Actualités de l'Urgence - APM

15/01 2024
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LA GRAVITÉ DES CAS SOUS-ESTIMÉE AUX URGENCES POUR LES FEMMES ET LES NOIRS (ÉTUDE EUROPÉENNE DE SIMULATION)

MONTPELLIER, 15 janvier 2024 (APMnews) - Les professionnels de santé aux services d'accueil des urgences (SAU) ont tendance à considérer moins urgents les cas de douleur thoracique lorsque ce sont des femmes ou des Noirs qui se présentent, selon une étude européenne menée en France, en Belgique, en Suisse et à Monaco.

Ces résultats confirment "une approche différenciée selon le sexe et l'origine, dans des services d'urgence", comme l'ont déjà montré de nombreux articles scientifiques nord-américains, et que "l'évaluation de la gravité des malades aux urgences est soumise à la discrimination", souligne jeudi dans un communiqué le CHU de Montpellier auquel l'auteur coordonnateur est rattaché.

Sous la houlette du Pr Xavier Bobbia, chef des urgences de l'établissement, et le soutien de la Société française de médecine d'urgence (SFMU), le Dr Fabien Coisy du CHU de Nîmes et ses collègues rapportent les résultats de leur étude de simulation dans l'European Journal of Emergency Medicine (EJEM).

Ils ont voulu savoir si dans le cas d'un syndrome coronarien aigu (SCA), les différences de prise en charge liées au genre et l'origine des patients pouvaient s'expliquer notamment par une évaluation moins sévère de la gravité ou par une prise en charge moins intensive.

Pour mieux comprendre ces biais, ils ont soumis à des professionnels de santé travaillant en SAU dans des établissements français, belges, suisses et monégasques, un cas clinique standardisé se présentant aux urgences, avec une description des symptômes et une photo du patient choisie de manière aléatoire entre des hommes et des femmes de types européen, nord-africain, africain ou sud-est asiatique.

L'image était construite à l'aide de l'IA et représentait un personnage debout, la main sur la poitrine, simulant la douleur.

Il était indiqué que ce patient de 50 ans avait une douleur thoracique depuis le matin qu'il avait du mal à décrire, et qu'il semblait dyspnéique sans avoir fait d'effort mais il s'était disputé le matin même avec son adolescent. Ce patient a présenté un épisode dépressif caractérisé il y a deux ans et c'est le seul antécédent connu; il n'a pas, à sa connaissance, d'antécédents familiaux. Il ne prend pas de médicament, déclare avoir fumé un demi-paquet de cigarettes par jour pendant deux ans et avoir arrêté il y a cinq ans. Il présente une pression artérielle de 135/75 mmHg, une fréquence cardiaque de 83 battements par min, une fréquence respiratoire de 16 cycles par min et une saturation en oxygène de 98% en air ambiant.

Les 1.563 professionnels interrogés (87% en France, 50% de médecins titulaires, 11% d'internes et 39% d'infirmières) devaient donner le niveau de gravité (priorisation) de ce cas clinique, entre 1 et 5, les classes 1 et 2 étant des urgences vitales et 3-5, non vitales.

Globalement, 11% des professionnels ont considéré le cas clinique soumis de priorité 1, 44% de niveau 2, 34% de niveau 3, 9% de niveau 4 et 2% de niveau 5. Ils étaient au total 55% à considérer ce cas comme une urgence vitale.

L'évaluation selon le sexe montre que 62,2% des cas sont considérés comme une urgence vitale lorsque ce sont des hommes, contre 48,9% lorsque ce sont des femmes, une différence statistiquement significative.

La comparaison des cas selon l'origine ethnique montre des différences non significatives entre les Asiatiques avec les Blancs, les Nord-Africains et les Africains notamment, mais il apparaît que seulement 47,1% des cas sont considérés comme des urgences vitales lorsque les patients sont d'origine africaine, contre 58% quand ce sont des Blancs, une différence qui est cette fois significative. La part d'urgences vitales est également inférieure pour les Noirs par rapport aux Nord-Africains, de 47,1% vs 61,1%.

