Actualités de l'Urgence - APM

LES PATIENTS ATTEINTS DE TROUBLES COGNITIFS SÉVÈRES LIÉS À L'ALCOOL NÉCESSITENT UNE MEILLEURE PRISE EN CHARGE
Dans un poster présenté au congrès Evaluation, management, organisation, information, santé (Emois), en fin de semaine dernière à Nancy, Lidia Kardas-Sloma de l'hôpital Hôtel-Dieu à Paris (AP-HP) et ses collègues ont rapporté les résultats d'une étude évaluant le coût de prise en charge des patients atteints d'un syndrome de Korsakoff.
Il s'agit d'une atteinte cognitive invalidante, secondaire à une consommation chronique d'alcool, qui entraîne des hospitalisations fréquentes et longues chez ces patients polypathologiques.
Pour cette étude, les chercheurs ont utilisé l'entrepôt de données de l'AP-HP pour sélectionner tous les patients majeurs hospitalisés entre juillet 2017 et décembre 2022 ayant le terme Korsakoff ou un dérivé présent dans au moins un compte rendu de consultation ou d'hospitalisation, ou un code CIM-10 compatible avec le diagnostic principal de l'hospitalisation.
L'évaluation a été réalisée à partir de l'étude nationale des coûts (ENC) 2022, des groupes homogènes de malades (GHM), de la durée de séjour et des suppléments identifiés à partir des passages en unités spécialisées (en réanimation par exemple), indiquent-ils dans le résumé de leur communication.
L'analyse a porté sur 601 patients (63 ans en moyenne, 66% d'hommes). Ils sont restés à l'hôpital en moyenne 24 jours par an.
Le coût moyen de la prise en charge d'un patient était estimé à 15.346 euros par an d'exposition, pour une recette moyenne de 6.839 euros, ce qui représente un déficit pour l'hôpital de 8.507 euros par patient.
"Ces résultats plaident en faveur de la mise en place de stratégies de prise en charge spécifiques pour mieux accompagner ces patients et réduire le coût global du syndrome de Korsakoff", concluent les auteurs.
Des filières à développer
Pour le président de l'association Resalcog, le Dr Frank Questel de l'hôpital Fernand-Widal à Paris (AP-HP), c'est la prise en charge de l'ensemble des patients atteints de troubles cognitifs sévères liés à l'alcool qui doit être développée.
Le syndrome de Korsakoff résulte d'une carence en vitamine B1, qui peut être causée notamment par une consommation excessive d'alcool, mais il existe d'autres troubles cognitifs liés à la toxicité de l'alcool, entraînant une perte d'autonomie. Il existe à la fois un problème de définition des troubles cognitifs liés à l'alcool et de diagnostic, explique à APMnews le responsable de ce réseau de prise en charge francilien.
Initié il y a près de 10 ans, Resalcog est "le seul réseau bien identifié en Ile-de-France", couvrant le nord de Paris avec Fernand-Widal et la Clinique des épinettes, la Seine-Saint-Denis avec l'hôpital René-Muret à Sevran (AP-HP), le Val-d'Oise avec la Clinique du parc à Saint-Ouen-l'Aumône et enfin, les Hauts-de-Seine avec l'hôpital Gouin à Clichy, l'hôpital Corentin-Celton à Issy-les-Moulineaux et la maison d'accueil spécialisée de l'hôpital Nord à Villeneuve-la-Garenne.
Ce réseau assure une prise en charge dès le service d'accueil des urgences (SAU), qui est "souvent la porte d'entrée" de ces patients dans le soin, jusqu'au séjour de longue durée en maison d'accueil spécialisée (MAS) pour les cas les plus graves.
"Mais nous sommes archi-saturés alors que c'est une problématique nationale!" regrette le Dr Questel, qui observe que d'autres essaient de s'organiser, comme dans les Hauts-de-France.
"Les structures adaptées manquent" car les troubles cognitifs sévères liés à l'alcool ne relèvent d'aucune spécialité spécifique mais à la fois de l'addictologie, de la neurologie, de la nutrition, de la rééducation. En outre, ces pathologies ont "une connotation extrêmement péjorative car elles sont irréversibles, les approches habituelles en addictologie ne fonctionnent pas… peu de professionnels s'investissent".
