Actualités de l'Urgence - APM

PROCÈS MEDIATOR*: UN CARDIOLOGUE EXPLIQUE LES DIFFÉRENCES ENTRE VALVULOPATHIES MÉDICAMENTEUSES ET RHUMATISMALES
Préférant le terme de "connaisseur" plutôt qu'expert, le Pr Iung a apporté son éclairage sur ce point qui a fait l'objet de controverse au cours de l'affaire, notamment lors des premiers dossiers examinés par le dispositif d'indemnisation (cf dépêche du 02/01/2014 à 17:26). Lors des débats au tribunal sur le rapport d'expertise scientifique, l'un des experts américains cités par Servier a relancé la discussion, avançant que les valvulopathies rhumatismales n'étaient pas rares en France, en raison des migrants asiatiques et africains (cf dépêche du 30/10/2019 à 13:43). Les experts judiciaires avaient balayé cette assertion (cf dépêche du 06/11/2019 à 18:38).
Le Pr Iung, qui n'a pas pu assister à ces échanges en tant que témoin cité à comparaître, a aussi confirmé "une quasi-disparition des rhumatismes articulaires aigus à présent en France", même s'il existe des cas chez des migrants venant d'Afrique subsaharienne ou d'Asie.
"Dans les pays industrialisés, cette maladie a diminué après la Seconde guerre mondiale avec la généralisation des antibiotiques pour traiter les angines et l'amélioration des conditions d'hygiène. Des cas ont pu persister car il faut plusieurs dizaines d'années entre les infections et le développement des lésions valvulaires, y compris chez les Français autochtones. Mais la probabilité d'une valvulopathie rhumatismale chez un Français autochtone de moins de 60 ans est assez faible."
Face à un cas de valvulopathie, "il est important de savoir dans quel pays le patient a vécu lorsqu'il était plus jeune. Un séjour en vacances ne suffit pas, il faut des infections répétées au streptocoque pendant l'enfance et l'adolescence. Il n'y a pas d'épidémie de valvulopathies rhumatismales dans un pays en particulier car le streptocoque est ubiquitaire. Même si on ne comprend pas encore totalement la pathogénie, le rhumatisme articulaire aigu est associé à la promiscuité, la pauvreté et le manque d'hygiène, un peu comme la tuberculose."
"Il faut l'âge du patient et son origine"
Faisant projeter une diapositive avec quatre photographies de valves cardiaques, la présidente du tribunal, Sylvie Daunis, a demandé au Pr Iung de commenter ces pièces opératoires prélevées chez des patients, et d'attribuer une maladie à chacune "juste pour avoir [son] avis de manière neutre", tout en reconnaissant les limites de l'exercice.
Le cardiologue a pointé sur l'une "des calcifications franchement étendues", évoquant davantage une valvulopathie rhumatismale, sur une autre "un épaississement un peu calcaire" et des signes "qui évoquent plutôt une forme rhumatismale". "Il existe des évolutions morphologiques, des formes transitionnelles. On ne peut pas exclure totalement une étiologie médicamenteuse, il faut l'âge du patient et son origine."
"La confusion est assez aisée entre les valvulopathies médicamenteuses et rhumatismales même pour la majorité des cardiologues aguerris." "Les lésions sous anorexigènes initialement décrites par la Mayo Clinic en 1997 correspondaient à des épaississement diffus, avec un aspect brillant, un peu nacré, à l'origine de fuites, mais d'autres travaux publiés ensuite par Christophe Tribouilloy (CHU d'Amiens) et Sylvestre Maréchaux (CHU de Lille) ont montré que la description initiale pouvait être prise en défaut, qu'il était possible d'avoir une fusion des commissures et un remaniement calcaire secondaire", a poursuivi le Pr Iung.
"La frontière était assez précise il y a 10 ans, elle est plus ténue maintenant. Cela reste un diagnostic de certitude difficile et on y verrait plus clair si on a l'âge et l'origine", a-t-il poursuivi. Il a également indiqué que les anatomopathologistes doivent avoir l'habitude et que l'interprétation des images d'échocardiographie est meilleure "maintenant qu'en 2009".