De manière concordante, l'analyse montre par ailleurs qu'il n'y a pas de différence significative entre les femmes asiatiques par rapport aux Européennes et Nord-Africaines. Ces dernières semblent moins bien considérées que les hommes de même origine puisque les cas sont considérés comme une urgence vitale dans respectivement 51,7% et 70,3%.

Il n'y a aucune différence significative pour les Blanches par rapport aux autres profils sauf par rapport aux Nord-Africains (53,2% vs 70,3%) tandis que les Noires sont dans tous les cas considérées moins souvent comme une urgence vitale (42,1% vs 61,8% des hommes asiatiques, 63,3% des hommes blancs et 70,3% des Nord-Africains).

Ces résultats montrent que le genre et l'origine ethnique du patient altèrent la décision de priorisation des professionnels de santé lors du tri des patients aux SAU face à un cas clinique standardisé de douleur thoracique, concluent les chercheurs.

Ils supposent que cette situation s'explique notamment par le fait que soit les hommes qui se présentent aux urgences sont souvent des cas plus sévères, soit qu'il y a davantage de vignettes cliniques avec des hommes dans la formation des professionnels de santé, par des expériences cliniques différentes également.

Des études complémentaires sont nécessaires pour comprendre les mécanismes sous-jacents à ces différences d'évaluation, ajoutent-ils.

Le CHU de Montpellier indique dans son communiqué qu'il a initié un plan d'action en quatre étapes au sein de son SAU pour réduire les inégalités. Il s'agissait tout d'abord d'objectiver les tendances discriminatoires et d'éveiller les consciences par une étude dont les résultats sont publiés. Ensuite, l'établissement entend "rassembler les soignants autour de valeurs humanistes et d'équité" puis diffuser des outils standardisés pour éviter les biais d'évaluation. Enfin, le CHU a lancé une étude multicentrique visant à élaborer un outil d'intelligence artificielle (IA) pour évaluer la gravité des patients consultant pour une douleur thoracique.

(EJEM, publication en ligne du 13 décembre 2023)

ld/ab/APMnews

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MONTPELLIER, 15 janvier 2024 (APMnews) - Les professionnels de santé aux services d'accueil des urgences (SAU) ont tendance à considérer moins urgents les cas de douleur thoracique lorsque ce sont des femmes ou des Noirs qui se présentent, selon une étude européenne menée en France, en Belgique, en Suisse et à Monaco.

Ces résultats confirment "une approche différenciée selon le sexe et l'origine, dans des services d'urgence", comme l'ont déjà montré de nombreux articles scientifiques nord-américains, et que "l'évaluation de la gravité des malades aux urgences est soumise à la discrimination", souligne jeudi dans un communiqué le CHU de Montpellier auquel l'auteur coordonnateur est rattaché.

Sous la houlette du Pr Xavier Bobbia, chef des urgences de l'établissement, et le soutien de la Société française de médecine d'urgence (SFMU), le Dr Fabien Coisy du CHU de Nîmes et ses collègues rapportent les résultats de leur étude de simulation dans l'European Journal of Emergency Medicine (EJEM).

Ils ont voulu savoir si dans le cas d'un syndrome coronarien aigu (SCA), les différences de prise en charge liées au genre et l'origine des patients pouvaient s'expliquer notamment par une évaluation moins sévère de la gravité ou par une prise en charge moins intensive.

Pour mieux comprendre ces biais, ils ont soumis à des professionnels de santé travaillant en SAU dans des établissements français, belges, suisses et monégasques, un cas clinique standardisé se présentant aux urgences, avec une description des symptômes et une photo du patient choisie de manière aléatoire entre des hommes et des femmes de types européen, nord-africain, africain ou sud-est asiatique.

L'image était construite à l'aide de l'IA et représentait un personnage debout, la main sur la poitrine, simulant la douleur.