Enfin, les données sur l'ensemble des troubles cognitifs liés à l'alcool manquent, ce qui suggère d'ailleurs que l'estimation du coût de ces patients pour l'AP-HP est a minima, fait observer le médecin. Il existe à la fois un sous-diagnostic, notamment chez des patients âgés étiquetés avec une maladie d'Alzheimer ou une autre maladie neurodégénérative, et inversement, un diagnostic par excès chez des personnes dont il est possible d'obtenir un sevrage alcoolique et une abstinence prolongée, poursuit-il.
Sur la base des données disponibles, il y aurait 60.000 à 100.000 personnes concernées en France et l'incidence serait de 600 à 900 cas par an. En outre, ces patients présentent d'importantes comorbidités, notamment des cancers, des maladies cardiaques ou hépatiques.
Il faudrait également mener davantage de recherche sur ces troubles, conclut le Dr Questel.
Un fossé entre la science et la prise en charge
La Société française d'alcoologie (SFA) a publié en février un numéro spécial de sa revue Alcoologie et Addictologie, consacré au syndrome de Korsakoff, avec pour sous-titre "un fossé entre les avancées scientifiques et l'absence criante de prise en charge adaptée en France".
Dans l'éditorial, la Pr Anne-Lise Pitel de l'université de Caen Normandie pointait une formation "très faible" des professionnels de santé, entraînant une errance diagnostique et thérapeutique responsable d'une perte de chances pour les patients, ainsi que des hospitalisations prolongées en l'absence de prise en charge adaptée, bloquant des lits, épuisant des soignants et générant un coût "colossal" pour l'assurance maladie.
"Les patients finissent par être renvoyés chez eux, dans la rue ou dans d'autres situations de grande précarité", a-t-elle souligné.
Elle appelle à une "pr[ise] de conscience de la défaillance de notre système de santé". Il est urgent de "mener une action politique et sociale […] en faveur du remboursement de la thiamine en officine de ville dans le cadre d'un trouble de l'usage d'alcool", de "créer un parcours de soins dédié", avec des centres experts ou de référence et des lieux de vie, et enfin, d'"organiser et structurer un réseau national d'établissements cliniques et de laboratoires de recherche".
(Journal of Epidemiology and Population Health, vol. 73, suppl. 1, March 2025, 202941 et Alcoologie et addictologie, numéro spécial, février 2025)
ld/lb/APMnews
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LES PATIENTS ATTEINTS DE TROUBLES COGNITIFS SÉVÈRES LIÉS À L'ALCOOL NÉCESSITENT UNE MEILLEURE PRISE EN CHARGE
Dans un poster présenté au congrès Evaluation, management, organisation, information, santé (Emois), en fin de semaine dernière à Nancy, Lidia Kardas-Sloma de l'hôpital Hôtel-Dieu à Paris (AP-HP) et ses collègues ont rapporté les résultats d'une étude évaluant le coût de prise en charge des patients atteints d'un syndrome de Korsakoff.
Il s'agit d'une atteinte cognitive invalidante, secondaire à une consommation chronique d'alcool, qui entraîne des hospitalisations fréquentes et longues chez ces patients polypathologiques.
Pour cette étude, les chercheurs ont utilisé l'entrepôt de données de l'AP-HP pour sélectionner tous les patients majeurs hospitalisés entre juillet 2017 et décembre 2022 ayant le terme Korsakoff ou un dérivé présent dans au moins un compte rendu de consultation ou d'hospitalisation, ou un code CIM-10 compatible avec le diagnostic principal de l'hospitalisation.
L'évaluation a été réalisée à partir de l'étude nationale des coûts (ENC) 2022, des groupes homogènes de malades (GHM), de la durée de séjour et des suppléments identifiés à partir des passages en unités spécialisées (en réanimation par exemple), indiquent-ils dans le résumé de leur communication.
L'analyse a porté sur 601 patients (63 ans en moyenne, 66% d'hommes). Ils sont restés à l'hôpital en moyenne 24 jours par an.
Le coût moyen de la prise en charge d'un patient était estimé à 15.346 euros par an d'exposition, pour une recette moyenne de 6.839 euros, ce qui représente un déficit pour l'hôpital de 8.507 euros par patient.
"Ces résultats plaident en faveur de la mise en place de stratégies de prise en charge spécifiques pour mieux accompagner ces patients et réduire le coût global du syndrome de Korsakoff", concluent les auteurs.
