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22/09 2023
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RÉFORME DES SOINS CRITIQUES: QUELLES DIFFICULTÉS ET COMMENT S'Y PRÉPARER, DU POINT DE VUE DES ANESTHÉSISTES-RÉANIMATEURS

(Par Carole DEBRAY, au congrès de la Sfar)

PARIS, 22 septembre 2023 (APMnews) - Des difficultés potentielles d'application de la réforme des autorisations en soins critiques, entrée en vigueur en juin, ont été présentées par des intervenants au congrès de la Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar) lors d'une session spécifique mercredi, ainsi que des préconisations pour les anticiper.

Les décrets d'application de la réforme des autorisations de soins critiques, parus en avril 2022 (cf dépêche du 27/04/2022 à 13:39 et dépêche du 27/04/2022 à 18:01), apportent comme modifications majeures l'élargissement du périmètre d'autorisation au champ des soins critiques et le regroupement des lits pour disposer de plateaux de taille suffisante; la requalification des unités de surveillance continue (USC) isolées d'une réanimation en unités de soins renforcées hors du champ des soins critiques; la transformation des USC adossées en unités de soins intensifs polyvalents (Usip) contiguës; et le renforcement de la territorialisation de l'offre de soins critiques, a rappelé le Pr Olivier Joannes-Boyau, chef du pôle anesthésie-réanimation au CHU de Bordeaux.

Les unités de soins critiques adultes se décomposeront désormais en trois catégories, correspondant à cinq mentions d'autorisation: réanimation et soins intensifs, soins intensifs polyvalents dérogatoires, soins intensifs de spécialité (trois mentions: USI de cardiologie, USI de neurologie vasculaire, USI d'hématologie, sur des sites avec ou sans réanimation adulte).

Des USI de spécialité non contiguës pourront être autorisées pour les SI de néphrologie, respiratoires, d'hépato-gastroentérologie (une nouveauté) et de cardiologie pédiatrique, à condition d'être implantées sur un site avec réanimation adulte.

Des objectifs qualitatifs et quantitatifs de l'offre de soins ont été définis. Dans les nouveaux décrets, la DGOS a beaucoup insisté pour qu'il y ait des obligations qui soient renforcées, que les établissements s'assurent de respecter, a souligné Arnaud Foucrier, anesthésiste-réanimateur à l'hôpital Beaujon (Paris, AP-HP) et référent soins critiques à l'agence régionale de santé (ARS) Ile-de-France. Il est impliqué dans l'accompagnement des différentes structures de la région, sur le travail de traduction de ces décrets et l'élaboration du projet régional de santé (PRS).

Ces obligations renforcées sont le fait de disposer d'un outil de gestion médicale des lits, d'outils numériques nécessaires à la télésanté, d'un dossier patient numérisé adapté à l'organisation des soins critiques, d'un plan de flexibilité de l'organisation, du capacitaire et des ressources humaines, d'une organisation formalisée pour la prise en charge à titre exceptionnel et temporaire des patients de moins de 18 ans en soins critiques adultes, et d'un plan de formation aux soins de réanimation avec une période de formation de huit semaines pour les infirmiers arrivant.

Concernant les deux mentions adultes (réa et soins intensifs, soins intensifs polyvalents dérogatoires), qui regrouperont selon lui le principal de l'offre de soins critiques, Arnaud Foucrier a souligné les difficultés potentielles en fonction des types d'établissement.

Des structures qui n'atteignaient pas les objectifs antérieurs et encore moins les nouvelles dispositions

L'offre capacitaire actuelle est majoritairement concentrée dans le public pour la réanimation, tandis que la répartition est plus équilibrée pour les USC entre public et privé. Les établissements privés ont plus de lits d'USC que les Espic, et en ont plus que de lits de réanimation. Cela s'explique par le type d'activité et les typologies de séjour enregistrés dans les actuelles USC. Au niveau national, il y a un équilibre entre séjours chirurgicaux et séjours médicaux. Les USC isolées prennent majoritairement les séjours de type chirurgical, avec une différence accrue dans le privé par rapport au public.

Selon une étude d'impact initiée par l'AP-HP et élargie à l'ensemble des établissements de la région, invités à se positionner vis-à-vis de dispositions prévues dans les décrets et d'indiquer s'ils étaient en mesure de pouvoir les satisfaire complètement, les établissements n'étaient déjà pas tous à 100% d'atteinte des obligations antérieures à la parution des nouveaux décrets, a rapporté Arnaud Foucrier.