Il était indiqué que ce patient de 50 ans avait une douleur thoracique depuis le matin qu'il avait du mal à décrire, et qu'il semblait dyspnéique sans avoir fait d'effort mais il s'était disputé le matin même avec son adolescent. Ce patient a présenté un épisode dépressif caractérisé il y a deux ans et c'est le seul antécédent connu; il n'a pas, à sa connaissance, d'antécédents familiaux. Il ne prend pas de médicament, déclare avoir fumé un demi-paquet de cigarettes par jour pendant deux ans et avoir arrêté il y a cinq ans. Il présente une pression artérielle de 135/75 mmHg, une fréquence cardiaque de 83 battements par min, une fréquence respiratoire de 16 cycles par min et une saturation en oxygène de 98% en air ambiant.

Les 1.563 professionnels interrogés (87% en France, 50% de médecins titulaires, 11% d'internes et 39% d'infirmières) devaient donner le niveau de gravité (priorisation) de ce cas clinique, entre 1 et 5, les classes 1 et 2 étant des urgences vitales et 3-5, non vitales.

Globalement, 11% des professionnels ont considéré le cas clinique soumis de priorité 1, 44% de niveau 2, 34% de niveau 3, 9% de niveau 4 et 2% de niveau 5. Ils étaient au total 55% à considérer ce cas comme une urgence vitale.

L'évaluation selon le sexe montre que 62,2% des cas sont considérés comme une urgence vitale lorsque ce sont des hommes, contre 48,9% lorsque ce sont des femmes, une différence statistiquement significative.

La comparaison des cas selon l'origine ethnique montre des différences non significatives entre les Asiatiques avec les Blancs, les Nord-Africains et les Africains notamment, mais il apparaît que seulement 47,1% des cas sont considérés comme des urgences vitales lorsque les patients sont d'origine africaine, contre 58% quand ce sont des Blancs, une différence qui est cette fois significative. La part d'urgences vitales est également inférieure pour les Noirs par rapport aux Nord-Africains, de 47,1% vs 61,1%.

De manière concordante, l'analyse montre par ailleurs qu'il n'y a pas de différence significative entre les femmes asiatiques par rapport aux Européennes et Nord-Africaines. Ces dernières semblent moins bien considérées que les hommes de même origine puisque les cas sont considérés comme une urgence vitale dans respectivement 51,7% et 70,3%.

Il n'y a aucune différence significative pour les Blanches par rapport aux autres profils sauf par rapport aux Nord-Africains (53,2% vs 70,3%) tandis que les Noires sont dans tous les cas considérées moins souvent comme une urgence vitale (42,1% vs 61,8% des hommes asiatiques, 63,3% des hommes blancs et 70,3% des Nord-Africains).

Ces résultats montrent que le genre et l'origine ethnique du patient altèrent la décision de priorisation des professionnels de santé lors du tri des patients aux SAU face à un cas clinique standardisé de douleur thoracique, concluent les chercheurs.

Ils supposent que cette situation s'explique notamment par le fait que soit les hommes qui se présentent aux urgences sont souvent des cas plus sévères, soit qu'il y a davantage de vignettes cliniques avec des hommes dans la formation des professionnels de santé, par des expériences cliniques différentes également.

Des études complémentaires sont nécessaires pour comprendre les mécanismes sous-jacents à ces différences d'évaluation, ajoutent-ils.

Le CHU de Montpellier indique dans son communiqué qu'il a initié un plan d'action en quatre étapes au sein de son SAU pour réduire les inégalités. Il s'agissait tout d'abord d'objectiver les tendances discriminatoires et d'éveiller les consciences par une étude dont les résultats sont publiés. Ensuite, l'établissement entend "rassembler les soignants autour de valeurs humanistes et d'équité" puis diffuser des outils standardisés pour éviter les biais d'évaluation. Enfin, le CHU a lancé une étude multicentrique visant à élaborer un outil d'intelligence artificielle (IA) pour évaluer la gravité des patients consultant pour une douleur thoracique.

(EJEM, publication en ligne du 13 décembre 2023)

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