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23/04 2025
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PROCÈS LE SCOUARNEC: DEUX TÉMOINS POINTENT LA PARALYSIE DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES ET DE L'ORDRE DES MÉDECINS

(Par Jean-Yves PAILLÉ, à Vannes)

VANNES, 23 avril 2025 (APMnews) - Le Dr Jean-Marc Le Gac, ancien chef des urgences de l'hôpital de Quimperlé (Finistère), et Jean-Pierre Dupont McLean, ex-directeur de l'hôpital de Pontivy (Morbihan), qui ont dérangé à leur manière Joël Le Scouarnec dans ses agissements, ont estimé à son procès lundi que les autorités administratives et l'ordre des médecins n'avaient pas agi contre lui car ils étaient notamment paralysés par la peine de justice de 2005 contre l'ex-chirurgien pour détention et recel d'images pornographiques avec mineur ne lui interdisant pas d'exercer.

Joël Le Scouarnec est accusé de viols et d'agressions sexuelles aggravés, notamment sur des mineurs de moins de 15 ans dans le cadre de l'exercice de son ancienne profession, rappelle-t-on. Son procès a ouvert le 24 février à la cour criminelle départementale du Morbihan. Initialement, les audiences étaient prévues au moins jusqu'en juin mais in fine, le délibéré est attendu pour les 27 et 28 mai, selon le calendrier mis à jour.

L'ordonnance de mise en accusation concerne 300 faits et 299 victimes, sur une période allant de 1989 à 2014 (cf dépêche du 05/02/2025 à 18:40).

Joël Le Scouarnec avait été condamné à quatre mois de prison avec sursis en novembre 2005 par le tribunal correctionnel de Vannes pour détention et recel d'images pornographiques avec mineur, une peine qui n'avait pas été assortie d'une obligation de soins, rappelle-t-on.

Jean-Pierre Dupont McLean, 77 ans, directeur d'hôpital à la retraite, a dirigé l'hôpital de Pontivy (désormais intégré au CH du Centre Bretagne) de 2001 à 2013. Il a rencontré en personne Joël Le Scouarnec le jeudi 28 juin 2007 dans le cadre d'un entretien professionnel en vue de l'embauche de ce dernier pour pallier le départ d'un chirurgien viscéral. Il était dans un premier temps prévu un remplacement d'une semaine qui devait commencer le lundi suivant. Joël Le Scouarnec venait de quitter l'hôpital de Quimperlé (à présent dans le GH Bretagne Sud) en raison de la fermeture de son service de chirurgie.

Le vendredi, à 19 heures, Jean-Pierre Dupont McLean a reçu "un bref appel" du directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation (ARH, devenue ARS) sur un ton de "recommandation", "presque de confidence", lui expliquant avoir pris connaissance de sa volonté d'employer Joël Le Scouarnec et lui déconseillant de le faire. Il a révélé à Jean-Pierre Dupont McLean un "problème de consultation de fichiers pédopornographiques", sans toutefois faire référence à la condamnation en 2005.

Jean-Pierre Dupont McLean a assuré avoir congédié l'ex-chirurgien dès le lundi, avant qu'il commence le travail. "Je lui ai dit que j'avais appris ce qui s'était passé, qu'on ne ferait pas affaire ensemble". Il s'est dit furieux de ne pas avoir appris la condamnation de Joël Le Scouarnec autrement que par voie de presse, plus tard.

Le tribunal correctionnel "aurait dû assortir sa peine d'une interdiction d'exercice au moins partielle" en 2005, a considéré l'ancien directeur d'hôpital. Selon lui, le choix de la justice a "paralysé" les différentes autorités. "Le pénal l'emporte sur le civil et l'administratif", a-t-il avancé.

Il a considéré qu'une décision disciplinaire de l'ordre des médecins contre Joël Le Scouarnec en 2006 n'était "pas à l'abri d'un recours judiciaire gagnant" de l'ex-chirurgien, "pareil pour une décision du ministère" contre l'autorisation d'exercice de ce dernier.

