS, 10 juin 2025 (APMnews) - Un premier retour d'expérience sur la mise en œuvre de dispositifs de régulation d'accès et de réorientation aux urgences fait apparaître que ces solutions sont efficaces, sous certaines conditions, mais qu'elles peuvent être améliorées et mieux évaluées, a rapporté, mercredi 4 juin le Dr Yann Penverne, médecin urgentiste au CHU de Nantes, lors d'une table ronde du congrès Urgences 2025.

Lors de cette table ronde intitulée "Tous les patients doivent-ils être orientés aux urgences ou pourraient-ils être pris en charge par une autre structure de santé?", le Dr Yann Penverne a commencé par rappeler plusieurs constats faits grâce à l'enquête de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) sur les urgences hospitalières en 2023 (cf dépêche du 11/07/2024 à 06:00, dépêche du 19/03/2025 à 06:00 et dépêche du 14/05/2025 à 14:51).

Les travaux du service statistique ministériel font ainsi apparaître que:

  • les trois quarts des patients arrivent aux urgences entre 8h et 20h
  • 50% sont venus d'eux-mêmes ou conseillés par un proche
  • une fois sur 5, un patient se rend aux urgences faute d'avoir pu trouver un rendez-vous en ville
  • 16% des patients se présentant aux urgences sont adressés par les Samu/SAS
  • seuls 3,4% des patients ont fait l'objet d'une réorientation.

"C'est probablement lié à une réticence des professionnels parce qu'il n'y avait pas de cadre national de réorientation, et probablement une méconnaissance du cadre qui nous permet de le faire dans le droit commun", a réagi le Dr Penverne sur ce dernier point.

Le médecin urgentiste du CHU de Nantes a également rappelé que la régulation préalable de l'accès aux urgences faisait débat dans le monde hospitalier, car si les conférences de directeurs généraux de CHU et des directeurs de centre hospitalier (CH) avaient plaidé pour une régulation systématique dans leur "pacte de responsabilité" pour les urgences, certains professionnels s'y opposaient, comme le directeur médical du département médico-universitaire Invictus de l'AP-HP, Enrique Casalino, et le chef du service urgences-Smur au CH Delafontaine à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) et président de l'Observatoire régional des soins non programmés d'Ile-de-France, Mathias Wargon, dans une tribune parue dans Le Monde en janvier et intitulée "La régulation de l'entrée aux urgences fait payer au patient une situation dont il n'est pas responsable".

Plusieurs facteurs pour une régulation vertueuse

"La régulation à l'accès n'est pas le Graal pour désengorger nos services d'urgence, c'est un des éléments parmi d'autres qui nous permettent de limiter et d'améliorer le flux des patients en fonction de leur besoin", a-t-il aussitôt ajouté, en rappelant que la réglementation était "assez récente" avec de premiers textes publiés fin décembre 2023 (cf APM), avant un nouvel arrêté ouvrant la possibilité de dispositifs de régulation pérennes en mars 2025 (cf dépêche du 27/03/2025 à 12:37).

Pour le Dr Penverne, plusieurs facteurs président à la mise en place d'une régulation vertueuse de l'accès aux urgences:

  • "une approche concertée et territorialisée", sous l'égide de l'agence régionale de santé (ARS), "pour éviter un phénomène de vases communicants entre établissements"
  • l'intégration des médecins libéraux pour l'organisation en journée et en périodes de permanence des soins ambulatoires (PDSA)
  • la communication à destination de la population, en réaffirmant la place du médecin traitant
  • des garanties de financements pour les mises à niveaux des ressources humaines en régulation, ainsi que les financements à l'adresse des médecins libéraux.

"Avant la création d'un cadre réglementaire", Yann Penverne a également mis en exergue le "besoin de préciser les modalités des organisations, de la prise en charge des patients, notamment les patients en situation de précarité et de fragilité", en évoquant notamment les travaux de la Dr Anne-Laure Féral-Pierssens sur "les critères médico-sociaux nécessaires dans la non-réorientation" pour "des patients qui sont plus susceptibles d'aller aux urgences car ils n'ont pas d'alternative et qui risquent d'être dans la renonciation aux soins s'ils sont réorientés vers d'autres prises en charge".