Pour les nouvelles obligations, "les établissements ne sont pas non plus dans un degré d'atteinte de 100%, il est inférieur, avec des disparités inter-types d'établissements: les Espic sont dans des degrés d'atteinte plus favorables vis-à-vis des nouvelles obligations", en particulier pour les ressources humaines (RH).

Pour la mention soins intensifs polyvalents dérogatoires, les obligations antérieures ne sont pas atteintes à 100% concernant les locaux/équipements et l'organisation de soins, et encore moins vis-à-vis des nouvelles obligations, avec des différences entre les types d'établissements, notamment sur l'organisation des soins: les établissements publics semblent être plus en mesure d'atteindre les nouvelles obligations que les établissements de privés ou Espic; c'est le même constat pour les RH.

Les sources de difficultés concernent en particulier l'informatisation de la gestion des lits, la numérisation des activités médicales, les contraintes architecturales (de nombreux établissements sont anciens, la superficie des chambres n'est pas forcément tout à fait conforme, il existe encore quelques établissements avec des chambres doubles), la participation à la filière de soins critiques pédiatriques, la qualification des médecins, la coordination médicale qui n'est pas toujours présente ou en tout cas bien intégrée au sein des équipes de certains types d'établissement, le fait d'avoir du personnel paramédical dévolu, ou encore la formation des équipes paramédicales.

Un état des lieux réalisé en 2020 sur le taux d'informatisation du dossier médical a montré qu'il était faible en réanimation, le plus haut pourcentage atteint (34%) concernant les "gros" établissements ayant un budget supérieur à 70 millions d'euros, a-t-il noté.

Par ailleurs, "il faudra qu'on parle des unités de surveillance post-interventionnelle qui, dans certaines régions, notamment en Ile-de-France, participent à l'activité de soins critiques de recours, et qui permettent en cas de situation exceptionnelle notamment de pouvoir absorber cette augmentation, ce surcroît d'activité de réanimation. Il y a donc de la réflexion encore à mener sur le cadre dans lequel s'exerce l'activité de soins critiques dans ces SSPI", a-t-il souligné.

Préparer les ratios soignants/lits en soins intensifs

L'un des points importants à préparer concerne les objectifs de ratios soignants/lits, particulièrement en soins intensifs, car ces ratios n'étaient pas écrits auparavant pour les USC (transformées pour partie en Usip), alors que c'était déjà le cas pour les réanimations, a pointé le Pr Joannes-Boyau.

"Quand on a un peu regardé ce qui se passe à droite à gauche, c'est tout et n'importe quoi. Cela va d’une infirmière pour huit parfois 10 malades (dans les SI de petites structures surtout), plus ou moins une aide-soignante (il n'y en a pas toujours), à une infirmière pour quatre ou cinq dans certains endroits, mais c'est assez rare".

Dans les grosses structures où il y a déjà une réanimation, des soins continus qui sont associés à la réanimation, "on a souvent plutôt un ratio d'une infirmière pour cinq malades".

"C'est là que ça va se jouer. Il va y avoir deux problèmes: il va falloir passer à un pour quatre, or la plupart des réanimations qui ont été construites dans les 15 dernières années l'ont souvent été avec des modules de cinq lits ou sur des architectures de cinq lits", puisqu'auparavant le ratio était fixé à deux infirmières pour cinq malades.

"Les directions pourraient nous inventer des systèmes pour avoir un lissage sur l'année d’une pour quatre et dans l'état elles seraient une pour cinq. Donc il va falloir être extrêmement vigilant, car il ne faut pas un lissage dans l'année, il faut que sur le terrain il y ait une infirmière qui s'occupe de quatre patients, et pas de cinq", a-t-il prévenu.

"Chez nous par exemple, il y a une réanimation de sept modules de cinq lits, soit 35 lits. Il va falloir avoir des infirmières peut-être de couloir ou autre qui puissent aller aux différents endroits. C'est là-dessus qu'il va falloir être assez vigilant".

Par ailleurs, un kiné existait déjà dans beaucoup d'endroits, mais il est désormais bien spécifié qu'il doit être présent sept jours sur sept.

"Le psychologue, lui, manque dans un très grand nombre de structures de soins critiques. Il est obligatoire en réanimation, facultatif en Usip. Les Usip auront donc du mal à négocier avec les directions pour avoir un psychologue même s'il est spécifié qu'il est bien d'en avoir un. Il va donc falloir trouver des ETP de psychologue".

