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03/12 2020
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INTÉRIM MÉDICAL: LES NOUVELLES MESURES NE FONT PAS L'UNANIMITÉ CHEZ LES DÉPUTÉS

PARIS, 3 décembre 2020 (APMnews) - L'article 10 de la proposition de loi "visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification", qui ambitionne de freiner les abus de l'intérim médical, a suscité lors de son examen mercredi en séance publique la crainte de certains députés, qui prédisent que les effectifs médicaux en souffriront et que certains services, en particulier aux urgences, seront condamnés à fermer.

Le texte de Stéphanie Rist (LREM, Loiret), dont l'examen s'est achevé mercredi, doit être voté mardi en première lecture par la chambre basse (cf dépêche du 02/12/2020 à 18:43). Son article 10 autorisait initialement les directeurs généraux d'agences régionales de santé (ARS) à saisir le juge administratif lorsqu'ils constatent des contrats irréguliers passés entre des établissements publics de santé (EPS) et des agences de travail temporaire ou des praticiens vacataires. Le directeur de l'établissement devra être informé sans délai par l'ARS, ainsi que le comptable public.

Si ce dernier constate que les plafonds réglementaires sont dépassés, il peut rejeter le paiement et il informe le directeur de l'EPS, "qui procède à la régularisation [du versement] conformément aux conditions fixées par la réglementation", lit-on dans le texte.

En commission, le texte avait été modifié sur proposition de Cyrille Isaac-Sibille (Modem, Rhône) afin d'être élargi aux contrats de gré à gré. Le même député a fait systématiser pour l'ARS le fait de déférer au juge administratif les actes juridiques irréguliers signés entre un EPS et un prestataire d'intérim. Stéphanie Rist avait fait reculer à 6 mois après la promulgation du texte l'entrée en vigueur de cet article, afin de permettre aux petits EPS de s'adapter.

Un risque pour la survie des services ?

Lors de l'examen en séance, l'article a fait l'objet d'un amendement de suppression du groupe communiste. Sébastien Jumel (Gauche démocratique et républicaine, GDR, Seine-Maritime) a évoqué un "principe de réalité" s'appliquant aux petits établissements.

"Le seul moyen pour les directeurs d'hôpitaux de continuer à faire vivre une ligne de Smur, des services de consultation avancés, est de faire appel à l'intérim. Et si vous empêchez cela, il faut expliquer à la représentation nationale que ça peut aboutir à des fermetures entières de services, voire à des fermetures complètes d'hôpitaux de proximité", craignait-il.

Pierre Dharréville (GDR, Bouches-du-Rhône) a ajouté que la majorité "se trompait de levier" et mettrait ainsi en difficulté les directeurs, "menacés d'être traînés devant le tribunal administratif", et qu'il valait mieux s'attaquer aux agences d'intérim aux tarifs prohibitifs. Il a proposé une amende de 15.000 € pour les agences méconnaissant le plafond porté par l'article 10, mais cet amendement a été rejeté.

Jean-Pierre Door (LR, Loiret), tout en reconnaissant les abus de l'intérim, s'est également inquiété. "Nous pensons qu'il ne faut pas faire peser sur le directeur d'hôpital l'ensemble de la responsabilité du cadre du recours aux intérimaires. Si le directeur se trouve dans un problème, face à l'urgence, il est obligé de faire cela", a-t-il commenté, défendant un amendement -rejeté- permettant au directeur de renvoyer cette décision vers le directeur général de l'ARS.

Nathalie Sarles (LREM, Loire) a au contraire défendu l'article, expliquant avoir été alertée dès 2017 par la direction du centre hospitalier (CH) de Roanne (Loire). Philippe Vigier (Modem, Eure-et-Loir) a estimé que des aménagements étaient nécessaires, bien que la mesure soit bienvenue.

Stéphanie Rist a répondu que pour certains petits établissements, le coût du "mercenariat" représentait "jusqu'à la moitié de leur masse salariale" et que le délai de 6 mois instauré en commission permettrait aux établissements de s'adapter.

Olivier Véran enthousiaste

"Cette fois, je crois qu'on la tient, la solution aux excès, aux dérives de la pratique des missions de courte durée médicales dans les hôpitaux", a affirmé le ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran, évoquant des rémunérations allant jusqu'à "l'équivalent d'un demi-mois de salaire de praticien hospitalier (PH) pour 24 heures de garde".

