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18/10 2023
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TRANSFORMATION DES PRATIQUES EN PSYCHIATRIE: PAIR-AIDANT, IPA, MÊME COMBAT?

PARIS, 18 octobre 2023 (APMnews) - Recruter un pair-aidant ou un infirmier en pratique avancée (IPA) ne suffit pas, en soi, à transformer les pratiques en psychiatrie, ont alerté Alix Choppin, médiatrice de santé-paire, et Romain Parot, IPA en psychiatrie et santé mentale, appelant, lors de la deuxième Journée nationale de l'Association des jeunes psychiatres et jeunes addictologues (AJPJA), organisée mardi au ministère de la santé, à Paris, à aller au-delà du simple affichage et à faire une vraie place à ces nouvelles offres de soin.

"Souvent, on me dit que le simple fait de recruter des pairs-aidants dans les services de psychiatrie est une preuve de transformation", a débuté Alix Choppin, médiatrice de santé-paire au groupe hospitalo-universitaire (GHU) Paris pyschiatrie et neurosciences, lors d'une table ronde de cette journée de l'AJPJA (cf dépêche du 17/10/2023 à 19:43) sur la transformation des pratiques de soins.

"Je me suis rendue compte que, quand on tient ce genre de discours, il y a en filigrane l'idée que c'est le début, mais aussi un peu la fin. Et cela peut vouloir dire que recruter un pair-aidant est un aboutissement en soi […]. On a coché la case", a-t-elle expliqué.

"J'ai une consœur qui dit qu'elle a beaucoup de mal à s'intégrer dans l'équipe [de soins]. Mais, quand il y a une visite, institutionnelle, protocolaire, là on est très content d'avoir une pair-aidante, et 'on me sort', dit-elle. Mais décrire ce qu'elle fait et en quoi elle transforme les pratiques, on sèche…"

"Ce n'est que le début de recruter un pair-aidant! Ensuite, il faut lui donner toute la place", a-t-elle insisté.

A sa suite, Romain Parot, IPA en psychiatrie-santé mentale au GHU, a approuvé: "Un [IPA], ça fait aussi très bien sur la plaquette du service! Mais que lui propose-t-on comme exercice?"

"C'est toujours difficile de faire sa place, dans une équipe, et dans un bâtiment. Intégrer un IPA à une équipe, ce n'est pas juste un nom sur une plaquette, des paillettes sur un tableau; c'est répondre à des besoins qui jusque-là n'étaient pas complétement satisfaits, et avec des compétences supplémentaires, un aspect de recherche, d'enseignement, de communication", a-t-il souligné.

Initialement infirmer au centre psychiatrique d'orientation et d'accueil (CPOA) du site de Sainte-Anne, il a raconté avoir réalisé sa formation d'IPA "avec un soutien médical essentiellement", l'administration étant sceptique sur le fait d'employer un IPA aux urgences. Mais "depuis deux ans, je travaille aux urgences, je fais une consultation post-urgence pour les personnes qui ont besoin d'un suivi ambulatoire, qui sont adressées vers un service identifié, mais dont le délai de prise en charge est trop élevé", a-t-il précisé (cf dépêche du 01/12/2022 à 17:39).

"Cela permet de transformer les pratiques, car aux urgences, jusque-là, on était seulement sur le traitement de la crise symptomatique. [Aujourd'hui], il y a une continuité entre les urgences, le traitement de la crise, le post-crise, et la prise en charge plus pérenne. On peut davantage se permettre, dès le passage aux urgences, d'initier un traitement, voire de discuter d'un traitement de fond", a-t-il fait valoir.

"Savoir où les mettre"

"Si on accueille un professionnel supplémentaire, une activité supplémentaire, il faut savoir où les mettre", a-t-il également prévenu. "Au bout de deux ans, puisqu'on déménage, je vais avoir un endroit attitré pour faire mes consultations post-urgences."