L'ancien directeur a en outre estimé que la titularisation de l'ex-chirurgien en août 2006 avait été une "occasion manquée". Selon Jean-Pierre Dupont McLean, il aurait pu être mis en "position de recherche d'affectation" et continuer à être rémunéré sans exercer à partir de "l'élargissement" de ce dispositif aux praticiens en 2007.

Il a par ailleurs souligné qu'il n'avait pas demandé le "bulletin numéro 2" (casier judiciaire) de Joël Le Scouarnec, car l'urgence du remplacement était incompatible avec cette procédure dans les établissements de taille modeste.

Le directeur a appris quelques années plus tard que le médecin avait commis des violences sexuelles sur une mineure dans son établissement, durant un remplacement d'un week-end au premier semestre 2003.

L'attente d'une décision des autorités pour agir concrètement

Agé aujourd'hui de 60 ans, Jean-Marc Le Gac était chef des urgences à l'hôpital de Quimperlé, lorsque Joël Le Scouarnec y a exercé -notamment de 2004 à 2007 (cf dépêche du 28/02/2025 à 12:16). Il travaille actuellement à l'hôpital de Lorient.

De son point de vue, si la première condamnation à Vannes "avait donné lieu à une interdiction d'exercice, cela aurait réglé les choses rapidement". Il a lui aussi émis l'idée d'une "paralysie" du conseil départemental de l'ordre des médecins (CDOM) en raison de la décision de justice préalable. Cette paralysie s'est également retrouvée dans une certaine mesure au sein de son établissement, a-t-il pointé.

Jean-Marc Le Gac a exposé que le Dr Thierry Bonvalot, alors président de la commission médicale d'établissement (CME) de l'hôpital de Quimperlé et spécialisé en psychiatrie, lui avait confié ses craintes au sujet de Joël Le Scouarnec. Le président de la CME lui a fait part, le 12 juin 2006, de la condamnation de l'ex-chirurgien pour détention d'images pédopornographiques, apprise via un article de presse.

Thierry Bonvalot a en outre rapporté que l'ex-chirurgien, lors d'une appendicectomie sur un mineur, avait incisé une veine, provoquant un incident opératoire, et avait refusé ensuite de voir les parents de l'enfant. Selon Jean-Marc Le Gac, Thierry Bonvalot associait la condamnation de Joël Le Scouarnec à cet incident et estimait que le chirurgien ne devait plus opérer. Il avait demandé à Jean-Marc Le Gac d'agir auprès de son service dans cet objectif.

"Je n'avais pas d'autorité vis-à-vis [de Joël Le Scouarnec]" pour l'empêcher d'exercer, a souligné Jean-Marc Le Gac. "La seule chose que je pouvais faire était de contacter le CDOM du Finistère", a-t-il dit, en ajoutant qu'il n'était pas sûr à 100% des faits, sans compter la crainte en matière de déontologie de dénoncer un confrère.

Il a joint l'ordre le lendemain, le 13 juin, mentionnant la condamnation de l'ex-chirurgien et les inquiétudes sur son exercice. L'ordre lui a promis un retour dès le lendemain que l'ancien chef des urgences a affirmé n'avoir "jamais eu".

De son côté, Thierry Bonvalot a averti le directeur de l'hôpital, André Labat, décédé en 2013 (cf dépêche du 16/05/2013 à 15:37), mi-juin 2006, de la condamnation et de ses craintes concernant le chirurgien.

Jean-Marc le Gac a dit avoir été ensuite "plus vigilant" lorsque Joël Le Scouarnec venait consulter aux urgences, expliquant qu'il l'accompagnait dans ces cas-là.

L'ancien chef des urgences n'a toutefois pas prévenu les autres membres du service, expliquant qu'il n'y avait pas eu "d'information officielle" sur le praticien et que, dans l'attente d'une "décision administrative" et de "l'ordre", il n'avait "pas le droit de l'afficher".