Quid des ratios de médecins

Les ratios de médecins ont été évoqués lors de la session, mais "ce n'est pas dans le texte". Les décrets fixent seulement un minimum de deux médecins et de 10 lits pour l'ouverture d'une nouvelle réanimation.

Des discussions ont toutefois lieu actuellement au sein des instances, les médecins intensivistes réanimateurs (MIR) essayant d'obtenir un ratio médical par patient ou par lit ouvert, a-t-il rapporté. "Seules deux études traitent vraiment de ça dans la littérature. Aux USA, ils trouvent un ratio optimal d’un médecin pour sept malades pour une mortalité hospitalière minimale. Une autre étude, anglaise, mettait le ratio un peu plus haut. Mais les organisations dans ces pays anglo-saxons sont un peu différentes", a-t-il souligné.

"Là, la discussion va être majeure (...) Les MIR veulent un ratio très bas -actuellement on entend comme chiffre un médecin pour 1,7 à deux malades. Cela part du fait qu'ils veulent augmenter leurs internes et le nombre de médecins dans les réanimations".

"Les structures privées avec lesquelles on discute ne peuvent pas tenir des ratios d’un pour six. Ce n'est pas rentable tant qu'il n'y a pas la rediscussion de négociation des forfaits réanimation et unités de soins intensifs. Donc il y a une bataille qui va s'engager, je ne sais pas si le législateur va trancher cette question, à mon avis non car les enjeux sont beaucoup trop importants, mais la bagarre va faire rage dans les prochains mois et années", présage-t-il.

Des hôpitaux ont toutefois plus ou moins identifié des ratios médicaux. "A Bordeaux, par exemple, on est parti pour un médecin pour six lits, pour globalement réa et soins continus. Ce serait plutôt un pour 5-6 pour la réanimation et plutôt un pour 8-10 pour les soins continus".

La question de la nuit se pose aussi, alors que l'activité est moindre pour les médecins. "En fonction des établissements, il y a parfois un médecin pour 20 malades la nuit, un pour 25, deux pour 20... Les discussions vont donc là aussi aller bon train dans les prochains mois". Mais il est d'avis qu'il n'en sortira "pas grand-chose vu les enjeux" et les manques de personnels médicaux autant que paramédicaux.

Par ailleurs, "toute l'informatisation est notée dans le décret, et on est très loin de ce qui est demandé, que ce soit la gestion informatisée des lits, les outils numériques avec notamment le dossier patient numérisé et le dossier patient informatisé adapté à l'organisation des soins critiques: pas mal de réanimations commencent à l'avoir, beaucoup de petites Usip ne l'ont pas, notamment dans les centres plus petits qui n'ont pas de réa. Cela coûte très cher et il va y avoir des gros freins de la part des directions", prévoit-il.

Un point très important, ce sont les huit semaines de formation pour les infirmiers. "Ils sont marqués dans le décret et on essaie déjà de nous expliquer qu'on peut les mettre en poste en les surveillant un peu pendant huit semaines…". "Non. Huit semaines de formation, [cela signifie qu']ils ne sont pas dans le roulement, pendant huit semaines".

"Il va donc falloir intégrer dans les maquettes, avec un taux de rotation en réanimation qui est d'à peu près 15 à 20% par an, qu'on a des nouveaux arrivants qui arrivent en poste mais qui ne seront pas opérationnels avant huit semaines. Que fait-on pendant ces huit semaines? Ça va être obligatoirement du tutorat et de l'apprentissage sur le terrain, mais aussi du e-learning, voire de la simulation".

La DGOS a recommandé un délai cinq ans pour les ratios infirmiers. "Inutile de dire que [les directeurs d'établissement] vont traîner les pieds. On ne va pas avoir tout de suite les ratios qu'on demande". De même, un délai de deux ans est prévu pour la contiguïté du plateau de soins critiques (proximité immédiate de l'Usip (ex-USC)), mais avec une souplesse additionnelle jusqu'à sept ans.