"C'est l'affaire de tous", a insisté Romain Parot. "Dès qu'il y a un projet d'implantation d'un IPA dans un service, il faut que chacun, à la mesure de son périmètre, puisse réfléchir sur l'organisation de l'activité. Et cela finit par bien se passer", s'est-il réjoui, citant l'enquête du Collège national pour la qualité des soins en psychiatrie (CNQSP), avec la participation de l'Association nationale française des infirmiers en pratique avancée (Anfipa) et du Collège national des universitaires de psychiatrie (Cnup) (cf dépêche du 03/10/2023 à 17:15).

"Pour la pair-aidance aussi, la question de l'espace, à la fois au sens physique et au sens symbolique, est absolument centrale", a réagi Alix Choppin.

"On risque deux écueils", a-t-elle averti. "L'un serait que la pair-aidance reste dans son coin, que cela reste une sorte d'adjonction qui échoue à transformer les pratiques. Et l'autre écueil serait que le pair-aidant soit vu comme une sorte de cheval de Troie qui va tout chambouler, tout révolutionner, mais sans la participation du service."

En effet, "on peut avoir cette image de perturbateur, de justicier qui va dénoncer les pratiques, ce qui peut créer des relations conflictuelles", a-t-elle convenu.

Elle a plaidé, elle aussi, "pour, qu'au contraire, la pair-aidance soit pleinement intégrée dans les lieux de soins, […] et ne soit pas la seule à porter la transformation des pratiques, ce qui est un peu lourd; il faut que cela devienne vraiment l'affaire de tous".

Pour cela, "il y a trois évolutions nécessaires", a-t-elle listé.

"Le pair-aidant est porteur d'une vision plus large du trouble psychique […] et cette expérience de la maladie est assez éloignée du schéma médical […] sur power point", a-t-elle assené. "Tant qu'on n'ouvre pas le modèle de compréhension des troubles 'psy' à des savoirs expérientiels, à ce vécu intime de la maladie, qu'on considère les pair-aidants comme des sortes d'agents du discours biomédical qui vont bien faire réciter leur cours d'éducation thérapeutique aux patients, on rate la richesse principale qu'ils ont à apporter, qui est, au contraire, d'élargir le sens qu'on donne aux troubles psychiques et la façon dont ça se relie avec la vie de la personne", a-t-elle explicité.

Autre évolution nécessaire, selon elle: transformer "les lieux de psychiatrie traversés par des logiques de pouvoir [entre soignants et soignés]. Ce qui transparaît, en tant qu'usager, 'c'est vous avez un problème, j'ai la solution'", a-t-elle rapporté. "Tant qu'on est dans un face à face, dans un 'eux et nous', on rate la notion de partenariat en santé, de relation de confiance."

Elle a encouragé notamment "le fait de se mettre physiquement à côté du patient, de ne plus avoir un bureau qui sépare […]". "Dans […] l'espace tel qu'il est pensé actuellement, clivé, la pair-aidance ne peut pas se déployer."

Enfin, Alix Choppin a appelé à "retrouver un rapport d'humilité, à se dire que l'expert, c'est la personne", et que les soignants, pair-aidants compris, sont "là pour faciliter".

Plus tard dans la discussion, elle a aussi ajouté qu'"on reste au milieu du gué car on ne considère encore la pair-aidance que comme [devant] être intégrée au sein des établissements sanitaires, ce qui [implique] la question de subordination. Si on est salarié, il y a lien de subordination avec l'autorité médicale, cela dit quelque chose du rôle que l'on accorde à la pair-aidance."

Elle a cité d'autres modèles dans d'autres pays, aux Etats-Unis et en Australie notamment, "où la pair-aidance est devenue une proposition autonome et alternative à la psychiatrie, ce qui ne veut pas dire opposée à la psychiatrie". Ainsi "quand on est en crise, on a le choix d'aller aux urgences ou dans un 'lieu de répit' non médicalisé entièrement géré par des pairs."