De manière générale, les valvulopathies médicamenteuses étaient "peu connues en France" avant les cas décrits aux Etats-Unis en 1997 et l'ont ensuite été davantage surtout avec les fenfluramines, a fait observer le cardiologue. Celui-ci a rappelé qu'il avait été sollicité par l'Afssaps (devenue l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé -ANSM) pour rédiger un rapport sur un risque associé avec un antiparkinsonien, le pergolide.
"La communauté cardiologique était très peu alertée de ce risque. L'analyse morphologique par échocardiographie n'est pas une pratique courante avant la fin des années 1980... Même avec une imagerie performante, il est possible que dans les années 1980-1990, des cas de valvulopathie médicamenteuse aient été attribués à des rhumatismes articulaires aigus alors que cette étiologie était déclinante mais que les cardiologues avaient encore en tête."
Le Pr Iung a par ailleurs été interrogé sur l'évolution des lésions minimes qui, en l'absence d'échocardiographie, ne sont pas détectées car non symptomatiques. "On ne peut pas dire qu'elles resteront ainsi toute une vie. Le potentiel évolutif vers des stades plus sévères n'est pas encore totalement connu."
"Mon attention a été attirée par ce suffixe -orex"
Interrogé sur le Pr Jean Acar, cardiologue retraité qui a critiqué le nombre de décès attribués à Mediator* (cf APM BOAI001), le Pr Iung a rappelé qu'il avait été son "maître" jusqu'à sa retraite en 1994. "Il est d'une génération où les valvulopathies rhumatismales sont dominantes", a-t-il expliqué, réfutant qu'il en soit "le tenant". "Il avait été marqué par cette époque mais avait décrit l'émergence des valvulopathies dégénératives au début des années 1990."
Lors de sa déclaration liminaire, le cardiologue parisien a aussi relaté le jour où, pour la première fois, son "attention a été attirée sur un possible lien entre valvulopathie et Mediator* chez un patient vu à Bichat, en 2008". Il avait "une double valvulopathie présumée rhumatismale mais présentait des atypies à l'examen échocardiographique, qui ressemblaient davantage aux lésions sous anorexigènes décrites dans des publications américaines à la fin des années 1990".
"Je m'y étais intéressé comme médecin qui prend en charge des valvulopathies. Après enquête médicamenteuse, il est apparu qu'il recevait un traitement par benfluorex et mon attention a été attirée par ce suffixe -orex comme une autre anorexigène", a-t-il ajouté sans donner de nom mais faisant probablement référence à l'aminorex. Ce coupe-faim avait été à l'origine d'une épidémie d'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) à la fin des années 1960 avant d'être retiré des marchés suisse, allemand et autrichien.
Répondant à la procureure, le Pr Iung a estimé qu'il revenait à Servier d'évaluer le risque de valvulopathie de Mediator* en raison de la parenté avec les fenfluramines. "A priori, s'il connaît la parenté métabolique, c'est le laboratoire qui a la connaissance la plus précise de son médicament, de sa chimie, notion que l'on n'a pas en tant que cardiologue."
Le Pr Iung a par ailleurs été interrogé sur sa présentation à l'Afssaps en juillet 2009 de son analyse de 45 cas de valvulopathie, réalisée à la demande de Servier. Une diapositive de conclusion avait été ajoutée par le laboratoire la veille de cette communication et avait été interprétée comme une prise de position de sa part en faveur de la poursuite de commercialisation de Mediator*. Le cardiologue a indiqué qu'il n'avait pas à s'exprimer sur le bénéfice-risque et a reconnu avoir "manqué de vigilance", ce qu'il avait déjà exprimé dans la presse en janvier 2011 (cf dépêche du 13/01/2011 à 09:31 et dépêche du 13/01/2011 à 16:49).