En outre, la DGOS recommande un objectif de taux d'occupation de 80% des lits d'une unité de soins critiques, nécessaire à la fluidité de gestion des patients entrant et sortant et à l'accueil H24. "Or la plupart se basent sur 85%, ils ne veulent pas entendre ça. Et il est normal d'avoir tout le personnel pour faire tourner à 100%, même si on a un taux d'occupation à 80%, d'abord pour pouvoir absorber les crises et pour pouvoir absorber les formations, continues ou des nouveaux arrivants", martèle-t-il.

cd/sl/APMnews

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(Par Carole DEBRAY, au congrès de la Sfar)

PARIS, 22 septembre 2023 (APMnews) - Des difficultés potentielles d'application de la réforme des autorisations en soins critiques, entrée en vigueur en juin, ont été présentées par des intervenants au congrès de la Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar) lors d'une session spécifique mercredi, ainsi que des préconisations pour les anticiper.

Les décrets d'application de la réforme des autorisations de soins critiques, parus en avril 2022 (cf dépêche du 27/04/2022 à 13:39 et dépêche du 27/04/2022 à 18:01), apportent comme modifications majeures l'élargissement du périmètre d'autorisation au champ des soins critiques et le regroupement des lits pour disposer de plateaux de taille suffisante; la requalification des unités de surveillance continue (USC) isolées d'une réanimation en unités de soins renforcées hors du champ des soins critiques; la transformation des USC adossées en unités de soins intensifs polyvalents (Usip) contiguës; et le renforcement de la territorialisation de l'offre de soins critiques, a rappelé le Pr Olivier Joannes-Boyau, chef du pôle anesthésie-réanimation au CHU de Bordeaux.

Les unités de soins critiques adultes se décomposeront désormais en trois catégories, correspondant à cinq mentions d'autorisation: réanimation et soins intensifs, soins intensifs polyvalents dérogatoires, soins intensifs de spécialité (trois mentions: USI de cardiologie, USI de neurologie vasculaire, USI d'hématologie, sur des sites avec ou sans réanimation adulte).

Des USI de spécialité non contiguës pourront être autorisées pour les SI de néphrologie, respiratoires, d'hépato-gastroentérologie (une nouveauté) et de cardiologie pédiatrique, à condition d'être implantées sur un site avec réanimation adulte.

Des objectifs qualitatifs et quantitatifs de l'offre de soins ont été définis. Dans les nouveaux décrets, la DGOS a beaucoup insisté pour qu'il y ait des obligations qui soient renforcées, que les établissements s'assurent de respecter, a souligné Arnaud Foucrier, anesthésiste-réanimateur à l'hôpital Beaujon (Paris, AP-HP) et référent soins critiques à l'agence régionale de santé (ARS) Ile-de-France. Il est impliqué dans l'accompagnement des différentes structures de la région, sur le travail de traduction de ces décrets et l'élaboration du projet régional de santé (PRS).

Ces obligations renforcées sont le fait de disposer d'un outil de gestion médicale des lits, d'outils numériques nécessaires à la télésanté, d'un dossier patient numérisé adapté à l'organisation des soins critiques, d'un plan de flexibilité de l'organisation, du capacitaire et des ressources humaines, d'une organisation formalisée pour la prise en charge à titre exceptionnel et temporaire des patients de moins de 18 ans en soins critiques adultes, et d'un plan de formation aux soins de réanimation avec une période de formation de huit semaines pour les infirmiers arrivant.

Concernant les deux mentions adultes (réa et soins intensifs, soins intensifs polyvalents dérogatoires), qui regrouperont selon lui le principal de l'offre de soins critiques, Arnaud Foucrier a souligné les difficultés potentielles en fonction des types d'établissement.

Des structures qui n'atteignaient pas les objectifs antérieurs et encore moins les nouvelles dispositions

L'offre capacitaire actuelle est majoritairement concentrée dans le public pour la réanimation, tandis que la répartition est plus équilibrée pour les USC entre public et privé. Les établissements privés ont plus de lits d'USC que les Espic, et en ont plus que de lits de réanimation. Cela s'explique par le type d'activité et les typologies de séjour enregistrés dans les actuelles USC. Au niveau national, il y a un équilibre entre séjours chirurgicaux et séjours médicaux. Les USC isolées prennent majoritairement les séjours de type chirurgical, avec une différence accrue dans le privé par rapport au public.

Selon une étude d'impact initiée par l'AP-HP et élargie à l'ensemble des établissements de la région, invités à se positionner vis-à-vis de dispositions prévues dans les décrets et d'indiquer s'ils étaient en mesure de pouvoir les satisfaire complètement, les établissements n'étaient déjà pas tous à 100% d'atteinte des obligations antérieures à la parution des nouveaux décrets, a rapporté Arnaud Foucrier.