"En France, la seule organisation 100% gérée, animée, par des pairs, c'est la Maison perchée [cf dépêche du 28/11/2022 à 14:35, dépêche du 21/02/2023 à 18:57], mais ce n'est pas un lieu de prise en charge de crise", a-t-elle comparé.

vl/ed/APMnews

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PARIS, 18 octobre 2023 (APMnews) - Recruter un pair-aidant ou un infirmier en pratique avancée (IPA) ne suffit pas, en soi, à transformer les pratiques en psychiatrie, ont alerté Alix Choppin, médiatrice de santé-paire, et Romain Parot, IPA en psychiatrie et santé mentale, appelant, lors de la deuxième Journée nationale de l'Association des jeunes psychiatres et jeunes addictologues (AJPJA), organisée mardi au ministère de la santé, à Paris, à aller au-delà du simple affichage et à faire une vraie place à ces nouvelles offres de soin.

"Souvent, on me dit que le simple fait de recruter des pairs-aidants dans les services de psychiatrie est une preuve de transformation", a débuté Alix Choppin, médiatrice de santé-paire au groupe hospitalo-universitaire (GHU) Paris pyschiatrie et neurosciences, lors d'une table ronde de cette journée de l'AJPJA (cf dépêche du 17/10/2023 à 19:43) sur la transformation des pratiques de soins.

"Je me suis rendue compte que, quand on tient ce genre de discours, il y a en filigrane l'idée que c'est le début, mais aussi un peu la fin. Et cela peut vouloir dire que recruter un pair-aidant est un aboutissement en soi […]. On a coché la case", a-t-elle expliqué.

"J'ai une consœur qui dit qu'elle a beaucoup de mal à s'intégrer dans l'équipe [de soins]. Mais, quand il y a une visite, institutionnelle, protocolaire, là on est très content d'avoir une pair-aidante, et 'on me sort', dit-elle. Mais décrire ce qu'elle fait et en quoi elle transforme les pratiques, on sèche…"

"Ce n'est que le début de recruter un pair-aidant! Ensuite, il faut lui donner toute la place", a-t-elle insisté.

A sa suite, Romain Parot, IPA en psychiatrie-santé mentale au GHU, a approuvé: "Un [IPA], ça fait aussi très bien sur la plaquette du service! Mais que lui propose-t-on comme exercice?"

"C'est toujours difficile de faire sa place, dans une équipe, et dans un bâtiment. Intégrer un IPA à une équipe, ce n'est pas juste un nom sur une plaquette, des paillettes sur un tableau; c'est répondre à des besoins qui jusque-là n'étaient pas complétement satisfaits, et avec des compétences supplémentaires, un aspect de recherche, d'enseignement, de communication", a-t-il souligné.

Initialement infirmer au centre psychiatrique d'orientation et d'accueil (CPOA) du site de Sainte-Anne, il a raconté avoir réalisé sa formation d'IPA "avec un soutien médical essentiellement", l'administration étant sceptique sur le fait d'employer un IPA aux urgences. Mais "depuis deux ans, je travaille aux urgences, je fais une consultation post-urgence pour les personnes qui ont besoin d'un suivi ambulatoire, qui sont adressées vers un service identifié, mais dont le délai de prise en charge est trop élevé", a-t-il précisé (cf dépêche du 01/12/2022 à 17:39).

"Cela permet de transformer les pratiques, car aux urgences, jusque-là, on était seulement sur le traitement de la crise symptomatique. [Aujourd'hui], il y a une continuité entre les urgences, le traitement de la crise, le post-crise, et la prise en charge plus pérenne. On peut davantage se permettre, dès le passage aux urgences, d'initier un traitement, voire de discuter d'un traitement de fond", a-t-il fait valoir.

"Savoir où les mettre"

"Si on accueille un professionnel supplémentaire, une activité supplémentaire, il faut savoir où les mettre", a-t-il également prévenu. "Au bout de deux ans, puisqu'on déménage, je vais avoir un endroit attitré pour faire mes consultations post-urgences."

