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05/09 2025
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INTERROGATIONS SUR L'EFFICACITÉ CLINIQUE DE L'ADRÉNALINE INTRANASALE DANS LE TRAITEMENT DE L'ANAPHYLAXIE

WASHINGTON, PARIS, 5 septembre 2025 (APMnews) - Des allergologues sont dubitatifs sur l'efficacité de l'adrénaline intranasale dans le traitement de l'anaphylaxie, alors que d'autres se montrent plus confiants, dans des échanges publiés dans le Journal of Allergy and Clinical Immunology (JACI).

La première adrénaline en spray intranasale pour le traitement en urgence de l'anaphylaxie a été homologuée aux Etats-Unis (Neffy*, ARS Pharma) et en Europe (Eurneffy*) notamment en 2024 (cf dépêche du 26/08/2024 à 16:04). Le groupe danois ALK-Abello, qui détient les droits pour l'Europe, "met tout en œuvre" pour que cette spécialité soit disponible en France, indique-t-on à APMnews sans plus de précision.

Ce traitement de première ligne de l'anaphylaxie était jusqu'à présent disponible par voie intramusculaire (ou intraveineuse en conditions peropératoires), à l'aide en particulier de stylos auto-injecteurs. Cependant, il reste sous-utilisé pour plusieurs raisons, notamment des difficultés d'utilisation et une phobie des aiguilles.

"Il existe donc une grande attente de la part des patients et de leur entourage, du grand public, de la communauté médicale et plus largement des soignants, mais aussi des professionnels en milieu scolaire pour des innovations dans le traitement de l'anaphylaxie", rappelaient en mars le Dr Guillaume Pouessel du CH de Roubaix et du CHU de Lille et la Dr Catherine Neukirch de l'hôpital Bichat à Paris dans la Revue française d'allergologie.

Parmi les nouvelles formulations en développement, le spray intranasal est la première à être commercialisée mais, dans un courrier publié fin août, des médecins américain, britanniques et espagnol ont souligné "la nécessité d'avoir confiance en [son] efficacité".

Le Dr Timothy Dribin du Cincinnati Children's Hospital Medical Center et ses collègues s'interrogent en particulier sur l'assertion selon laquelle les effets cliniques de l'adrénaline intranasale au cours d'une anaphylaxie sont similaires à ceux de la forme injectable chez des personnes "normales" parce que leurs niveaux sanguins sont similaires, notamment parce que la réponse pharmacocinétique et pharmacodynamique à l'adrénaline n'est pas la même chez une personne en bonne santé et chez quelqu'un qui fait une anaphylaxie.

Leurs préoccupations proviennent de données relatives à la naloxone, antidote des surdoses d'opioïdes. Alors que les profils pharmacocinétiques ne présentaient pas de différences selon les modes d'administration, notamment le mode intranasal, dans une revue systématique de la littérature, il est apparu dans un essai clinique randomisé contrôlé que les patients traités par naloxone intranasale avaient davantage recours à une dose secours que ceux traités par voie intramusculaire.

Or, jusqu'à présent, seule une étude incluant 15 enfants dont huit avaient une anaphylaxie a montré l'efficacité clinique de l'adrénaline intranasale, "une étude trop petite pour que nous puissions être sûrs que Neffy* sera efficace chez les patients sujets à des réactions plus graves, même si elle démontre clairement que d'autres études de ce type sont plus que réalisables".

"Il est nécessaire de démontrer l'efficacité clinique réelle et la faisabilité d'administration" de ce traitement, en particulier chez les jeunes enfants.

Ces chercheurs expriment également leur étonnement que le comité consultatif sur les médicaments des allergies respiratoires auprès de la Food and Drug Administration (FDA) américaine considère comme non éthique un essai clinique contrôlé randomisé comparant les voies intranasale et intramusculaire. "On pourrait considérer non éthique de promouvoir une alternative à l'auto-injecteur d'adrénaline sans fortes preuves d'une efficacité clinique."

Plutôt convaincus que l'adrénaline intranasale va se diffuser dans la population, ils estiment que des essais cliniques contrôlés et randomisés et des études d'utilisabilité accéléreraient ce processus en garantissant qu'elle est efficace et peut être administrée de manière fiable aux patients de tous âges.

La seule adrénaline efficace est celle que le patient emporte et utilise

Ils répondaient ainsi à d'autres chercheurs américains qui, eux, estimaient que le "curieux manque de confiance" de la part de certains cliniciens et patients dans cette adrénaline intranasale résidait dans une compréhension tardive de la méthode selon laquelle les nouvelles formulations d'adrénaline sont évaluées et de ce qui constitue une réponse clinique homologable.

"L'expérience en vie réelle a montré que malgré des données pharmacocinétiques et pharmacodynamiques très différentes pour des formes variées d'administration intramusculaire, elles sont toujours efficaces, avec seulement 10% des patients qui ont besoin d'une seconde dose, que ce soit avec un auto-injecteur ou une seringue manuelle et quelles que soient les aiguilles utilisées."