Jean-Marc Le Gac a parlé avec "trois-quatre collaborateurs" de confiance de cette affaire "délicate". Il a évoqué "une discrétion" sur "une affaire qui nous échappait un peu", insistant sur l'attente d'une décision "de l'administration et du conseil de l'ordre". D'ailleurs, l'affaire concernant le chirurgien ne lui est pas "remontée" dans l'établissement, a-t-il ajouté, pointant l'absence de rumeurs.

Chacun était "paralysé par la réalité rapportée". Il est incertain que des confrères "auraient fait la même chose" que lui en avertissant l'ordre, a-t-il jugé.

"Il y avait un malaise, du non-dit", "il n'y avait pas de guide, pas de procédure claire", a évoqué l'ex-chef de service, regrettant le "manque de connaissances juridiques" et le fait qu'il "aurait été bien de mettre tout à plat".

Cette affaire "me hante en permanence", un "médecin est là pour soigner, pas pour confier des enfants à un prédateur", a-t-il pointé.

Interrogé par la présidente de la cour, Aude Buresi, sur l'éventualité de vérifier si l'ex-chirurgien avait des cassettes pédopornographiques dans sa chambre d'internat à l'hôpital, Jean-Marc Le Gac a répondu ne pas l'avoir envisagé, dans un rire nerveux.

Il a par ailleurs avoué ne pas avoir eu la notion de la forte probabilité de passage à l'acte d'une personne regardant des images pédopornographiques.

Avant cet événement, Jean-Marc Le Gac voyait en Joël Le Scouarnec un chirurgien "qualitatif" et "plutôt discret".

En parallèle, l'ex-chef des urgences s'est souvenu que le chirurgien siégeait à la commission de conciliation et avait défendu le Dr Mohammed Fréhat, un radiologue accusé alors de viol, faisant valoir que ce dernier était "méticuleux" dans ces gestes médicaux. Mohammed Fréhat, jugé devant la cour d'assises du Finistère, avait fui et quitté le pays.

Joël Le Scouarnec dit avoir trompé le directeur de l'hôpital de Quimperlé et le CDOM

Le CDOM du Finistère a finalement interrogé Joël Le Scouarnec, le 22 novembre 2006, trois mois après la titularisation de l'ex-chirurgien, pour discuter de sa condamnation de 2005. Le CDOM s'est prononcé plus tard à l'unanimité des praticiens de ses instances contre l'engagement de poursuites disciplinaires contre Joël Le Scouarnec.

Le chirurgien a prévenu tout de suite de cet entretien le directeur de l'hôpital de Quimperlé. Ce dernier, dans un courrier envoyé le 23 novembre à la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (Ddass, désormais intégrée à l'ARS) dont le contenu a été lu par un avocat des parties civiles, a fait valoir qu'il n'était pas au courant de la condamnation du chirurgien et a souligné son "sérieux", sa "compétence", ainsi que le fait qu'il avait permis de stabiliser l'activité de chirurgie.

Jean-Pierre Dupont McLean a concédé qu'André Labat avait pu faire primer l'intérêt de son établissement, tout en insistant que refaire l'histoire avec les éléments d'aujourd'hui "ne serait pas honnête".

Joël Le Scouarnec a assuré, après le passage des deux témoins, lundi, qu'il avait minimisé les faits auprès de l'ordre et du directeur de l'hôpital de Quimperlé, et les avoir "trompés" pour pouvoir "continuer [s]es actes". Il a toutefois concédé avoir été mis en difficulté sur la période de juin à novembre 2006. Il était alors "mal à l'aise" et a redoublé de prudence pour commettre viols et agressions sexuelles. Il a expliqué qu'une fois l'affaire tassée, cela avait "confirmé" son "sentiment d'impunité". Il a ajouté qu'il était conscient du risque d'être radié et interdit d'exercer, en novembre 2006.