"Même si un directeur, la mort dans l'âme, était obligé de céder à une demande excessive en termes de tarifs, [...] eh bien il ne pourrait pas payer à hauteur. Immédiatement, il serait rappelé, le chèque ne pourrait partir et il serait obligé de respecter le plafond [...] qui n'est pas complètement délirant, c'est quand même plus de 1.000 € net pour 24 heures de garde, c'est loin d'être scandaleux", a-t-il poursuivi.

"Quand vous avez des services hospitaliers qui ne tournent que parce qu'ils ont 80%, 90% des effectifs qui viennent sur 1 jour, 2 jours, 1 semaine, 1 mois, et que ça leur coûte une véritable fortune... Il y a des hôpitaux, j'en tiens la liste, dont l'équivalent du déficit annuel correspond quasiment à l'euro prêt aux surdépenses liées à l'intérim médical", a-t-il présenté, avant de qualifier l'article 10 de disposition "définitive, propre, plutôt maligne [...] et sur laquelle il ne sera plus nécessaire de revenir ultérieurement puisque ce sera impossible à contourner".

Les communistes élargissent la question aux rémunérations dans le privé

"Comment vous répondez à l'aménagement du territoire en termes de démographie médicale ?", a réagi Sébastien Jumel. "Demain, quand ça va se traduire par des fermetures de services de proximité, [...] je pense qu'il y aura moins d'applaudissements", a-t-il prédit.

"Si cette mesure est votée, elle est générale, nationale, elle s'applique à tout le monde de la même façon", a notamment répondu le rapporteur général de la commission des affaires sociales, Thomas Mesnier (LREM, Charente), avant d'inviter à développer les équipes d'urgentistes de territoire au sein des groupements hospitaliers de territoire (GHT), pour renforcer les équipes en fragilité, citant des exemples dans le département du Nord.

Le groupe communiste a alors retiré son amendement de suppression. "Est-ce qu'il n'y aurait pas des mesures nécessaires en termes de plafonnement dans le secteur privé? Au risque que, sinon, on ait un transfert de l'activité de ceux qui pratiquent l'intérim? [...] Est-ce que nous sommes capables de prendre des mesures d'une même fermeté de manière générale, y compris dans le secteur privé? Car si nous ne le faisons pas, vous imaginez la mécanique qui va se mettre en oeuvre", a toutefois interrogé Pierre Dharréville.

Agnès Firmin-Le Bodo (Agir ensemble, Seine-Maritime) a proposé sans succès d'écrêter les rémunérations irrégulières, mais la mesure a été rejetée car illégale. Un amendement similaire de Jean-Louis Touraine (LREM, Rhône) a également été rejeté.

Des professionnels peu convaincus

Dans un communiqué daté du 24 novembre, Action praticiens hôpital (APH) "s’interroge sur la portée du signal donné par les députés qui valideraient ainsi le principe qu’un directeur puisse se rétracter, selon son bon vouloir, sur une convention qu’il a signée une fois la mission réalisée par l’intérimaire alors qu’en toute connaissance de cause ce même directeur serait en contravention avec la loi sur le tarif d’une prestation qui n’est pas fixé de façon claire et loyale".

Le 26 novembre, le Syndicat des managers publics de santé (SMPS) estimait que la mesure "ne fera que renforcer la défiance".

"Doit-on blâmer un directeur qui recrute à un tarif supérieur au dernier moment l’anesthésiste qui évitera la fermeture sur 24 heures du service de maternité, ou la déprogrammation sur le champ de tous les blocs? [...] Le GHT aurait pu être une réponse à ces pénuries, il l’est d’ailleurs parfois avec les équipes médicales de territoire, ou les 'bourses à l’emploi' qui permettent aux PH de remplacer dans un établissement partie, mais la pénurie actuelle de praticiens ne le permet pas", commente-t-il, avant d'appeler à la suppression de cette mesure.

"La dénonciation par le comptable et le défèrement des actes au tribunal administratif ne traitant pas les causes, il n’y aura pas de solution tant que les déficits actuels en médecins de certaines spécialités et le rééquilibrage des rémunérations en faveur du statut de praticien hospitalier ne seront pas traités", réagissait le Syncass-CFDT le 19 novembre.