Pour les nouvelles obligations, "les établissements ne sont pas non plus dans un degré d'atteinte de 100%, il est inférieur, avec des disparités inter-types d'établissements: les Espic sont dans des degrés d'atteinte plus favorables vis-à-vis des nouvelles obligations", en particulier pour les ressources humaines (RH).

Pour la mention soins intensifs polyvalents dérogatoires, les obligations antérieures ne sont pas atteintes à 100% concernant les locaux/équipements et l'organisation de soins, et encore moins vis-à-vis des nouvelles obligations, avec des différences entre les types d'établissements, notamment sur l'organisation des soins: les établissements publics semblent être plus en mesure d'atteindre les nouvelles obligations que les établissements de privés ou Espic; c'est le même constat pour les RH.

Les sources de difficultés concernent en particulier l'informatisation de la gestion des lits, la numérisation des activités médicales, les contraintes architecturales (de nombreux établissements sont anciens, la superficie des chambres n'est pas forcément tout à fait conforme, il existe encore quelques établissements avec des chambres doubles), la participation à la filière de soins critiques pédiatriques, la qualification des médecins, la coordination médicale qui n'est pas toujours présente ou en tout cas bien intégrée au sein des équipes de certains types d'établissement, le fait d'avoir du personnel paramédical dévolu, ou encore la formation des équipes paramédicales.

Un état des lieux réalisé en 2020 sur le taux d'informatisation du dossier médical a montré qu'il était faible en réanimation, le plus haut pourcentage atteint (34%) concernant les "gros" établissements ayant un budget supérieur à 70 millions d'euros, a-t-il noté.

Par ailleurs, "il faudra qu'on parle des unités de surveillance post-interventionnelle qui, dans certaines régions, notamment en Ile-de-France, participent à l'activité de soins critiques de recours, et qui permettent en cas de situation exceptionnelle notamment de pouvoir absorber cette augmentation, ce surcroît d'activité de réanimation. Il y a donc de la réflexion encore à mener sur le cadre dans lequel s'exerce l'activité de soins critiques dans ces SSPI", a-t-il souligné.

Préparer les ratios soignants/lits en soins intensifs

L'un des points importants à préparer concerne les objectifs de ratios soignants/lits, particulièrement en soins intensifs, car ces ratios n'étaient pas écrits auparavant pour les USC (transformées pour partie en Usip), alors que c'était déjà le cas pour les réanimations, a pointé le Pr Joannes-Boyau.

"Quand on a un peu regardé ce qui se passe à droite à gauche, c'est tout et n'importe quoi. Cela va d’une infirmière pour huit parfois 10 malades (dans les SI de petites structures surtout), plus ou moins une aide-soignante (il n'y en a pas toujours), à une infirmière pour quatre ou cinq dans certains endroits, mais c'est assez rare".

Dans les grosses structures où il y a déjà une réanimation, des soins continus qui sont associés à la réanimation, "on a souvent plutôt un ratio d'une infirmière pour cinq malades".

"C'est là que ça va se jouer. Il va y avoir deux problèmes: il va falloir passer à un pour quatre, or la plupart des réanimations qui ont été construites dans les 15 dernières années l'ont souvent été avec des modules de cinq lits ou sur des architectures de cinq lits", puisqu'auparavant le ratio était fixé à deux infirmières pour cinq malades.

"Les directions pourraient nous inventer des systèmes pour avoir un lissage sur l'année d’une pour quatre et dans l'état elles seraient une pour cinq. Donc il va falloir être extrêmement vigilant, car il ne faut pas un lissage dans l'année, il faut que sur le terrain il y ait une infirmière qui s'occupe de quatre patients, et pas de cinq", a-t-il prévenu.

"Chez nous par exemple, il y a une réanimation de sept modules de cinq lits, soit 35 lits. Il va falloir avoir des infirmières peut-être de couloir ou autre qui puissent aller aux différents endroits. C'est là-dessus qu'il va falloir être assez vigilant".

Par ailleurs, un kiné existait déjà dans beaucoup d'endroits, mais il est désormais bien spécifié qu'il doit être présent sept jours sur sept.

"Le psychologue, lui, manque dans un très grand nombre de structures de soins critiques. Il est obligatoire en réanimation, facultatif en Usip. Les Usip auront donc du mal à négocier avec les directions pour avoir un psychologue même s'il est spécifié qu'il est bien d'en avoir un. Il va donc falloir trouver des ETP de psychologue".