Des filières à développer
Pour le président de l'association Resalcog, le Dr Frank Questel de l'hôpital Fernand-Widal à Paris (AP-HP), c'est la prise en charge de l'ensemble des patients atteints de troubles cognitifs sévères liés à l'alcool qui doit être développée.
Le syndrome de Korsakoff résulte d'une carence en vitamine B1, qui peut être causée notamment par une consommation excessive d'alcool, mais il existe d'autres troubles cognitifs liés à la toxicité de l'alcool, entraînant une perte d'autonomie. Il existe à la fois un problème de définition des troubles cognitifs liés à l'alcool et de diagnostic, explique à APMnews le responsable de ce réseau de prise en charge francilien.
Initié il y a près de 10 ans, Resalcog est "le seul réseau bien identifié en Ile-de-France", couvrant le nord de Paris avec Fernand-Widal et la Clinique des épinettes, la Seine-Saint-Denis avec l'hôpital René-Muret à Sevran (AP-HP), le Val-d'Oise avec la Clinique du parc à Saint-Ouen-l'Aumône et enfin, les Hauts-de-Seine avec l'hôpital Gouin à Clichy, l'hôpital Corentin-Celton à Issy-les-Moulineaux et la maison d'accueil spécialisée de l'hôpital Nord à Villeneuve-la-Garenne.
Ce réseau assure une prise en charge dès le service d'accueil des urgences (SAU), qui est "souvent la porte d'entrée" de ces patients dans le soin, jusqu'au séjour de longue durée en maison d'accueil spécialisée (MAS) pour les cas les plus graves.
"Mais nous sommes archi-saturés alors que c'est une problématique nationale!" regrette le Dr Questel, qui observe que d'autres essaient de s'organiser, comme dans les Hauts-de-France.
"Les structures adaptées manquent" car les troubles cognitifs sévères liés à l'alcool ne relèvent d'aucune spécialité spécifique mais à la fois de l'addictologie, de la neurologie, de la nutrition, de la rééducation. En outre, ces pathologies ont "une connotation extrêmement péjorative car elles sont irréversibles, les approches habituelles en addictologie ne fonctionnent pas… peu de professionnels s'investissent".
Enfin, les données sur l'ensemble des troubles cognitifs liés à l'alcool manquent, ce qui suggère d'ailleurs que l'estimation du coût de ces patients pour l'AP-HP est a minima, fait observer le médecin. Il existe à la fois un sous-diagnostic, notamment chez des patients âgés étiquetés avec une maladie d'Alzheimer ou une autre maladie neurodégénérative, et inversement, un diagnostic par excès chez des personnes dont il est possible d'obtenir un sevrage alcoolique et une abstinence prolongée, poursuit-il.
Sur la base des données disponibles, il y aurait 60.000 à 100.000 personnes concernées en France et l'incidence serait de 600 à 900 cas par an. En outre, ces patients présentent d'importantes comorbidités, notamment des cancers, des maladies cardiaques ou hépatiques.
Il faudrait également mener davantage de recherche sur ces troubles, conclut le Dr Questel.
Un fossé entre la science et la prise en charge
La Société française d'alcoologie (SFA) a publié en février un numéro spécial de sa revue Alcoologie et Addictologie, consacré au syndrome de Korsakoff, avec pour sous-titre "un fossé entre les avancées scientifiques et l'absence criante de prise en charge adaptée en France".
Dans l'éditorial, la Pr Anne-Lise Pitel de l'université de Caen Normandie pointait une formation "très faible" des professionnels de santé, entraînant une errance diagnostique et thérapeutique responsable d'une perte de chances pour les patients, ainsi que des hospitalisations prolongées en l'absence de prise en charge adaptée, bloquant des lits, épuisant des soignants et générant un coût "colossal" pour l'assurance maladie.
"Les patients finissent par être renvoyés chez eux, dans la rue ou dans d'autres situations de grande précarité", a-t-elle souligné.
Elle appelle à une "pr[ise] de conscience de la défaillance de notre système de santé". Il est urgent de "mener une action politique et sociale […] en faveur du remboursement de la thiamine en officine de ville dans le cadre d'un trouble de l'usage d'alcool", de "créer un parcours de soins dédié", avec des centres experts ou de référence et des lieux de vie, et enfin, d'"organiser et structurer un réseau national d'établissements cliniques et de laboratoires de recherche".
(Journal of Epidemiology and Population Health, vol. 73, suppl. 1, March 2025, 202941 et Alcoologie et addictologie, numéro spécial, février 2025)
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