Joël Le Scouarnec a confirmé que Thierry Bonvalot était bien venu le voir, en compagnie du "chef de service de la maternité", pour lui demander qu'un tiers l'accompagne durant les actes médicaux, mais l'ex-chirurgien a relaté que cela ne s'était pas mis en place.

Des manifestants ont appelé à agir pour "enrayer le cycle des violences sexuelles"

La manifestation devant le palais de justice de Vannes. Photo: Jean-Yves Paillé
La manifestation devant le palais de justice de Vannes. Photo: Jean-Yves Paillé

Une soixantaine de personnes ont manifesté devant le palais de justice de Vannes, lundi à midi, à l'appel d'un collectif comprenant entre autres le Syndicat de la médecine générale (SMG), le Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG), Pour une médecine engagée unie et féministe (PUM) et le Mouvement d'insoumission aux ordres professionnels (Miop), a constaté APMnews. Elles ont appelé à agir pour "enrayer le cycle des violences sexuelles".

Elles ont appelé à ce que chacun prenne ses responsabilités, "en soutenant les personnes victimes, en disant 'je te crois' à celles-ci", appelant à "agir face à cette parole entendue, ne pas l'invisibiliser ou la silencier, mais bien la faire exister". Le collectif a estimé que l'affaire Le Scouarnec "montre bien la déresponsabilisation coupable de la plupart des institutions", pointant notamment l'inaction du ministère de la santé et de l'ordre des médecins dans cette affaire.

Parmi les manifestants, des victimes de Joël Le Scouarnec étaient présentes. L'une d'elles a fait valoir que "ce procès, qualifié de hors norme, est en réalité le reflet d'un système où la culture du viol, la domination et la violence systémique envers les plus vulnérables est encore tolérée, voire protégée".

Elle a estimé que l'ex-chirurgien était "un homme parfaitement intégré dans une société défaillante qui autorise des médecins condamnés pour détention d'images pédopornographiques à continuer d'exercer", ce qui lui "a permis de perpétrer [ses] crimes à [sa] guise pendant plusieurs décennies, sans [être] nullement inquiété".

Une autre manifestation a eu lieu en parallèle à Paris.

jyp/nc/APMnews

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(Par Jean-Yves PAILLÉ, à Vannes)

VANNES, 23 avril 2025 (APMnews) - Le Dr Jean-Marc Le Gac, ancien chef des urgences de l'hôpital de Quimperlé (Finistère), et Jean-Pierre Dupont McLean, ex-directeur de l'hôpital de Pontivy (Morbihan), qui ont dérangé à leur manière Joël Le Scouarnec dans ses agissements, ont estimé à son procès lundi que les autorités administratives et l'ordre des médecins n'avaient pas agi contre lui car ils étaient notamment paralysés par la peine de justice de 2005 contre l'ex-chirurgien pour détention et recel d'images pornographiques avec mineur ne lui interdisant pas d'exercer.

Joël Le Scouarnec est accusé de viols et d'agressions sexuelles aggravés, notamment sur des mineurs de moins de 15 ans dans le cadre de l'exercice de son ancienne profession, rappelle-t-on. Son procès a ouvert le 24 février à la cour criminelle départementale du Morbihan. Initialement, les audiences étaient prévues au moins jusqu'en juin mais in fine, le délibéré est attendu pour les 27 et 28 mai, selon le calendrier mis à jour.

L'ordonnance de mise en accusation concerne 300 faits et 299 victimes, sur une période allant de 1989 à 2014 (cf dépêche du 05/02/2025 à 18:40).

Joël Le Scouarnec avait été condamné à quatre mois de prison avec sursis en novembre 2005 par le tribunal correctionnel de Vannes pour détention et recel d'images pornographiques avec mineur, une peine qui n'avait pas été assortie d'une obligation de soins, rappelle-t-on.