Quid des ratios de médecins

Les ratios de médecins ont été évoqués lors de la session, mais "ce n'est pas dans le texte". Les décrets fixent seulement un minimum de deux médecins et de 10 lits pour l'ouverture d'une nouvelle réanimation.

Des discussions ont toutefois lieu actuellement au sein des instances, les médecins intensivistes réanimateurs (MIR) essayant d'obtenir un ratio médical par patient ou par lit ouvert, a-t-il rapporté. "Seules deux études traitent vraiment de ça dans la littérature. Aux USA, ils trouvent un ratio optimal d’un médecin pour sept malades pour une mortalité hospitalière minimale. Une autre étude, anglaise, mettait le ratio un peu plus haut. Mais les organisations dans ces pays anglo-saxons sont un peu différentes", a-t-il souligné.

"Là, la discussion va être majeure (...) Les MIR veulent un ratio très bas -actuellement on entend comme chiffre un médecin pour 1,7 à deux malades. Cela part du fait qu'ils veulent augmenter leurs internes et le nombre de médecins dans les réanimations".

"Les structures privées avec lesquelles on discute ne peuvent pas tenir des ratios d’un pour six. Ce n'est pas rentable tant qu'il n'y a pas la rediscussion de négociation des forfaits réanimation et unités de soins intensifs. Donc il y a une bataille qui va s'engager, je ne sais pas si le législateur va trancher cette question, à mon avis non car les enjeux sont beaucoup trop importants, mais la bagarre va faire rage dans les prochains mois et années", présage-t-il.

Des hôpitaux ont toutefois plus ou moins identifié des ratios médicaux. "A Bordeaux, par exemple, on est parti pour un médecin pour six lits, pour globalement réa et soins continus. Ce serait plutôt un pour 5-6 pour la réanimation et plutôt un pour 8-10 pour les soins continus".

La question de la nuit se pose aussi, alors que l'activité est moindre pour les médecins. "En fonction des établissements, il y a parfois un médecin pour 20 malades la nuit, un pour 25, deux pour 20... Les discussions vont donc là aussi aller bon train dans les prochains mois". Mais il est d'avis qu'il n'en sortira "pas grand-chose vu les enjeux" et les manques de personnels médicaux autant que paramédicaux.

Par ailleurs, "toute l'informatisation est notée dans le décret, et on est très loin de ce qui est demandé, que ce soit la gestion informatisée des lits, les outils numériques avec notamment le dossier patient numérisé et le dossier patient informatisé adapté à l'organisation des soins critiques: pas mal de réanimations commencent à l'avoir, beaucoup de petites Usip ne l'ont pas, notamment dans les centres plus petits qui n'ont pas de réa. Cela coûte très cher et il va y avoir des gros freins de la part des directions", prévoit-il.

Un point très important, ce sont les huit semaines de formation pour les infirmiers. "Ils sont marqués dans le décret et on essaie déjà de nous expliquer qu'on peut les mettre en poste en les surveillant un peu pendant huit semaines…". "Non. Huit semaines de formation, [cela signifie qu']ils ne sont pas dans le roulement, pendant huit semaines".

"Il va donc falloir intégrer dans les maquettes, avec un taux de rotation en réanimation qui est d'à peu près 15 à 20% par an, qu'on a des nouveaux arrivants qui arrivent en poste mais qui ne seront pas opérationnels avant huit semaines. Que fait-on pendant ces huit semaines? Ça va être obligatoirement du tutorat et de l'apprentissage sur le terrain, mais aussi du e-learning, voire de la simulation".

La DGOS a recommandé un délai cinq ans pour les ratios infirmiers. "Inutile de dire que [les directeurs d'établissement] vont traîner les pieds. On ne va pas avoir tout de suite les ratios qu'on demande". De même, un délai de deux ans est prévu pour la contiguïté du plateau de soins critiques (proximité immédiate de l'Usip (ex-USC)), mais avec une souplesse additionnelle jusqu'à sept ans.

En outre, la DGOS recommande un objectif de taux d'occupation de 80% des lits d'une unité de soins critiques, nécessaire à la fluidité de gestion des patients entrant et sortant et à l'accueil H24. "Or la plupart se basent sur 85%, ils ne veulent pas entendre ça. Et il est normal d'avoir tout le personnel pour faire tourner à 100%, même si on a un taux d'occupation à 80%, d'abord pour pouvoir absorber les crises et pour pouvoir absorber les formations, continues ou des nouveaux arrivants", martèle-t-il.

cd/sl/APMnews

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