Ainsi, le Dr David Golden de la Johns Hopkins School of Medicine à Baltimore et ses collègues se demandent pourquoi ils devraient s'attendre à ce que le spray nasal soit moins efficace si, en outre, le taux d'adrénaline est similaire ou supérieur à ceux produits par les autres dispositifs. Ils ajoutent que les différents modes d'administration produisent des effets physiologiques comparables et qu'il existe une riche expérience clinique de l'adrénaline intramusculaire, en l'absence d'essai clinique.

Pour eux, "la seule adrénaline qui marche est l'adrénaline que les patients prendront avec eux et utiliseront correctement", notamment rapidement, ce qui semble plus probable avec le spray nasal qu'avec l'auto-injecteur.

Ils saluent par ailleurs l'argumentation de chercheurs britanniques qui ont appelé à une compréhension plus précise du débit cardiaque dans l'anaphylaxie tout en estimant que ce manque de connaissance ne devrait pas altérer la confiance dans la prescription d'un produit homologué car le débit cardiaque se reflète dans les paramètres pharmacodynamiques évalués.

De manière plus générale, la Dr Nandinee Patel et ses collègues de l'Imperial College London pointent "d'énormes variations dans le profil pharmacocinétique" des différents dispositifs d'adrénaline injectable, liées aux différences de taille et de diamètre des aiguilles, ainsi qu'entre les individus, liées à des différences physiques, physiologiques ou métaboliques.

Pour eux, la pharmacocinétique est une mesure de résultat très variable, donc d'une valeur discutable pour évaluer l'administration de l'adrénaline dans le traitement de l'anaphylaxie. Et, encore plus préoccupant, il n'existe pas de données sur le taux plasmatique finalement nécessaire pour traiter l'anaphylaxie.

Ainsi, ces chercheurs estiment que les agences réglementaires devraient prendre note de tous les problèmes irrésolus dans l'évaluation de l'adrénaline et demander aux industriels de fournir des preuves de son efficacité clinique.

A leur sens, "il est difficile de justifier l'approbation de toute autre solution [alternative] à l'adrénaline injectable sur la base de sa 'bioéquivalence' avec [l'auto-injecteur] Epipen* (Viatris). Nous avons besoin d'un système d'administration d'épinéphrine sans aiguille, mais d'un système sur lequel nous pouvons tous, patients inclus, être rassurés quant à son efficacité clinique".

(JACI, publications en ligne du 26 août et du 30 juin, et vol. 186, n°2, p418-420)

ld/lb/APMnews

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WASHINGTON, PARIS, 5 septembre 2025 (APMnews) - Des allergologues sont dubitatifs sur l'efficacité de l'adrénaline intranasale dans le traitement de l'anaphylaxie, alors que d'autres se montrent plus confiants, dans des échanges publiés dans le Journal of Allergy and Clinical Immunology (JACI).

La première adrénaline en spray intranasale pour le traitement en urgence de l'anaphylaxie a été homologuée aux Etats-Unis (Neffy*, ARS Pharma) et en Europe (Eurneffy*) notamment en 2024 (cf dépêche du 26/08/2024 à 16:04). Le groupe danois ALK-Abello, qui détient les droits pour l'Europe, "met tout en œuvre" pour que cette spécialité soit disponible en France, indique-t-on à APMnews sans plus de précision.

Ce traitement de première ligne de l'anaphylaxie était jusqu'à présent disponible par voie intramusculaire (ou intraveineuse en conditions peropératoires), à l'aide en particulier de stylos auto-injecteurs. Cependant, il reste sous-utilisé pour plusieurs raisons, notamment des difficultés d'utilisation et une phobie des aiguilles.

"Il existe donc une grande attente de la part des patients et de leur entourage, du grand public, de la communauté médicale et plus largement des soignants, mais aussi des professionnels en milieu scolaire pour des innovations dans le traitement de l'anaphylaxie", rappelaient en mars le Dr Guillaume Pouessel du CH de Roubaix et du CHU de Lille et la Dr Catherine Neukirch de l'hôpital Bichat à Paris dans la Revue française d'allergologie.

Parmi les nouvelles formulations en développement, le spray intranasal est la première à être commercialisée mais, dans un courrier publié fin août, des médecins américain, britanniques et espagnol ont souligné "la nécessité d'avoir confiance en [son] efficacité".

Le Dr Timothy Dribin du Cincinnati Children's Hospital Medical Center et ses collègues s'interrogent en particulier sur l'assertion selon laquelle les effets cliniques de l'adrénaline intranasale au cours d'une anaphylaxie sont similaires à ceux de la forme injectable chez des personnes "normales" parce que leurs niveaux sanguins sont similaires, notamment parce que la réponse pharmacocinétique et pharmacodynamique à l'adrénaline n'est pas la même chez une personne en bonne santé et chez quelqu'un qui fait une anaphylaxie.