Jean-Pierre Dupont McLean, 77 ans, directeur d'hôpital à la retraite, a dirigé l'hôpital de Pontivy (désormais intégré au CH du Centre Bretagne) de 2001 à 2013. Il a rencontré en personne Joël Le Scouarnec le jeudi 28 juin 2007 dans le cadre d'un entretien professionnel en vue de l'embauche de ce dernier pour pallier le départ d'un chirurgien viscéral. Il était dans un premier temps prévu un remplacement d'une semaine qui devait commencer le lundi suivant. Joël Le Scouarnec venait de quitter l'hôpital de Quimperlé (à présent dans le GH Bretagne Sud) en raison de la fermeture de son service de chirurgie.

Le vendredi, à 19 heures, Jean-Pierre Dupont McLean a reçu "un bref appel" du directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation (ARH, devenue ARS) sur un ton de "recommandation", "presque de confidence", lui expliquant avoir pris connaissance de sa volonté d'employer Joël Le Scouarnec et lui déconseillant de le faire. Il a révélé à Jean-Pierre Dupont McLean un "problème de consultation de fichiers pédopornographiques", sans toutefois faire référence à la condamnation en 2005.

Jean-Pierre Dupont McLean a assuré avoir congédié l'ex-chirurgien dès le lundi, avant qu'il commence le travail. "Je lui ai dit que j'avais appris ce qui s'était passé, qu'on ne ferait pas affaire ensemble". Il s'est dit furieux de ne pas avoir appris la condamnation de Joël Le Scouarnec autrement que par voie de presse, plus tard.

Le tribunal correctionnel "aurait dû assortir sa peine d'une interdiction d'exercice au moins partielle" en 2005, a considéré l'ancien directeur d'hôpital. Selon lui, le choix de la justice a "paralysé" les différentes autorités. "Le pénal l'emporte sur le civil et l'administratif", a-t-il avancé.

Il a considéré qu'une décision disciplinaire de l'ordre des médecins contre Joël Le Scouarnec en 2006 n'était "pas à l'abri d'un recours judiciaire gagnant" de l'ex-chirurgien, "pareil pour une décision du ministère" contre l'autorisation d'exercice de ce dernier.

L'ancien directeur a en outre estimé que la titularisation de l'ex-chirurgien en août 2006 avait été une "occasion manquée". Selon Jean-Pierre Dupont McLean, il aurait pu être mis en "position de recherche d'affectation" et continuer à être rémunéré sans exercer à partir de "l'élargissement" de ce dispositif aux praticiens en 2007.

Il a par ailleurs souligné qu'il n'avait pas demandé le "bulletin numéro 2" (casier judiciaire) de Joël Le Scouarnec, car l'urgence du remplacement était incompatible avec cette procédure dans les établissements de taille modeste.

Le directeur a appris quelques années plus tard que le médecin avait commis des violences sexuelles sur une mineure dans son établissement, durant un remplacement d'un week-end au premier semestre 2003.

L'attente d'une décision des autorités pour agir concrètement

Agé aujourd'hui de 60 ans, Jean-Marc Le Gac était chef des urgences à l'hôpital de Quimperlé, lorsque Joël Le Scouarnec y a exercé -notamment de 2004 à 2007 (cf dépêche du 28/02/2025 à 12:16). Il travaille actuellement à l'hôpital de Lorient.

De son point de vue, si la première condamnation à Vannes "avait donné lieu à une interdiction d'exercice, cela aurait réglé les choses rapidement". Il a lui aussi émis l'idée d'une "paralysie" du conseil départemental de l'ordre des médecins (CDOM) en raison de la décision de justice préalable. Cette paralysie s'est également retrouvée dans une certaine mesure au sein de son établissement, a-t-il pointé.

Jean-Marc Le Gac a exposé que le Dr Thierry Bonvalot, alors président de la commission médicale d'établissement (CME) de l'hôpital de Quimperlé et spécialisé en psychiatrie, lui avait confié ses craintes au sujet de Joël Le Scouarnec. Le président de la CME lui a fait part, le 12 juin 2006, de la condamnation de l'ex-chirurgien pour détention d'images pédopornographiques, apprise via un article de presse.