"Dès lors, les gestionnaires continueront à porter, seuls et à leurs risques, la responsabilité des contournements de la loi ou de la suppression des activités, faute d’autre moyen pour maintenir la continuité du service public", alors que les directeurs "seront tenus de respecter une règle impossible tout en risquant la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) ou, pire, la mise en examen pour mise en danger de la vie d’autrui", ajoutait-il.

bd/hc/APMnews

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PARIS, 3 décembre 2020 (APMnews) - L'article 10 de la proposition de loi "visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification", qui ambitionne de freiner les abus de l'intérim médical, a suscité lors de son examen mercredi en séance publique la crainte de certains députés, qui prédisent que les effectifs médicaux en souffriront et que certains services, en particulier aux urgences, seront condamnés à fermer.

Le texte de Stéphanie Rist (LREM, Loiret), dont l'examen s'est achevé mercredi, doit être voté mardi en première lecture par la chambre basse (cf dépêche du 02/12/2020 à 18:43). Son article 10 autorisait initialement les directeurs généraux d'agences régionales de santé (ARS) à saisir le juge administratif lorsqu'ils constatent des contrats irréguliers passés entre des établissements publics de santé (EPS) et des agences de travail temporaire ou des praticiens vacataires. Le directeur de l'établissement devra être informé sans délai par l'ARS, ainsi que le comptable public.

Si ce dernier constate que les plafonds réglementaires sont dépassés, il peut rejeter le paiement et il informe le directeur de l'EPS, "qui procède à la régularisation [du versement] conformément aux conditions fixées par la réglementation", lit-on dans le texte.

En commission, le texte avait été modifié sur proposition de Cyrille Isaac-Sibille (Modem, Rhône) afin d'être élargi aux contrats de gré à gré. Le même député a fait systématiser pour l'ARS le fait de déférer au juge administratif les actes juridiques irréguliers signés entre un EPS et un prestataire d'intérim. Stéphanie Rist avait fait reculer à 6 mois après la promulgation du texte l'entrée en vigueur de cet article, afin de permettre aux petits EPS de s'adapter.

Un risque pour la survie des services ?

Lors de l'examen en séance, l'article a fait l'objet d'un amendement de suppression du groupe communiste. Sébastien Jumel (Gauche démocratique et républicaine, GDR, Seine-Maritime) a évoqué un "principe de réalité" s'appliquant aux petits établissements.

"Le seul moyen pour les directeurs d'hôpitaux de continuer à faire vivre une ligne de Smur, des services de consultation avancés, est de faire appel à l'intérim. Et si vous empêchez cela, il faut expliquer à la représentation nationale que ça peut aboutir à des fermetures entières de services, voire à des fermetures complètes d'hôpitaux de proximité", craignait-il.

Pierre Dharréville (GDR, Bouches-du-Rhône) a ajouté que la majorité "se trompait de levier" et mettrait ainsi en difficulté les directeurs, "menacés d'être traînés devant le tribunal administratif", et qu'il valait mieux s'attaquer aux agences d'intérim aux tarifs prohibitifs. Il a proposé une amende de 15.000 € pour les agences méconnaissant le plafond porté par l'article 10, mais cet amendement a été rejeté.

Jean-Pierre Door (LR, Loiret), tout en reconnaissant les abus de l'intérim, s'est également inquiété. "Nous pensons qu'il ne faut pas faire peser sur le directeur d'hôpital l'ensemble de la responsabilité du cadre du recours aux intérimaires. Si le directeur se trouve dans un problème, face à l'urgence, il est obligé de faire cela", a-t-il commenté, défendant un amendement -rejeté- permettant au directeur de renvoyer cette décision vers le directeur général de l'ARS.

Nathalie Sarles (LREM, Loire) a au contraire défendu l'article, expliquant avoir été alertée dès 2017 par la direction du centre hospitalier (CH) de Roanne (Loire). Philippe Vigier (Modem, Eure-et-Loir) a estimé que des aménagements étaient nécessaires, bien que la mesure soit bienvenue.

Stéphanie Rist a répondu que pour certains petits établissements, le coût du "mercenariat" représentait "jusqu'à la moitié de leur masse salariale" et que le délai de 6 mois instauré en commission permettrait aux établissements de s'adapter.

Olivier Véran enthousiaste

"Cette fois, je crois qu'on la tient, la solution aux excès, aux dérives de la pratique des missions de courte durée médicales dans les hôpitaux", a affirmé le ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran, évoquant des rémunérations allant jusqu'à "l'équivalent d'un demi-mois de salaire de praticien hospitalier (PH) pour 24 heures de garde".