Leurs préoccupations proviennent de données relatives à la naloxone, antidote des surdoses d'opioïdes. Alors que les profils pharmacocinétiques ne présentaient pas de différences selon les modes d'administration, notamment le mode intranasal, dans une revue systématique de la littérature, il est apparu dans un essai clinique randomisé contrôlé que les patients traités par naloxone intranasale avaient davantage recours à une dose secours que ceux traités par voie intramusculaire.

Or, jusqu'à présent, seule une étude incluant 15 enfants dont huit avaient une anaphylaxie a montré l'efficacité clinique de l'adrénaline intranasale, "une étude trop petite pour que nous puissions être sûrs que Neffy* sera efficace chez les patients sujets à des réactions plus graves, même si elle démontre clairement que d'autres études de ce type sont plus que réalisables".

"Il est nécessaire de démontrer l'efficacité clinique réelle et la faisabilité d'administration" de ce traitement, en particulier chez les jeunes enfants.

Ces chercheurs expriment également leur étonnement que le comité consultatif sur les médicaments des allergies respiratoires auprès de la Food and Drug Administration (FDA) américaine considère comme non éthique un essai clinique contrôlé randomisé comparant les voies intranasale et intramusculaire. "On pourrait considérer non éthique de promouvoir une alternative à l'auto-injecteur d'adrénaline sans fortes preuves d'une efficacité clinique."

Plutôt convaincus que l'adrénaline intranasale va se diffuser dans la population, ils estiment que des essais cliniques contrôlés et randomisés et des études d'utilisabilité accéléreraient ce processus en garantissant qu'elle est efficace et peut être administrée de manière fiable aux patients de tous âges.

La seule adrénaline efficace est celle que le patient emporte et utilise

Ils répondaient ainsi à d'autres chercheurs américains qui, eux, estimaient que le "curieux manque de confiance" de la part de certains cliniciens et patients dans cette adrénaline intranasale résidait dans une compréhension tardive de la méthode selon laquelle les nouvelles formulations d'adrénaline sont évaluées et de ce qui constitue une réponse clinique homologable.

"L'expérience en vie réelle a montré que malgré des données pharmacocinétiques et pharmacodynamiques très différentes pour des formes variées d'administration intramusculaire, elles sont toujours efficaces, avec seulement 10% des patients qui ont besoin d'une seconde dose, que ce soit avec un auto-injecteur ou une seringue manuelle et quelles que soient les aiguilles utilisées."

Ainsi, le Dr David Golden de la Johns Hopkins School of Medicine à Baltimore et ses collègues se demandent pourquoi ils devraient s'attendre à ce que le spray nasal soit moins efficace si, en outre, le taux d'adrénaline est similaire ou supérieur à ceux produits par les autres dispositifs. Ils ajoutent que les différents modes d'administration produisent des effets physiologiques comparables et qu'il existe une riche expérience clinique de l'adrénaline intramusculaire, en l'absence d'essai clinique.

Pour eux, "la seule adrénaline qui marche est l'adrénaline que les patients prendront avec eux et utiliseront correctement", notamment rapidement, ce qui semble plus probable avec le spray nasal qu'avec l'auto-injecteur.

Ils saluent par ailleurs l'argumentation de chercheurs britanniques qui ont appelé à une compréhension plus précise du débit cardiaque dans l'anaphylaxie tout en estimant que ce manque de connaissance ne devrait pas altérer la confiance dans la prescription d'un produit homologué car le débit cardiaque se reflète dans les paramètres pharmacodynamiques évalués.

De manière plus générale, la Dr Nandinee Patel et ses collègues de l'Imperial College London pointent "d'énormes variations dans le profil pharmacocinétique" des différents dispositifs d'adrénaline injectable, liées aux différences de taille et de diamètre des aiguilles, ainsi qu'entre les individus, liées à des différences physiques, physiologiques ou métaboliques.

Pour eux, la pharmacocinétique est une mesure de résultat très variable, donc d'une valeur discutable pour évaluer l'administration de l'adrénaline dans le traitement de l'anaphylaxie. Et, encore plus préoccupant, il n'existe pas de données sur le taux plasmatique finalement nécessaire pour traiter l'anaphylaxie.

Ainsi, ces chercheurs estiment que les agences réglementaires devraient prendre note de tous les problèmes irrésolus dans l'évaluation de l'adrénaline et demander aux industriels de fournir des preuves de son efficacité clinique.

A leur sens, "il est difficile de justifier l'approbation de toute autre solution [alternative] à l'adrénaline injectable sur la base de sa 'bioéquivalence' avec [l'auto-injecteur] Epipen* (Viatris). Nous avons besoin d'un système d'administration d'épinéphrine sans aiguille, mais d'un système sur lequel nous pouvons tous, patients inclus, être rassurés quant à son efficacité clinique".

(JACI, publications en ligne du 26 août et du 30 juin, et vol. 186, n°2, p418-420)

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