"On a besoin de données pour éclairer les débats, ajuster nos organisations et assurer la bonne prise en charge dans le cadre de notre mission de service public", a par ailleurs estimé Yann Penverne, en détaillant un premier retour d'expérience de régulation et de réorientation dans quatre Samu.

Dans la Manche (Samu 50), la mise en place d'une régulation entre 2021 et 2023 pour faire face à une crise au centre hospitalier (CH de Cherbourg) a permis une baisse de 15% à 20% des passages aux urgences, sans impact sur la médecine de ville: "Ils ont même fermé des maisons médicales de garde."

"La satisfaction des usagers a été objectivée, celle des professionnels aussi et zéro événement indésirable grave enregistré sur la période", a ainsi relevé le Dr Penverne.

En Meurthe-et-Moselle (Samu 54) entre juillet 2022 et août 2023, la régulation préalable de 12 services d'urgence (SU) représentant 30% des SU du Grand Est a permis une baisse de 10% à 20% des patients les moins graves (CCMU 1) au sein des urgences concernées.

"Mais le corollaire, c'est +15% à 20% d'activité en régulation", a fait remarquer le Dr Penverne, en faisant état d'un report d'activité de 5% à 10%.

Dans le Lot-et-Garonne (Samu 47), une régulation de 18h à 8h sur l'ensemble du territoire a permis de réduire de 29% l'activité au sein des urgences, et de 11% le nombre de patients qui attendent plus de 8h au sein des SU.

Une enquête sur le devenir à sept jours des patients réorientés

En Loire-Atlantique (Samu 44), le Dr Penverne a présenté les résultats préliminaires d'une enquête menée en janvier et février 2025 sur le devenir à sept jours des patients réorientés.

Dans le cadre d'une régulation départementale des urgences qui associe public et privé, de 20h à 8h, 35% des 900 patients étudiés ont été réorientés vers une consultation différée en ville, une maison médicale de garde (MMG) ou SOS Médecins.

Une grande majorité de ces patients (64%) a été "perdue de vue" après la réorientation, tandis que 36% ont été recontactés à sept jours de leur régulation.

"Lorsque la régulation préconise la consultation différée d'un médecin généraliste, un tiers des patients vont honorer la consultation", a rapporté Yann Penverne. "Mais il y en a un certain nombre qui soit ne vont pas consulter, soit vont être réadmis aux urgences, donc cela questionne sur la pertinence de cette consultation différée de médecine générale ou, en tout cas, de sa mise en œuvre."

Ces résultats font néanmoins état d'une satisfaction des patients réorientés, "notamment lorsqu'on leur propose d'être vus dans une maison médicale de garde, avec SOS Médecins, ou lorsqu'on les reconvoque aux urgences pour être pris en charge dans de meilleures conditions".

Le dispositif de réorientation a permis une baisse d'activité de 9% sur la période étudiée, sans impact notable en journée sur la charge en régulation, avec +6% d'activité pour les médecins régulateurs et pas d'incidence pour les assistants de régulation médicale (ARM).

Mais durant la nuit (de 20h à 8h), la charge des professionnels augmente sensiblement en régulation: +2,4% pour les ARM et + 19% pour les médecins régulateurs.

En comparant cinq sites concernés par le dispositif en Loire-Atlantique, ces résultats préliminaires font apparaître une nette différenciation entre les services d'urgence adossés à une MMG et ceux qui ne le sont pas et réorientent, en conséquence, beaucoup moins de patients.

Pour le Dr Penverne, ces premiers résultats font apparaître la nécessité de mettre en adéquation les effectifs avec la charge d'appels dans les Samu-SAS et d'harmoniser "les pratiques socles pour assurer la protection des personnes vulnérables": "Avec la régulation à l'accès, on ne laisse personne au bord de la route."

"Il faut conduire le changement chez les patients, à travers une communication, une éducation populationnelle, mais aussi chez les professionnels de santé", a complété Yann Penverne, tout en soulignant la nécessité de poursuivre l'évaluation des dispositifs de régulation et de réorientation pour disposer de données scientifiques complémentaires.

gl/lb/APMnews

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