"Même si un directeur, la mort dans l'âme, était obligé de céder à une demande excessive en termes de tarifs, [...] eh bien il ne pourrait pas payer à hauteur. Immédiatement, il serait rappelé, le chèque ne pourrait partir et il serait obligé de respecter le plafond [...] qui n'est pas complètement délirant, c'est quand même plus de 1.000 € net pour 24 heures de garde, c'est loin d'être scandaleux", a-t-il poursuivi.

"Quand vous avez des services hospitaliers qui ne tournent que parce qu'ils ont 80%, 90% des effectifs qui viennent sur 1 jour, 2 jours, 1 semaine, 1 mois, et que ça leur coûte une véritable fortune... Il y a des hôpitaux, j'en tiens la liste, dont l'équivalent du déficit annuel correspond quasiment à l'euro prêt aux surdépenses liées à l'intérim médical", a-t-il présenté, avant de qualifier l'article 10 de disposition "définitive, propre, plutôt maligne [...] et sur laquelle il ne sera plus nécessaire de revenir ultérieurement puisque ce sera impossible à contourner".

Les communistes élargissent la question aux rémunérations dans le privé

"Comment vous répondez à l'aménagement du territoire en termes de démographie médicale ?", a réagi Sébastien Jumel. "Demain, quand ça va se traduire par des fermetures de services de proximité, [...] je pense qu'il y aura moins d'applaudissements", a-t-il prédit.

"Si cette mesure est votée, elle est générale, nationale, elle s'applique à tout le monde de la même façon", a notamment répondu le rapporteur général de la commission des affaires sociales, Thomas Mesnier (LREM, Charente), avant d'inviter à développer les équipes d'urgentistes de territoire au sein des groupements hospitaliers de territoire (GHT), pour renforcer les équipes en fragilité, citant des exemples dans le département du Nord.

Le groupe communiste a alors retiré son amendement de suppression. "Est-ce qu'il n'y aurait pas des mesures nécessaires en termes de plafonnement dans le secteur privé? Au risque que, sinon, on ait un transfert de l'activité de ceux qui pratiquent l'intérim? [...] Est-ce que nous sommes capables de prendre des mesures d'une même fermeté de manière générale, y compris dans le secteur privé? Car si nous ne le faisons pas, vous imaginez la mécanique qui va se mettre en oeuvre", a toutefois interrogé Pierre Dharréville.

Agnès Firmin-Le Bodo (Agir ensemble, Seine-Maritime) a proposé sans succès d'écrêter les rémunérations irrégulières, mais la mesure a été rejetée car illégale. Un amendement similaire de Jean-Louis Touraine (LREM, Rhône) a également été rejeté.

Des professionnels peu convaincus

Dans un communiqué daté du 24 novembre, Action praticiens hôpital (APH) "s’interroge sur la portée du signal donné par les députés qui valideraient ainsi le principe qu’un directeur puisse se rétracter, selon son bon vouloir, sur une convention qu’il a signée une fois la mission réalisée par l’intérimaire alors qu’en toute connaissance de cause ce même directeur serait en contravention avec la loi sur le tarif d’une prestation qui n’est pas fixé de façon claire et loyale".

Le 26 novembre, le Syndicat des managers publics de santé (SMPS) estimait que la mesure "ne fera que renforcer la défiance".

"Doit-on blâmer un directeur qui recrute à un tarif supérieur au dernier moment l’anesthésiste qui évitera la fermeture sur 24 heures du service de maternité, ou la déprogrammation sur le champ de tous les blocs? [...] Le GHT aurait pu être une réponse à ces pénuries, il l’est d’ailleurs parfois avec les équipes médicales de territoire, ou les 'bourses à l’emploi' qui permettent aux PH de remplacer dans un établissement partie, mais la pénurie actuelle de praticiens ne le permet pas", commente-t-il, avant d'appeler à la suppression de cette mesure.

"La dénonciation par le comptable et le défèrement des actes au tribunal administratif ne traitant pas les causes, il n’y aura pas de solution tant que les déficits actuels en médecins de certaines spécialités et le rééquilibrage des rémunérations en faveur du statut de praticien hospitalier ne seront pas traités", réagissait le Syncass-CFDT le 19 novembre.

"Dès lors, les gestionnaires continueront à porter, seuls et à leurs risques, la responsabilité des contournements de la loi ou de la suppression des activités, faute d’autre moyen pour maintenir la continuité du service public", alors que les directeurs "seront tenus de respecter une règle impossible tout en risquant la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) ou, pire, la mise en examen pour mise en danger de la vie d’autrui", ajoutait-il.

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