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PROCÈS MEDIATOR*: UN CARDIOLOGUE EXPLIQUE LES DIFFÉRENCES ENTRE VALVULOPATHIES MÉDICAMENTEUSES ET RHUMATISMALES
Préférant le terme de "connaisseur" plutôt qu'expert, le Pr Iung a apporté son éclairage sur ce point qui a fait l'objet de controverse au cours de l'affaire, notamment lors des premiers dossiers examinés par le dispositif d'indemnisation (cf dépêche du 02/01/2014 à 17:26). Lors des débats au tribunal sur le rapport d'expertise scientifique, l'un des experts américains cités par Servier a relancé la discussion, avançant que les valvulopathies rhumatismales n'étaient pas rares en France, en raison des migrants asiatiques et africains (cf dépêche du 30/10/2019 à 13:43). Les experts judiciaires avaient balayé cette assertion (cf dépêche du 06/11/2019 à 18:38).
Le Pr Iung, qui n'a pas pu assister à ces échanges en tant que témoin cité à comparaître, a aussi confirmé "une quasi-disparition des rhumatismes articulaires aigus à présent en France", même s'il existe des cas chez des migrants venant d'Afrique subsaharienne ou d'Asie.
"Dans les pays industrialisés, cette maladie a diminué après la Seconde guerre mondiale avec la généralisation des antibiotiques pour traiter les angines et l'amélioration des conditions d'hygiène. Des cas ont pu persister car il faut plusieurs dizaines d'années entre les infections et le développement des lésions valvulaires, y compris chez les Français autochtones. Mais la probabilité d'une valvulopathie rhumatismale chez un Français autochtone de moins de 60 ans est assez faible."
Face à un cas de valvulopathie, "il est important de savoir dans quel pays le patient a vécu lorsqu'il était plus jeune. Un séjour en vacances ne suffit pas, il faut des infections répétées au streptocoque pendant l'enfance et l'adolescence. Il n'y a pas d'épidémie de valvulopathies rhumatismales dans un pays en particulier car le streptocoque est ubiquitaire. Même si on ne comprend pas encore totalement la pathogénie, le rhumatisme articulaire aigu est associé à la promiscuité, la pauvreté et le manque d'hygiène, un peu comme la tuberculose."
"Il faut l'âge du patient et son origine"
Faisant projeter une diapositive avec quatre photographies de valves cardiaques, la présidente du tribunal, Sylvie Daunis, a demandé au Pr Iung de commenter ces pièces opératoires prélevées chez des patients, et d'attribuer une maladie à chacune "juste pour avoir [son] avis de manière neutre", tout en reconnaissant les limites de l'exercice.
Le cardiologue a pointé sur l'une "des calcifications franchement étendues", évoquant davantage une valvulopathie rhumatismale, sur une autre "un épaississement un peu calcaire" et des signes "qui évoquent plutôt une forme rhumatismale". "Il existe des évolutions morphologiques, des formes transitionnelles. On ne peut pas exclure totalement une étiologie médicamenteuse, il faut l'âge du patient et son origine."
"La confusion est assez aisée entre les valvulopathies médicamenteuses et rhumatismales même pour la majorité des cardiologues aguerris." "Les lésions sous anorexigènes initialement décrites par la Mayo Clinic en 1997 correspondaient à des épaississement diffus, avec un aspect brillant, un peu nacré, à l'origine de fuites, mais d'autres travaux publiés ensuite par Christophe Tribouilloy (CHU d'Amiens) et Sylvestre Maréchaux (CHU de Lille) ont montré que la description initiale pouvait être prise en défaut, qu'il était possible d'avoir une fusion des commissures et un remaniement calcaire secondaire", a poursuivi le Pr Iung.
"La frontière était assez précise il y a 10 ans, elle est plus ténue maintenant. Cela reste un diagnostic de certitude difficile et on y verrait plus clair si on a l'âge et l'origine", a-t-il poursuivi. Il a également indiqué que les anatomopathologistes doivent avoir l'habitude et que l'interprétation des images d'échocardiographie est meilleure "maintenant qu'en 2009".