Thierry Bonvalot a en outre rapporté que l'ex-chirurgien, lors d'une appendicectomie sur un mineur, avait incisé une veine, provoquant un incident opératoire, et avait refusé ensuite de voir les parents de l'enfant. Selon Jean-Marc Le Gac, Thierry Bonvalot associait la condamnation de Joël Le Scouarnec à cet incident et estimait que le chirurgien ne devait plus opérer. Il avait demandé à Jean-Marc Le Gac d'agir auprès de son service dans cet objectif.

"Je n'avais pas d'autorité vis-à-vis [de Joël Le Scouarnec]" pour l'empêcher d'exercer, a souligné Jean-Marc Le Gac. "La seule chose que je pouvais faire était de contacter le CDOM du Finistère", a-t-il dit, en ajoutant qu'il n'était pas sûr à 100% des faits, sans compter la crainte en matière de déontologie de dénoncer un confrère.

Il a joint l'ordre le lendemain, le 13 juin, mentionnant la condamnation de l'ex-chirurgien et les inquiétudes sur son exercice. L'ordre lui a promis un retour dès le lendemain que l'ancien chef des urgences a affirmé n'avoir "jamais eu".

De son côté, Thierry Bonvalot a averti le directeur de l'hôpital, André Labat, décédé en 2013 (cf dépêche du 16/05/2013 à 15:37), mi-juin 2006, de la condamnation et de ses craintes concernant le chirurgien.

Jean-Marc le Gac a dit avoir été ensuite "plus vigilant" lorsque Joël Le Scouarnec venait consulter aux urgences, expliquant qu'il l'accompagnait dans ces cas-là.

L'ancien chef des urgences n'a toutefois pas prévenu les autres membres du service, expliquant qu'il n'y avait pas eu "d'information officielle" sur le praticien et que, dans l'attente d'une "décision administrative" et de "l'ordre", il n'avait "pas le droit de l'afficher".

Jean-Marc Le Gac a parlé avec "trois-quatre collaborateurs" de confiance de cette affaire "délicate". Il a évoqué "une discrétion" sur "une affaire qui nous échappait un peu", insistant sur l'attente d'une décision "de l'administration et du conseil de l'ordre". D'ailleurs, l'affaire concernant le chirurgien ne lui est pas "remontée" dans l'établissement, a-t-il ajouté, pointant l'absence de rumeurs.

Chacun était "paralysé par la réalité rapportée". Il est incertain que des confrères "auraient fait la même chose" que lui en avertissant l'ordre, a-t-il jugé.

"Il y avait un malaise, du non-dit", "il n'y avait pas de guide, pas de procédure claire", a évoqué l'ex-chef de service, regrettant le "manque de connaissances juridiques" et le fait qu'il "aurait été bien de mettre tout à plat".

Cette affaire "me hante en permanence", un "médecin est là pour soigner, pas pour confier des enfants à un prédateur", a-t-il pointé.

Interrogé par la présidente de la cour, Aude Buresi, sur l'éventualité de vérifier si l'ex-chirurgien avait des cassettes pédopornographiques dans sa chambre d'internat à l'hôpital, Jean-Marc Le Gac a répondu ne pas l'avoir envisagé, dans un rire nerveux.

Il a par ailleurs avoué ne pas avoir eu la notion de la forte probabilité de passage à l'acte d'une personne regardant des images pédopornographiques.

Avant cet événement, Jean-Marc Le Gac voyait en Joël Le Scouarnec un chirurgien "qualitatif" et "plutôt discret".

En parallèle, l'ex-chef des urgences s'est souvenu que le chirurgien siégeait à la commission de conciliation et avait défendu le Dr Mohammed Fréhat, un radiologue accusé alors de viol, faisant valoir que ce dernier était "méticuleux" dans ces gestes médicaux. Mohammed Fréhat, jugé devant la cour d'assises du Finistère, avait fui et quitté le pays.