"C'est l'affaire de tous", a insisté Romain Parot. "Dès qu'il y a un projet d'implantation d'un IPA dans un service, il faut que chacun, à la mesure de son périmètre, puisse réfléchir sur l'organisation de l'activité. Et cela finit par bien se passer", s'est-il réjoui, citant l'enquête du Collège national pour la qualité des soins en psychiatrie (CNQSP), avec la participation de l'Association nationale française des infirmiers en pratique avancée (Anfipa) et du Collège national des universitaires de psychiatrie (Cnup) (cf dépêche du 03/10/2023 à 17:15).

"Pour la pair-aidance aussi, la question de l'espace, à la fois au sens physique et au sens symbolique, est absolument centrale", a réagi Alix Choppin.

"On risque deux écueils", a-t-elle averti. "L'un serait que la pair-aidance reste dans son coin, que cela reste une sorte d'adjonction qui échoue à transformer les pratiques. Et l'autre écueil serait que le pair-aidant soit vu comme une sorte de cheval de Troie qui va tout chambouler, tout révolutionner, mais sans la participation du service."

En effet, "on peut avoir cette image de perturbateur, de justicier qui va dénoncer les pratiques, ce qui peut créer des relations conflictuelles", a-t-elle convenu.

Elle a plaidé, elle aussi, "pour, qu'au contraire, la pair-aidance soit pleinement intégrée dans les lieux de soins, […] et ne soit pas la seule à porter la transformation des pratiques, ce qui est un peu lourd; il faut que cela devienne vraiment l'affaire de tous".

Pour cela, "il y a trois évolutions nécessaires", a-t-elle listé.

"Le pair-aidant est porteur d'une vision plus large du trouble psychique […] et cette expérience de la maladie est assez éloignée du schéma médical […] sur power point", a-t-elle assené. "Tant qu'on n'ouvre pas le modèle de compréhension des troubles 'psy' à des savoirs expérientiels, à ce vécu intime de la maladie, qu'on considère les pair-aidants comme des sortes d'agents du discours biomédical qui vont bien faire réciter leur cours d'éducation thérapeutique aux patients, on rate la richesse principale qu'ils ont à apporter, qui est, au contraire, d'élargir le sens qu'on donne aux troubles psychiques et la façon dont ça se relie avec la vie de la personne", a-t-elle explicité.

Autre évolution nécessaire, selon elle: transformer "les lieux de psychiatrie traversés par des logiques de pouvoir [entre soignants et soignés]. Ce qui transparaît, en tant qu'usager, 'c'est vous avez un problème, j'ai la solution'", a-t-elle rapporté. "Tant qu'on est dans un face à face, dans un 'eux et nous', on rate la notion de partenariat en santé, de relation de confiance."

Elle a encouragé notamment "le fait de se mettre physiquement à côté du patient, de ne plus avoir un bureau qui sépare […]". "Dans […] l'espace tel qu'il est pensé actuellement, clivé, la pair-aidance ne peut pas se déployer."

Enfin, Alix Choppin a appelé à "retrouver un rapport d'humilité, à se dire que l'expert, c'est la personne", et que les soignants, pair-aidants compris, sont "là pour faciliter".

Plus tard dans la discussion, elle a aussi ajouté qu'"on reste au milieu du gué car on ne considère encore la pair-aidance que comme [devant] être intégrée au sein des établissements sanitaires, ce qui [implique] la question de subordination. Si on est salarié, il y a lien de subordination avec l'autorité médicale, cela dit quelque chose du rôle que l'on accorde à la pair-aidance."

Elle a cité d'autres modèles dans d'autres pays, aux Etats-Unis et en Australie notamment, "où la pair-aidance est devenue une proposition autonome et alternative à la psychiatrie, ce qui ne veut pas dire opposée à la psychiatrie". Ainsi "quand on est en crise, on a le choix d'aller aux urgences ou dans un 'lieu de répit' non médicalisé entièrement géré par des pairs."

"En France, la seule organisation 100% gérée, animée, par des pairs, c'est la Maison perchée [cf dépêche du 28/11/2022 à 14:35, dépêche du 21/02/2023 à 18:57], mais ce n'est pas un lieu de prise en charge de crise", a-t-elle comparé.

vl/ed/APMnews

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