De manière générale, les valvulopathies médicamenteuses étaient "peu connues en France" avant les cas décrits aux Etats-Unis en 1997 et l'ont ensuite été davantage surtout avec les fenfluramines, a fait observer le cardiologue. Celui-ci a rappelé qu'il avait été sollicité par l'Afssaps (devenue l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé -ANSM) pour rédiger un rapport sur un risque associé avec un antiparkinsonien, le pergolide.
"La communauté cardiologique était très peu alertée de ce risque. L'analyse morphologique par échocardiographie n'est pas une pratique courante avant la fin des années 1980... Même avec une imagerie performante, il est possible que dans les années 1980-1990, des cas de valvulopathie médicamenteuse aient été attribués à des rhumatismes articulaires aigus alors que cette étiologie était déclinante mais que les cardiologues avaient encore en tête."
Le Pr Iung a par ailleurs été interrogé sur l'évolution des lésions minimes qui, en l'absence d'échocardiographie, ne sont pas détectées car non symptomatiques. "On ne peut pas dire qu'elles resteront ainsi toute une vie. Le potentiel évolutif vers des stades plus sévères n'est pas encore totalement connu."
"Mon attention a été attirée par ce suffixe -orex"
Interrogé sur le Pr Jean Acar, cardiologue retraité qui a critiqué le nombre de décès attribués à Mediator* (cf APM BOAI001), le Pr Iung a rappelé qu'il avait été son "maître" jusqu'à sa retraite en 1994. "Il est d'une génération où les valvulopathies rhumatismales sont dominantes", a-t-il expliqué, réfutant qu'il en soit "le tenant". "Il avait été marqué par cette époque mais avait décrit l'émergence des valvulopathies dégénératives au début des années 1990."
Lors de sa déclaration liminaire, le cardiologue parisien a aussi relaté le jour où, pour la première fois, son "attention a été attirée sur un possible lien entre valvulopathie et Mediator* chez un patient vu à Bichat, en 2008". Il avait "une double valvulopathie présumée rhumatismale mais présentait des atypies à l'examen échocardiographique, qui ressemblaient davantage aux lésions sous anorexigènes décrites dans des publications américaines à la fin des années 1990".
"Je m'y étais intéressé comme médecin qui prend en charge des valvulopathies. Après enquête médicamenteuse, il est apparu qu'il recevait un traitement par benfluorex et mon attention a été attirée par ce suffixe -orex comme une autre anorexigène", a-t-il ajouté sans donner de nom mais faisant probablement référence à l'aminorex. Ce coupe-faim avait été à l'origine d'une épidémie d'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) à la fin des années 1960 avant d'être retiré des marchés suisse, allemand et autrichien.
Répondant à la procureure, le Pr Iung a estimé qu'il revenait à Servier d'évaluer le risque de valvulopathie de Mediator* en raison de la parenté avec les fenfluramines. "A priori, s'il connaît la parenté métabolique, c'est le laboratoire qui a la connaissance la plus précise de son médicament, de sa chimie, notion que l'on n'a pas en tant que cardiologue."
Le Pr Iung a par ailleurs été interrogé sur sa présentation à l'Afssaps en juillet 2009 de son analyse de 45 cas de valvulopathie, réalisée à la demande de Servier. Une diapositive de conclusion avait été ajoutée par le laboratoire la veille de cette communication et avait été interprétée comme une prise de position de sa part en faveur de la poursuite de commercialisation de Mediator*. Le cardiologue a indiqué qu'il n'avait pas à s'exprimer sur le bénéfice-risque et a reconnu avoir "manqué de vigilance", ce qu'il avait déjà exprimé dans la presse en janvier 2011 (cf dépêche du 13/01/2011 à 09:31 et dépêche du 13/01/2011 à 16:49).
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