Joël Le Scouarnec dit avoir trompé le directeur de l'hôpital de Quimperlé et le CDOM

Le CDOM du Finistère a finalement interrogé Joël Le Scouarnec, le 22 novembre 2006, trois mois après la titularisation de l'ex-chirurgien, pour discuter de sa condamnation de 2005. Le CDOM s'est prononcé plus tard à l'unanimité des praticiens de ses instances contre l'engagement de poursuites disciplinaires contre Joël Le Scouarnec.

Le chirurgien a prévenu tout de suite de cet entretien le directeur de l'hôpital de Quimperlé. Ce dernier, dans un courrier envoyé le 23 novembre à la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (Ddass, désormais intégrée à l'ARS) dont le contenu a été lu par un avocat des parties civiles, a fait valoir qu'il n'était pas au courant de la condamnation du chirurgien et a souligné son "sérieux", sa "compétence", ainsi que le fait qu'il avait permis de stabiliser l'activité de chirurgie.

Jean-Pierre Dupont McLean a concédé qu'André Labat avait pu faire primer l'intérêt de son établissement, tout en insistant que refaire l'histoire avec les éléments d'aujourd'hui "ne serait pas honnête".

Joël Le Scouarnec a assuré, après le passage des deux témoins, lundi, qu'il avait minimisé les faits auprès de l'ordre et du directeur de l'hôpital de Quimperlé, et les avoir "trompés" pour pouvoir "continuer [s]es actes". Il a toutefois concédé avoir été mis en difficulté sur la période de juin à novembre 2006. Il était alors "mal à l'aise" et a redoublé de prudence pour commettre viols et agressions sexuelles. Il a expliqué qu'une fois l'affaire tassée, cela avait "confirmé" son "sentiment d'impunité". Il a ajouté qu'il était conscient du risque d'être radié et interdit d'exercer, en novembre 2006.

Joël Le Scouarnec a confirmé que Thierry Bonvalot était bien venu le voir, en compagnie du "chef de service de la maternité", pour lui demander qu'un tiers l'accompagne durant les actes médicaux, mais l'ex-chirurgien a relaté que cela ne s'était pas mis en place.

Des manifestants ont appelé à agir pour "enrayer le cycle des violences sexuelles"

La manifestation devant le palais de justice de Vannes. Photo: Jean-Yves Paillé
La manifestation devant le palais de justice de Vannes. Photo: Jean-Yves Paillé

Une soixantaine de personnes ont manifesté devant le palais de justice de Vannes, lundi à midi, à l'appel d'un collectif comprenant entre autres le Syndicat de la médecine générale (SMG), le Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG), Pour une médecine engagée unie et féministe (PUM) et le Mouvement d'insoumission aux ordres professionnels (Miop), a constaté APMnews. Elles ont appelé à agir pour "enrayer le cycle des violences sexuelles".

Elles ont appelé à ce que chacun prenne ses responsabilités, "en soutenant les personnes victimes, en disant 'je te crois' à celles-ci", appelant à "agir face à cette parole entendue, ne pas l'invisibiliser ou la silencier, mais bien la faire exister". Le collectif a estimé que l'affaire Le Scouarnec "montre bien la déresponsabilisation coupable de la plupart des institutions", pointant notamment l'inaction du ministère de la santé et de l'ordre des médecins dans cette affaire.

Parmi les manifestants, des victimes de Joël Le Scouarnec étaient présentes. L'une d'elles a fait valoir que "ce procès, qualifié de hors norme, est en réalité le reflet d'un système où la culture du viol, la domination et la violence systémique envers les plus vulnérables est encore tolérée, voire protégée".

Elle a estimé que l'ex-chirurgien était "un homme parfaitement intégré dans une société défaillante qui autorise des médecins condamnés pour détention d'images pédopornographiques à continuer d'exercer", ce qui lui "a permis de perpétrer [ses] crimes à [sa] guise pendant plusieurs décennies, sans [être] nullement inquiété".

Une autre manifestation a eu lieu en parallèle à Paris.

jyp/nc/APMnews

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